Catéchèse du cardinal Jean-Marie Lustiger aux JMJ à Rome
Catéchèse de Mgr Jean-Marie Lustiger sur la sainteté donnée devant 10 000 jeunes au stade Flaminio pendant les JMJ le 18 août 2000.
Titres et intertitres sont de la Rédaction de Paris Notre-Dame le journal du diocèse de Paris.
Cette nuit, je me demandais : que vais-je leur raconter ? Comme d’habitude, j’ai feuilleté mon Nouveau Testament en pensant à vous. Je ne me suis pas laissé décourager par la remarque de saint Jean à la fin de son Évangile : « Jésus a fait encore bien d’autres choses ; si on les écrivait une à une, le monde entier ne pourrait contenir les livres qu’on écrirait » (Jn 21, 25).
Je vous propose de voir qui Jésus désigne comme des saints. Comment ? me direz-vous. Il y a des saints dans le Nouveau Testament ?
— Certes. Devinez qui.
— La Sainte Vierge.
— D’accord.
— Saint Joseph.
— D’accord.
— Les apôtres.
— Entendu.
Et puis ?
En réalité, il y en a une foule immense ! Si pour la sainteté du XXIe siècle - la sainteté de votre génération - il faut chercher un programme, une identification, l’Évangile y pourvoit. Nous trouvons les compagnons qui nous ont précédés, les frères et les sœurs qui marchent en avant de nous ; non qu’ils réalisent un modèle, mais ils tracent un chemin de sainteté, des chemins de sainteté, ceux dans lesquels le Seigneur vous appelle à vous engager, vous, aujourd’hui. Car c’est la sainteté des chrétiens qui fera de ce monde un monde vivable et heureux pour l’homme ; sinon, à nouveau, un enfer ! La sainteté des chrétiens, voilà la question-clé de l’avenir de l’humanité.
Le premier de tous que je vous présenterai va sans doute vous étonner. Je l’ai choisi parce que, en vous voyant, j’ai pensé aussi à un certain nombre de jeunes de la Région parisienne, perdus, paumés, détruits, drogués ; d’autres sont livrés à des violences qu’ils ont subies ou qu’ils commettent. Parmi vos amis, parmi les jeunes que vous côtoyez, peut-être y en a-t-il qui ont sombré de la même façon ; des jeunes dont les éducateurs et les travailleurs sociaux disent : « On ne peut pas faire grand chose pour eux ! ».
Dans l’Évangile, il y en a un. Je vous lis le début du chapitre 5e de saint Marc. Jésus a traversé le lac et est allé de l’autre côté, en territoire païen.
« Comme il descendait de la barque, un homme possédé d’un esprit impur vint aussitôt à sa rencontre, sortant des tombeaux. »
La force de ce détail est inouïe. Cet homme perdu vit dans les tombes. Cette tentation existe encore aujourd’hui chez des jeunes ou des moins jeunes ; au cimetière du Père Lachaise ou dans d’autres cimetières, des groupes se réunissent, habités par une terrible morbidité.
« Il habitait dans les tombeaux et personne ne pouvait plus le lier, même avec une chaîne. Car il avait souvent été lié avec des entraves et des chaînes ; mais il avait rompu les chaînes, brisé les entraves ; et personne n’avait la force de le maîtriser. Nuit et jour, il était sans cesse dans les tombeaux et dans les montagnes, poussant des cris, se déchirant avec des pierres. »
Voilà un homme perdu. Combien d’enfants perdus dans notre siècle ! Et combien sommes-nous en train d’en fabriquer ? Drogués, prostitués, irrémédiablement blessés dans leur âme ou leur corps, humiliés, affamés ? Faut-il les laisser pour compte, les passer aux profits et pertes ? Faut-il considérer qu’ils sont exclus de tout projet de sainteté ?
Lisez la suite du récit. Jésus s’approche et, dans un enchaînement de faits extraordinaires, il commence à vaincre la mort, à faire mourir la mort. Et cet homme, au bout du compte, apparaît habillé, sain, maître de lui et il veut suivre Jésus. A ce moment-là, Jésus lui dit :
« Va dans ta maison, auprès des tiens, et rapporte-leur tout ce que le Seigneur a fait pour toi dans sa miséricorde. L’homme s’en alla et se mit à proclamer dans cette région (la région païenne des Dix Villes, la Décapole) tout ce que Jésus avait fait pour lui et tous étaient dans l’étonnement » conclut saint Marc.
Les saints ne sont pas forcément des enfants modèles. Ils peuvent être des enfants perdus que Dieu trouve et guérit. Car cet homme était vraiment perdu, prisonnier de lui-même, prisonnier de la mort qui le possédait. Et Jésus l’a trouvé et l’a délivré de la mort. Voilà donc le premier saint et presque le premier évangélisateur d’un pays païen, parce qu’il a été celui à qui cette grâce a été donnée de redevenir vivant par la puissance du Seigneur Jésus-Christ.
Dieu fait des vivants à partir des morts ; le Christ ressuscite les morts. L’homme mort, c’est celui dont le cœur est mort, dont le cœur est plein de haine, celui qui se détruit lui-même. L’homme vivant , c’est celui qui apprend à recevoir sa vie de Dieu et goûte la joie de vivre en donnant à son tour sa propre vie.
Alors, cet homme de Gérasa, regardez-le. Je voudrais qu’il soit comme le premier des saints du XXIe siècle que nous ayons devant les yeux. Il est celui qui manifeste cette puissance de salut qui est dans le Seigneur.
Une phrase m’est venue à l’esprit : Dieu fait des saints avec des pécheurs. Mais le Diable tente de faire des pécheurs avec les saints !
Nous sommes dans un siècle – et le temps qui vient ne diminuera pas cette tendance – où on valorise la réussite. Après tout, cela se comprend – la réussite aux yeux des hommes, celle du savoir, du pouvoir, de la richesse, de la force physique, de la beauté apparente, de la bonne renommée. Bref, tout ce qui flatte le regard que l’homme porte sur lui-même.
Devenir l’idole des cathos ?
Lorsque, dans une béatification ou une canonisation, l’Église propose comme exemple et comme modèle de sainteté tel homme ou telle femme qui a vécu par le passé, nous serions tentés de penser que la canonisation est l’équivalent de Paris-Match pour les vedettes, la réussite suprême : devenir une idole pour les cathos !
S’il en est ainsi, le Seigneur n’avait pas pris de leçons de publicité ! En effet, quel est le premier dont la canonisation est absolument assurée ? Le premier qui, à un jour qu’on pourrait dater, a été accueilli dans la communion et l’amour de Dieu avec le Christ ? Nous le connaissons bien, c’est le Bon Larron (Lc 23, 39-43).
Un condamné de droit commun ; on ne sait pas ce qu’il a fait ; mais il est condamné par la justice romaine, ce n’est pas rien ! Ils étaient deux condamnés, crucifiés avec Jésus. Vous vous souvenez de la dispute entre ces deux bandits à côté du Seigneur au Golgotha. L’un insultait Jésus en disant : « N’es-tu pas le Messie ? Sauve-toi toi-même et nous aussi ! ». L’autre de le reprendre : Tais-toi ! « Pour nous, c’est juste ; nous recevons ce que nos actes ont mérité (c’est dur, mais c’est comme ça !) mais lui, il n’a rien fait de mal » (c’est un innocent, donc respecte-le).
Puis il se tourne vers Jésus et il lui dit : « Jésus, souviens-toi de moi quand tu entreras dans ton Royaume ». C’est le plus bel acte de foi qui ait jamais été prononcé. Et vous vous rappelez la réponse de Jésus : « En vérité, je te le dis, aujourd’hui, avec moi, tu seras en paradis », c’est-à-dire ce lieu auprès de Dieu dans l’attente de la résurrection. Cet homme sur la croix, à qui avant Pierre, avant Marie, avant tout le monde, de telles paroles ont été adressées, est le premier de notre humanité pécheresse à recevoir l’assurance de cette communion pleine et totale et de cette vie en Dieu que le Seigneur sur la croix lui promet.
Pourquoi ?
Alors que cet homme est un condamné, justement condamné, il l’a reconnu lui-même (la justice avec le droit romain est une institution des plus respectables, source de progrès et de civilisation dans les sociétés humaines).
Pourquoi donc ? Parce que sa vie - une vie perdue, une vie fichue, une vie finie - ne s’achève pas par ces actes qu’il a accumulés et qui l’ont mené à cet échec radical. On ne sait même pas le nom de cet homme !
Sa liberté n’est pas emprisonnée par tout ce qu’il a fait, sa liberté qui n’est pas close. Dans son cour, il peut encore poser un geste d’amour qui dépasse tous les refus d’aimer de sa vie, un geste de liberté qui le délivre de toutes les contraintes dont il était lui-même l’auteur, de tous les esclavages dont il a été la source pour lui-même.
Il peut encore obtenir de Dieu le pardon des fautes qu’il a commises. Et ce pardon lui donne la plénitude de la vie. La sainteté, c’est précisément cela.
Que vais-je faire de ma vie ?
Il faut réfléchir à ce que représente cette histoire du Bon Larron pour vous, au point où vous en êtes. Bien sûr, vous n’êtes pas condamnés de droit commun ! Il est probable que vous n’avez pas commis de crimes graves contre la loi, que vous n’êtes pas recherchés pour des trafics ignobles, ni sur le point d’être exécutés parce que la peine de mort a été abolie dans la plupart des pays !
Mais vous vous posez peut-être la question : « Que vais-je faire de ma vie ? Vais-je la réussir ? Dès à présent, n’ai-je pas l’impression que ma vie est ratée et que je fais partie du lot des perdants ? » Beaucoup peuvent le penser ; même ceux qui, en certains domaines, ont déjà fait la preuve qu’ils étaient capables de réussir. En effet, tout être humain est incertain de lui-même et on peut toujours se demander : « Où vais-je prendre mon assurance ? Que vais-je faire pour tenter de réussir ma vie ? » Pensez au souci des parents : « Si tu ne réussis pas tes études, quel métier auras-tu ? Si tu t’engages comme ceci, que vas-tu faire de ta vie ? » Aux yeux des hommes, il n’y a pas de réponse à ce sentiment d’une vie à moitié ratée, aux trois-quarts ratée, qui est à côté de ce qu’elle aurait pu être ; de sorte que tôt ou tard, certains portent en eux une nostalgie inguérissable ou la blessure d’une humiliation impossible à consoler.
Il n’y a pas de vie ratée
Aux yeux de la foi, il n’y a pas de vie ratée, il n’y a pas de vie perdue, il n’y a pas de vie détruite au point qu’elle ne puisse aboutir à sa plénitude. Dieu qui vous aime, chacun, tels que vous êtes, quel que soit le chemin que vous prenez présentement, Dieu veut que vous ne désespériez pas et que vous ambitionniez la plus haute réalisation qu’un être humain puisse ambitionner dans sa vie : être habité par la plénitude de l’amour comme une grâce, comme un don gratuit et sans mesure, qui comble, au-delà de tout, nos désirs les plus fous, nos aspirations les plus grandes et nous délivre de toute servitude.
Une autre figure. Lors de son dernier séjour à Jérusalem (Mc 12, 41-44), Jésus s’est assis dans le Temple où il enseigne ; il regarde les foules qui passent mettre des offrandes dans le trésor. Il remarque une veuve, pauvre, qui s’approche et dépose son obole dans le tronc : deux petites pièces. Jésus, appelant ses disciples, fait cette réflexion à haute voix, lui qui lit dans les cours et connaît le secret de chacun : « Cette femme, elle a donné plus que tous les autres. Car elle a pris de sa pauvreté pour mettre tout ce qu’elle possédait, tout ce qu’elle avait pour vivre. » En réalité, avec toutes ses ressources, c’est toute sa vie qu’elle donne à Dieu. Voilà une femme dont on ne sait rien. Pourtant sa vie est la plus belle aux yeux de Dieu.
Un autre épisode, presque du même ton. Saint Luc (18, 9-14) le présente comme une parabole. Je suis persuadé que Jésus, qui a un sens aigu de l’observation, ne l’a pas inventée de toutes pièces ; il a été témoin d’un fait et il le raconte ensuite sous forme de parabole. « Deux hommes montaient au Temple pour prier. L’un était publicain », c’est-à-dire que chargé de lever l’impôt, il en gardait une partie à son profit, légitimement d’ailleurs, mais en tirant au maximum sur les marges. ; en vérité, il était exclu du peuple de Dieu parce qu’il était tenu pour un trafiquant qui abuse du pouvoir. « Et l’autre était un pharisien », quelqu’un qui cherchait à faire le mieux possible.
Le publicain reste à distance, au fond et se frappe la poitrine en disant : « Ô Dieu, prends pitié du pécheur que je suis ». Le pharisien, debout, prie en lui-même : « Ô Dieu, je te rends grâce de ce que je ne suis pas comme les autres hommes qui sont voleurs, malfaisants, adultères et encore comme ce collecteur d’impôts. Je jeûne deux fois par semaine, je paie la dîme », en un mot, je fais bien toutes choses, je fais tout ce qu’il faut. Jésus dit : « Je vous le déclare, le premier rentre chez lui justifié (c’est-à-dire saint), le second, non ».
Cherchez l’erreur ! Faut-il jouer la comédie et dire : « Je suis pécheur, je suis pécheur », sans savoir si on l’est vraiment, ni pour quoi on le serait ? Quelle est la faute du second et quelle est la justesse du premier ? Pourquoi le publicain est-il tenu pour saint auprès de Dieu et pourquoi le pharisien ne l’est-il pas ?
Le publicain, à qui s’adresse-t-il ? À Dieu. Et il lui demande d’agir : « Prends pitié de moi ; sois miséricordieux avec moi, pécheur ». C’est donc sur Dieu que se porte son regard, bien qu’il n’ose même pas lever les yeux vers le ciel. Il reste comme quelqu’un qui n’ose pas s’avancer vers Dieu, tout en le désirant ; comme quelqu’un qui se sait indigne de l’amour qu’il réclame et n’ose même pas le demander ; comme quelqu’un qui ne sait pas si Dieu va accepter de l’aimer malgré ce qu’il est ; si Dieu va l’aimer au point qu’il pourra l’aider à en sortir. Bref, il se tient comme un serviteur devant un maître aimé ; comme un enfant perdu devant le Père des cieux qu’il voudrait bien retrouver.
L’autre qui fait bien toutes choses - et il a raison -, que dit-il à Dieu ? « Je te bénis, Seigneur, de ce que je ne suis pas comme le reste des hommes » et il se raconte : « Je fais ceci, je fais cela ». Il fait sa comptabilité lui-même. Et que lui manque-t-il ? La colonne qu’il n’a pas remplie ! « Qu’est-ce que tu ne fais pas ? Comment te comportes-tu à l’égard de Dieu ? Tu obéis aux commandements, oui ; mais regardes-tu celui qui te donne les commandements ? Tu agis aussi bêtement que le chien qui rapporte le bâton mais ne reconnaît pas celui qui le lui a jeté ! »
Dieu a besoin de fils
Les commandements trouvent leur sens profond à partir de Celui qui nous les donne. Les commandements sont une loi d’amour. Les observer, c’est aimer celui qui les donne. Jésus lui-même l’a dit : « Si quelqu’un m’aime, il observera mes commandements, ma parole » (Jn 14, 23). Pour observer les commandements, il faut donc d’abord aimer Jésus ; et, avec Jésus, aimer Dieu, « son Père et notre Père » (Jn 20, 17). Et ne pas commencer par dire : « J’observe les commandements ,donc j’aime Dieu ; Dieu devrait bien le reconnaître puisque je fais ce qu’il me dit ! »
Dieu n’a pas besoin d’esclaves, il a besoin de fils. Jésus dit encore : « Je ne vous appelle plus “serviteurs”, je vous appelle “amis” » (Jn 15, 14) et « Libres sont les fils » (Mt 17, 26). Le fils agit librement, par amour du Père ; cet amour le rend libre. Car l’amour ne réside pas d’abord dans la conformité des gestes, mais dans le don de sa vie à Dieu qui est source de la vie. C’est parce que Dieu nous aime et que nous l’aimons que nous agissons selon sa volonté et que nous trouvons la vie. Les commandements sont une loi de liberté puisque c’est Dieu qui nous les propose et nous donne la force d’y obéir.
Un dernier exemple. La scène se passe chez Simon, un ami de Jésus, Simon le lépreux qui avait été purifié de sa lèpre, déjà une grande merveille de Dieu ! Comme saint Luc le rapporte (7, 36-50), il avait invité Jésus à un festin. Une femme entre dans la salle à manger où les convives étaient étendus, selon l’usage antique ; elle prend un parfum très précieux et le répand sur les pieds de Jésus après les avoir baignés de ses larmes et essuyés avec ses cheveux. Simon se dit en lui-même : « Si cet homme Jésus (qui est mon ami) était un prophète, il saurait qui est cette femme qui le touche, une prostituée », et il ne l’aurait pas acceptée, il l’aurait chassée puisque c’est une pécheresse, et qu’à ce titre elle ne peut s’approcher de la sainteté de Dieu.
Jésus lit dans le regard et dans le cœur de Simon les pensées qui l’habitent ; il l’appelle : « Simon, j’ai quelque chose à te dire : un créancier avait deux débiteurs, l’un lui devait cinq cents pièces d’argent, l’autre cinquante. Comme ils n’avaient pas de quoi le rembourser, il leur fit grâce de leur dette à tous les deux. Lequel des deux l’aimera le plus ? ». Simon répondit : « Je pense que c’est celui auquel il a fait grâce de la plus grande dette ». Jésus lui dit : « Tu as bien jugé ». Et se tournant vers la femme, il dit à Simon : « Tu vois cette femme ; je suis entré dans ta maison, tu ne m’as pas versé d’eau sur les pieds mais elle, elle a baigné mes pieds de ses larmes et elle les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m’as pas donné de baiser - le signe de l’hospitalité -, mais elle, depuis qu’elle est entrée, elle ne cesse de me couvrir les pieds de baisers. Tu n’as pas répandu d’huile odorante, de parfum sur ma tête, mais elle a répandu du parfum sur mes pieds. Si je te déclare que ses péchés si nombreux ont été pardonnés (c’est-à-dire que Dieu les a pardonnés), c’est parce qu’elle montre beaucoup d’amour. Celui à qui on pardonne peu montre peu d’amour ». Et il dit à la femme : « Tes péchés sont pardonnés ». Les convives se mettent à dire entre eux : Mais enfin, qui est cet homme qui va jusqu’à donner le pardon des péchés ? Et Jésus dit à la femme : « Ta foi t’a sauvée ; va en paix ».
Cette expression implique la sainteté. Cette prostituée est devenue sainte. L’Évangile ne nous dit pas la suite ; il y a tout lieu de penser qu’elle s’est arrachée à la prostitution ; un tel pardon après un tel aveu et une telle contrition ! Ce qui l’a bouleversée, c’est ce qu’elle a entendu des paroles et des actes de Jésus. Ce qui l’a poussée à aller jusque-là et à entrer dans cette sorte d’église, la maison de Simon le pharisien - puisque Jésus y était pour quelques instants - c’est le désir de la vie de Dieu. Elle n’osait rien demander ni dire ; elle n’en avait pas besoin, elle était connue ! Mais Jésus lisait dans son cour et comprenait ce qu’elle faisait ; par ses gestes elle a tout dit. Et Jésus lui a tout dit et tout donné avec cette parole.
Je pourrais continuer la liste de ces personnages de l’Évangile, des ratés aux yeux des hommes. Pourtant ils déploient la beauté intérieure de leur vie dans l’accueil à l’amour que Dieu leur porte, laissant leur liberté s’ouvrir à cet amour pour qu’à leur tour, ils aiment. Car Dieu leur apprend à aimer, leur donne le pouvoir d’aimer. Voilà les premiers exemples de sainteté à garder dans les yeux et dans le cœur. Si, par la grâce de Dieu, ils peuvent être des saints, nous aussi nous le pouvons et le devons.
Comment peut-on être chrétien dans une société inhumaine ?
L’Évangile, ou bien vous l’arrangez pour qu’il soit au goût du jour, acceptable par tous et ce n’est plus la Parole de Dieu ; ou bien vous le prenez tel qu’il est et vous vivez à contre-courant.
Une anecdote (que les publicitaires parmi vous me pardonnent !). Lors des JMJ à Paris, nous avions convoqué des spécialistes de la communication. Certains nous ont dit : « Votre affaire, c’est ringard ; on va vous arranger cela ! ». Alors, ils ont fait un Évangile-mode ; ils l’ont lissé, ils ont enlevé les aspérités, c’est-à-dire tout ce qui leur paraissait gênant au regard des modes actuelles et selon des sondages d’opinion. Il n’en restait quasiment rien. Je leur ai dit : « Et le Pape alors ? » — L« e Pape, non ; il est trop vieux ; ce n’est pas la peine d’en parler ! ». Enfin, un autre prit la parole : nous avons fait lire les Évangile à nos collaborateurs et nous nous sommes dit : « Il y a là-dedans des phrases extraordinaires ; ce n’est pas la peine de chercher des slogans. Il suffit de les imprimer, brutes de décoffrage, et c’est un coup de poing dans l’estomac ». Vous, les Parisiens, vous avez vu dans le métro et sur les murs de Paris de grandes affiches avec seulement une phrase, telle : « Aimez vos ennemis ».
Ce n’est pas possible
L’Évangile est comme un révulsif. Et les chrétiens, s’ils y sont fidèles, ne peuvent pas ne pas être en contradiction avec les tendances lourdes de la société. Faut-il pour autant partir dans le désert, nous mettre en dissidence, jouer aux exclus, rester en dehors de la course ? Ce n’est pas ce que le Seigneur nous demande. Il nous demande de porter la contradiction à l’intérieur même du combat spirituel des hommes. Pourquoi ?
Lorsqu’une société entière place comme objectifs prioritaires l’argent, le sexe, le pouvoir, la domination, l’avidité de posséder, qu’en résulte-t-il ? Une société qui n’est plus digne de l’homme ; elle produit des exclus, elle sacrifie des personnes ; pour faire vivre certains, elle se croit obligée d’en tuer d’autres. Mais, on ne peut pas passer des hommes au compte profits et pertes ! Ce n’est pas possible.
L’attitude enseignée par le Christ dans l’Évangile n’est pas contestation, destruction, opposition systématique ; elle consiste à prendre sur soi, par amour de Dieu et des hommes, la charge de la preuve. Même s’il faut pour cela aller à contre-courant. Ainsi les disciples du Christ peuvent aider les hommes à devenir plus humains. Nous devons respecter inconditionnellement la dignité de tout être humain.
Nous devons respecter la sexualité et la fécondité humaines. Alors, nous travaillerons à ce que la relation de l’homme et de la femme ne soit pas dégradée. Ainsi, cette réalité fondamentale qui n’est pas réductible à la condition animale sera pleinement humaine ou deviendra plus humaine. La relation de l’homme et de la femme est aujourd’hui blessée dans sa dignité ; elle doit être guérie, sauvée, pour être vécue conformément à leur vocation d’êtres « créés à l’image et à la ressemblance de Dieu ».
Si vous vous mariez, si cette grâce vous est donnée, vous aurez à construire votre couple non pas sur le modèle régnant dans la société, mais en vous fondant sur la Parole de Dieu et la grâce du Christ. Ainsi vous donnerez la preuve, au prix parfois d’un amour crucifié et toujours d’un oubli de vous-mêmes, que l’amour humain a une plus haute ambition, qu’il reçoit de Dieu lui-même. L’homme et la femme qui s’unissent dans le sacrement de mariage sont appelés à manifester en ce monde - pour eux-mêmes et l’un pour l’autre, pour leurs enfants, pour la société entière - la fidélité de Dieu qui, en son Christ, épouse l’humanité et fait de l’Eglise son unique Épouse, irrévocablement. « Le Christ a aimé l’Église : il a livré sa vie pour la sauver. Il a voulu ainsi la rendre sainte » (Ep 5, 24 sq). C’est en ayant un cœur de pauvre et un esprit de service qu’on aide une société tentée par la volonté de puissance à ne pas y succomber au péril de l’homme.
Rappelez-vous les consignes de Jésus à ses apôtres lorsque, à la veille de la Passion, ils se disputent pour savoir qui est le plus grand (Lc 22, 24-27). Rappelez-vous la démarche de Madame Zébédée, la mère des fils de Zébédée (Mt 20, 20-28) ; elle s’approche de Jésus et lui demande : « Ordonne que dans ton Royaume mes deux fils siègent, l’un à ta droite et l’autre à ta gauche », accorde-leur les postes de premier et de second ministres ; garde-les près de toi.
Heureusement, il y a un capitaine des pompiers
Jésus dissipe toute équivoque et toute illusion : « Vous ne savez pas ce que vous demandez. Si quelqu’un veut être grand parmi vous, qu’il soit votre serviteur. Si quelqu’un veut être le premier parmi vous, qu’il soit votre esclave ».
Même dans les conflits les plus durs, si vous devez défendre vos intérêts ou ceux des autres, vous êtes appelés à traiter l’ennemi non pas comme l’adversaire qu’il faut détruire, mais comme le frère qu’il faut aimer et respecter quoi qu’il en coûte.
« Mais, direz-vous, c’est impossible qu’il en soit ainsi ! » Il faut bien qu’une hiérarchie soit établie dans une société, ne serait-ce que du point de vue pratique. Par exemple, dans ce stade, il y a heureusement un capitaine des pompiers qui donne des ordres pour répartir judicieusement ceux qui vous arrosent à temps, afin que vous ne soyez pas complètement rôtis par le soleil ! Mais si le capitaine est un vrai disciple du Christ, comment agira-t-il ? Réfléchissez. Même en donnant énergiquement des ordres, il doit agir en serviteur.
L’Évangile nous fait participer à la vie de Dieu : l’Esprit saint nous donne la force et la grâce d’être à contre-courant , non pas tant pour le plaisir de s’opposer, mais pour travailler au salut de l’homme, alors même qu’il est l’auteur de sa propre perte. Si les hommes se détruisent, Dieu, lui, veut les faire vivre. Et pour les faire vivre, leur donner d’obéir à sa Loi d’amour, en opposition avec la loi de la horde ! mes amis, comme disciples de Jésus, vous serez obligés d’être en rupture, d’une manière ou d’une autre.
C’est en vivant dans l’amour de la pauvreté, avec la capacité de donner de sa richesse et de son surplus, qu’on aide une société qui produit des biens abondants à ne pas être une société injuste et égoïste.
L’exemple de saint François
Vous gagnerez votre vie ; vous aurez de l’argent ; il faudra que vous n’en soyez pas esclaves, que vous le partagiez pour qu’il serve à vos frères. A l’exemple de Zachée (Lc 19, 1-10). Pour voir Jésus qui va passer à la sortie de Jéricho, il grimpe dans un sycomore, car il était de petite taille. Jésus lève les yeux, le fait vite descendre : « Il me faut demeurer dans ta maison ». Comme Zachée l’accueille, tous murmuraient : « Il est allé loger chez un pécheur ! ». Alors Zachée dit au Seigneur : « Je donne la moitié de ce que je possède aux pauvres ; et si j’ai fait du tort à quelqu’un, je lui rends le quadruple » (ce n’est pas si mal !) — « Aujourd’hui, dit Jésus, le salut est venu pour cette maison ».
Disciples de Jésus, nous sommes appelés à être à contre-courant de toute société ; « Mais, objecterez-vous, n’y a-t-il pas eu des époques où la société était chrétienne ? » Certes. Cependant, lorsque saint François a épousé Dame Pauvreté en se dévêtant complètement devant l’évêque d’Assise, signifiant ainsi qu’il ne voulait rien garder de la richesse paternelle, son geste a causé quelque émoi parmi les gens bien nantis de l’Ombrie, et d’abord pour son papa !
L’amour de la richesse, l’ambition, bref, toutes les idoles dont parle Jésus sont constamment là qui captivent le cœur de l’homme et lui enlèvent de sa liberté. Mais prenez bien garde !
Toute notre vie, nous aurons à lutter pour que la foi triomphe en nous du refus de croire et de nous fier en la puissance de Dieu, pour que la vie triomphe en nous de la fascination de la mort, pour que l’amour triomphe en nous du refus d’aimer et l’emporte sur notre désespoir quand nous péchons, pour que l’amitié et le pardon soient plus forts que le ressentiment.
Pour que nous acceptions de suivre le Christ jusqu’au bout et, s’il nous en donne la grâce, de vivre la dernière des Béatitudes : « Heureux êtes-vous lorsqu’on vous insulte, vous persécute et que l’on dit faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi. Soyez dans la joie et l’allégresse, car votre récompense sera grande dans les cieux » (Mt 5, 11). « Et vous serez les fils du Très-Haut » (Lc 6, 36).
Mes amis, disciples de Jésus, quelle que soit la manière dont vous, vous inscrivez votre vie dans la vie de l’Eglise, Jésus nous désigne, tous ensemble, comme « le sel de la terre » (Mt 5, 13). C’est là l’un des plus beaux noms de l’Eglise ! Et il ajoute : « Si le sel perd de sa saveur, comment redeviendra-t-il du sel ? Il ne vaut plus rien, on le jette dehors et il est foulé aux pieds par les hommes ».
Notre mission : être le sel de la terre
« Le sel de la terre » : voilà notre mission. Nous sommes ceux qui doivent empêcher que la porte de l’égoïsme du monde et de l’homme ne se referme sur l’homme, et garder grande ouverte la porte de la liberté, de l’amour, de la générosité. Si vous en restez à des mots et des discours, cela ne sert à rien. Si vous vous efforcez de garder cette porte ouverte, cela veut dire, à la suite du Christ, souvent donner sa vie.
Surtout, n’ayez pas peur. Ne dites pas : « Moi, je n’ai pas l’étoffe d’un héros, je ne vois pas comment je pourrais faire pour avoir une conduite de ce genre ». Le Seigneur lui-même vous dit : « Ne vous inquiétez pas. Si jamais vous êtes mis dans cette situation, l’Esprit du Père que je vous enverrai parlera en vous, vous dira que dire, vous donnera la force de le faire » (cf. Mt 10, 19-20).
Si nous nous fions à notre propre richesse, si nous nous traçons, de nous-mêmes, ce programme d’action, nous ne pouvons qu’être terrorisés. Comme le jeune homme riche dans l’Evangile (Mc 10, 17 sq). En courant, il vient voir Jésus sur la route et, se jetant à genoux, lui demande : « Bon maître, que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? » — « Tu connais les commandements » et Jésus les énumère. — « Tout cela, je l’ai observé dès ma jeunesse ». Alors Jésus le regarda et se prit à l’aimer ; il reconnaît en lui cet amour du Royaume de Dieu. Et il lui dit : « Une seule chose te manque : va, vends tous tes biens, donne-les aux pauvres, tu auras un trésor dans le ciel, et puis, viens, suis-moi ».
Suivre Jésus, c’est obéir à l’amour de Dieu, tout donner à Dieu. Dans cette voie, « celui qui cherche sa vie, la perdra, dit Jésus ; celui qui la perd à cause de moi la trouvera » (Mt 10, 39).
En trouvant Dieu, nous recevons plus encore que nous n’abandonnons
Alors, cet homme s’en va tout triste car il avait de grands biens ; il n’arrive pas à s’en délivrer. Et Jésus, regardant ses disciples, a cette phrase : « Qu’il sera difficile à ceux qui ont des richesses d’entrer dans le Royaume des cieux ! » Ce n’est pas seulement ni d’abord une question d’argent ; le riche de l’évangile, c’est celui qui est possédé par sa richesse. On peut être riche en ce sens avec peu d’argent, avec simplement son orgueil, sa suffisance, sa peur ; on peut être riche avec ce qui vous habite, ce qui vous possède et vous empêche d’être libre !
Pauvre richesse !
Les apôtres sont effrayés et de plus en plus déconcertés. Jésus redit : « Mes enfants, qu’il est difficile d’entrer dans le Royaume des cieux ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu ! » Cette image très forte signifie que c’est littéralement impossible. D’où la réaction des disciples :
« Alors, qui peut être sauvé ? »
Pour mettre les points sur les i, Jésus ajoute : « Aux hommes, c’est impossible, mais pas à Dieu, car tout est possible à Dieu ». C’est la phrase que l’ange Gabriel a dite à Marie le jour de l’Annonciation (Lc 1, 37) ; c’est aussi la phrase qui avait été adressée à Abraham lors de la promesse de la naissance d’Isaac (Gn 18, 14).
Vous avez à vous construire vous-mêmes
Cette phrase-là nous dit en peu de mots que nous n’avons pas à prétendre remplir cette mission de sainteté par nos pauvres forces. Nous ne pouvons la remplir qu’en nous laissant saisir par la grâce confondante de Dieu, par son amour miséricordieux qui nous transfigure, nous porte dans son pardon et nous permet de faire ce dont nous n’imaginons pas être capables.
Vous êtes les enfants de ce siècle, vous êtes la première génération du XXIe siècle. Vous entrez comme adultes dans le troisième millénaire. Vous avez une tâche précise à accomplir en suivant le Christ pour répondre à votre vocation. Mais vous avez aussi à vous construire vous-mêmes.
Au regard des pays d’Afrique, d’Asie ou d’Amérique du Sud, vous êtes issus d’un des pays du monde les plus favorisés, non seulement par la liberté civile, mais par les biens matériels. Cependant, pour beaucoup d’entre vous, vous n’avez pas appris à vous construire dans votre vie morale et votre caractère, dans votre amour de Dieu, dans la prière et l’usage des sacrements.
Souvent des journalistes tentent de m’expliquer : « La jeunesse d’aujourd’hui a abandonné l’Eglise, elle ne va plus à la messe le dimanche, elle ne se confesse plus, etc. ». Je leur réponds :« Vous rêvez ? La plupart d’entre eux ne sont jamais allés à la messe tous les dimanches ; beaucoup n’ont pas lu l’Évangile en entier ; ils n’ont pas forcément été catéchisés. J’en connais qui se présentent parce que Dieu les appelle peut-être au sacerdoce et qui n’ont pas été confirmés, quelques-uns même ne se sont jamais confessés. Ce n’est pas une génération pratiquante qui aurait abandonné la pratique, ni une génération chrétienne qui aurait cessé d’être chrétienne. Mais une génération de jeunes qui savent l’existence de cette richesse inouïe, de ce trésor qu’est l’Évangile ; ils voudraient le recueillir, l’avoir, le connaître, mais ils ne l’ont pas encore reçu, pas encore vu. Ils voudraient le voir. »
Dans votre découverte, dans votre « suite du Christ », vous devrez apprendre à vous construire vous-mêmes. Par exemple, apprendre à prier, à prier chaque jour ; apprendre à découvrir l’Eucharistie et à entrer ainsi dans ce chemin de sainteté. « Alors, me direz-vous, il faut aller à la messe tous les dimanches ou plus souvent, si on veut devenir un saint ? » Il ne faut pas “aller à la messe”, il faut comprendre que la messe, l’Eucharistie, c’est le Christ qui se rend présent, qui offre son amour à ses frères ; c’est lui qui vous invite. Il ne faut pas que vous “alliez à la messe” ; il faut que vous répondiez à l’appel du Christ, qui vous aime et vous invite à recevoir son Corps et son Sang et à retrouver des frères et des sœurs dans la foi.
Sa présence appelle votre présence.
Cette vieille femme, vous devez la voir avec les yeux du Christ
Qu’importe si vous vous trouvez à la messe dans une église perdue au fond d’une campagne ou cachée dans un faubourg de ville et ne rencontrez qu’une vieille femme. Rappelez-vous à ce moment-là celle dont Jésus a parlé à ses apôtres après l’avoir vue mettre son obole dans le tronc. Cette vieille femme qui, en apparence, n’a pas la joie de la jeunesse - votre joie que nous partageons ici et dont vous offrez le spectacle au monde -, cette vieille femme, pourtant, peut-être donne-t-elle toute sa vie, elle aussi ; et vous devez la voir avec les yeux du Christ. Même si elle ne chante pas comme vous, si elle ne danse pas comme vous, si elle ne prie pas comme vous, elle est une sœur aînée, une mère aussi, une figure de l’Église qui peut vous enseigner quelque chose de l’amour de Dieu, avec ses mots à elle qui ne sont pas les vôtres ; pour qu’à votre tour vous soyez des témoins.
Y a-t-il des différences entre un homme vertueux et un homme saint ?
Prenons l’exemple du Curé d’Ars. C’était un prêtre du XIXe siècle, fils de paysans, au lendemain de la Révolution française et de l’Empire. Imprégné de la foi chrétienne par sa famille, il a été formé hâtivement. Il a passé sa vie à confesser dans un petit village perdu qui est devenu un lieu où les foules se sont précipitées pour prier, se convertir, se confesser, y compris les gens les plus huppés et les plus savants de l’époque. Le Curé d’Ars qui était un homme simple, droit, priait constamment et donnait sa vie comme serviteur de Jésus et du pardon de Dieu ; il passait son temps à dire : « Je ne suis qu’un pauvre pécheur ».
Dieu fera de vous des saints
L’homme vertueux ne dira pas forcément cela, conscient de la vertu qu’il s’efforce d’acquérir. Le saint, lui, plus il avance en sainteté, plus il suit Jésus, plus il s’en découvre indigne.
Pourquoi ? Est-ce une maladie mentale ?
Qu’est-ce que devenir saint ? C’est être saisi par l’amour dont Dieu nous aime. L’amour dont le Père nous aime en nous donnant son Fils, en nous pardonnant nos péchés, en nous transfigurant, en nous permettant de faire ce que nous n’aurions pas eu la force de faire, c’est-à-dire d’aimer comme Jésus nous aime. Plus nous découvrons l’amour, plus nous reconnaissons que nous ne savons pas aimer, que nous n’en sommes pas dignes.
C’est le grand saint qui prend conscience peu à peu qu’il est un homme pécheur. Celui qui n’aime pas ne sait pas qu’il manque à l’amour. Tant qu’il ne s’est pas laissé toucher par l’amour du Christ et ne l’a pas découvert, il ne se rend pas compte encore à quel point il aime peu.
Lorsque vous vous interrogez sur votre vie, vous vous dites : « Je ne fais pas tellement de choses mauvaises, en gros ; il y a bien ceci, il y a bien cela, mais enfin c’est vite dit. A part cela, qu’est-ce que je fais de mal ? Pas grand’chose, des broutilles ! Que dois-je faire de plus ? »
Réponse : Tournez votre regard vers le Christ ; priez ; découvrez la grandeur de son amour ; contemplez le mystère de la Croix ; regardez le Christ qui vous donne la Vie ; laissez-vous saisir par la grandeur de l’amour dont il vous aime. Alors dans sa miséricorde, dans son amour, vous découvrirez le péché, vous découvrirez que vous n’êtes pas saints. C’est lui qui vous sanctifie. C’est lui qui fera de vous des saints.
+ Jean-Marie cardinal Lustiger