Discours de Mgr André Vingt-Trois pour la clôture de l’Assemblée plénière des évêques de France
Lourdes - le 8 novembre 2007
L’Assemblée plénière s’est terminée le 8 novembre 2007 par le discours de clôture de Mgr André Vingt-Trois, nouveau président de la Conférence des évêques de France. Revenant sur les trois sujets abordés lors de cette assemblée, il a, en conclusion de son discours, appelé ses frêres évêques à raviver l’espérance, la sérénité et la joie.
Chers frères et amis,
Arrivant au terme de cette assemblée, il me revient de la conclure pour la première fois. Si je le fais maladroitement, vous me pardonnerez sans doute puisque c’est vous qui l’avez voulu ! Je voudrais d’abord vous remercier de la confiance que m’avez manifestée en m’élisant pour présider la Conférence épiscopale pendant les trois années qui viennent. Avec les deux vice-présidents et le conseil permanent que vous avez choisis, j’essaierai de faire ce que je pourrai pour conduire nos travaux.
En notre nom à tous je veux renouveler nos remerciements au cardinal Ricard, à Mgr Pontier et Mgr Papin pour leur service attentionné durant la période écoulée. Sans doute faut-il ne pas oublier d’associer à nos remerciements les diocésains de Bordeaux, de Marseille et de Nancy qui vont retrouver leur évêque à plein temps ! Nous savons combien l’équipe du Secrétariat Général les a secondés et soutenus dans cette période délicate et nous sommes heureux que Mgr Lalanne, arrivé au terme de son mandat, ne soit pas privé de la joie de nos assemblées. Je voudrais aussi remercier nos invités de cette session, les évêques étrangers qui ont bien voulu s’associer fraternellement à notre travail en signe de communion, ceux qui sont venus répondre à nos questions et encore les représentants des autres Églises chrétiennes dont la présence, chaque année, est pour nous un gage d’espérance dans le grand don de l’unité.
Comme à l’ordinaire, la fin de notre assemblée apporte un mélange subtil de satisfaction et de frustration. Oui, nous sommes satisfaits de ce temps fraternel vécu ensemble, de notre prière commune, de nos échanges très libres. Oui, nous sommes heureux d’avoir pu percevoir ensemble tant de signes de la vitalité de notre Église à travers les diverses interventions. Cette vitalité a encore été éclatante lors du récent congrès Ecclesia 2007. Mais nous sommes aussi frustrés, comme chaque fois, par le sentiment d’avoir seulement effleuré des sujets dont chacun aurait mérité à lui seul une session de huit jours. Nous savons combien les groupes de travail se sont investis dans la production de leurs documents et nous leur en sommes reconnaissants. Pourtant, nous avons du mal à nous défaire d’une impression d’inachevé. Je voudrais nous encourager à ne pas voir l’assemblée comme le lieu de l’achèvement d’une réflexion nécessairement sanctionnée par des « textes inspirés » à rapporter dans nos diocèses. Ce que nous retirons de plus fort de nos échanges, c’est d’être sensibilisés à des questions qui touchent notre mission de près et pourvus de nouveaux éléments pour aborder notre propre terrain pastoral avec des outils plus affinés et surtout une détermination nouvelle. Faut-il aller jusqu’à nous réjouir de cet inachèvement qui laisse entiers les chantiers vers lesquels nous allons maintenant repartir ? Je le crois volontiers. Pour ce premier discours de conclusion, permettez-moi un peu de folie.
En notre nom à tous, je voudrais d’abord saluer affectueusement tous ceux que le Seigneur nous donne comme collaborateurs pour le champ de la moisson : les prêtres, les diacres, les consacrés et tous les fidèles de notre Église. Notre travail sur le ministère des prêtres dans les communautés chrétiennes, nous a permis de mieux analyser comment ceux que le Christ a choisis pour être les pasteurs de son Église sont soumis à des pressions de toute sorte. Nous savons la souffrance qu’ils éprouvent de ne pas pouvoir faire tout ce qui leur est demandé jour après jour.
La réduction numérique comme les mouvements sociologiques des populations, les soumettent sans cesse à de nouveaux défis. Ils y font face avec générosité et courage, complètement donnés à la mission qu’ils ont reçue et investis tout entiers dans l’amour du peuple qui leur est confié, de tout le peuple : des chrétiens avec leurs différents degrés d’implication mais aussi des membres d’autres religions et des personnes sans religion déclarée. A l’exemple du Christ qui livre sa vie pour la multitude, ils se veulent proches de tous les hommes. Dans la situation que nous connaissons, cette proximité doit se vivre dans la communion ecclésiale telle que le concile Vatican II l’a mise en valeur, associant dans un même envoi tous les baptisés confirmés.
Chaque jour, chacun de nous doit s’engager dans un travail de discernement pour faire mieux fonctionner l’articulation entre les ministères ordonnés et l’ensemble des communautés. Si ce discernement peut et doit être éclairé par nos travaux et nos échanges, il ne peut pas être formaté par une théorie générale du fonctionnement de l’Église que nous aurions la prétention d’élaborer dans la situation aseptisée de nos rencontres épiscopales. C’est, j’en suis convaincu, dans nos Églises particulières, dans le travail continu de nos visites pastorales et de nos rencontres avec les prêtres et les communautés que nous devons le vivre.
Cependant nos échanges nous ont permis de mettre à jour, au moins en partie, des éléments structurants de ce discernement. Ces éléments peuvent nous servir de boussole. Je voudrais au moins en souligner deux.
* La participation des prêtres au ministère apostolique est synthétisée par le concile Vatican II dans les tria munera, les trois dimensions de la charge apostolique : enseigner, sanctifier et gouverner. Pourquoi ne pas repartir de ces trois charges pour inventorier et hiérarchiser les tâches quotidiennes des prêtres ? La catéchèse et la formation, la vie sacramentelle et le ministère de communion peuvent être nommés comme des objectifs prioritaires pour lesquels on peut renoncer à un certain nombre de tâches annexes. En tout cas, ils sont un bon repère pour intégrer spirituellement les diverses obligations quotidiennes et les orienter vers un horizon plus vaste.
* La vie missionnaire de l’Église. C’est une donnée fondamentale et structurante de toute vie à la suite du Christ. Beaucoup de catholiques n’ont pas encore réalisé la situation de notre Église dans une société pluri-culturelle et pluri-religieuse. Ils n’ont surtout pas mesuré la progression de l’indifférence religieuse dans notre culture. Certains s’étonnent et souffrent même de l’indifférence, du mépris, voire de l’hostilité. Nous l’avons déjà exprimé en 1996 dans notre Lettre aux catholiques de France : cette expérience ne nous pousse pas à vivre en ghetto ; elle nous stimule. Intégrer les impératifs de l’évangélisation, qu’elle soit nouvelle ou ancienne, est une tâche permanente dont ont ne peut jamais présumer qu’elle est achevée. Plus profondément, l’exigence missionnaire n’est pas simplement une réponse à un état supposé de la christianisation plus ou moins avancée d’une société. Elle est le dynamisme même de la charité et de la communion au Christ. La richesse de la Révélation accueillie n’est jamais un bien dont on pourrait jouir en repos. Elle n’est réellement reçue que si elle s’épanouit dans une volonté de partage avec nos contemporains.
Comme nous l’avons vu dans notre travail sur la rencontre des musulmans en France, notre identité ne se définit pas par le besoin de nous distinguer d’autres identités ni de leurs manifestations. Elle se concrétise par le désir d’être fidèles à Jésus-Christ, seul sauveur des hommes, par notre fidélité à sa parole et à la rencontre de ceux qu’il met sur notre route. C‘est précisément notre foi qui nous appelle à rencontrer les autres croyants sans angoisse, avec un intérêt né de l’amour. C’est ainsi que nous souhaitons rencontrer les musulmans de nos cités. C’est ainsi que nous développons un dialogue plus profond avec les juifs dont nous n’oublions pas qu’ils sont « en quelque manière nos frères aînés. »
Dans une société qui fait de la protection un slogan politique et de la proximité et de la compassion un exercice médiatique, il me semble que notre approche du salut mériterait d’être approfondie. Que sommes-nous prêts à répondre à la question de tant de gens, et surtout de jeunes : la foi, à quoi ça sert ? Quelle est la valeur ajoutée que nous apportons à toutes les propositions d’aide en tout genre et de protection « providentielle » ?
Sans doute, notre communion au Christ Sauveur n’est-elle pas facile à communiquer, mais elle le serait moins encore si les chrétiens étaient incertains ou, pire, honteux de ce qu’ils reçoivent du Christ. Approfondir le contenu de notre espérance nous permet d’être plus audacieux dans nos actions diverses et plus clairs aussi dans notre manière d’être dans la société et dans la collaboration avec nos concitoyens.
Si connaître le Christ, vivre du Christ, aimer le Christ, est une richesse, de quel droit prendrions-nous notre parti de ce que tant de nos contemporains puissent vivre à l’écart de cette richesse ? L’Église que nous essayons de vivre et de faire vivre, c’est l’amour de Dieu manifesté à l’humanité, c’est le Christ présent et offert à tout homme. Notre premier objectif est toujours de vivre cette présence dans toutes les situations humaines et de l’annoncer, à temps et à contre temps, y compris dans les situations de détresse. C’est à travers ses disciples que cette présence du Christ se révèle.
C’est dans cette perspective que nous avons reçu les responsables du Secours Catholique et du C.C.F.D. Avec d’autres organisations, ils sont financés et soutenus par l’Église pour manifester, dans des Églises locales et en accord avec elles, la présence et la solidarité des chrétiens vis-à-vis de tous ceux qui souffrent. Ils sont nos ambassadeurs pour témoigner que le « salut est arrivé dans cette maison…Le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » (Luc 19, 10). L’engagement de la charité prend forme dans des gestes très simples d’attention et d’amour. Il suppose surtout des actions structurées au service de la justice qui combattent les causes de la misère. Comme pasteurs de l’Église qui est en France, il est juste et nécessaire que nous exercions notre responsabilité à l’égard de ces organisations et que nous soyons garants envers les fidèles de l’orientation ecclésiale de leurs projets.
Le travail sur la formation des prêtres que nous venons de commencer doit être lui aussi animé par l’ambition missionnaire. Je suis convaincu que cette orientation missionnaire est la condition nécessaire pour que notre appel incessant à trouver des ouvriers pour la moisson soit entendu et trouve un écho dans la générosité de la jeunesse. Je sais que je parle en notre nom à tous quand je lance solennellement un appel pour que des hommes généreux soient recherchés et sollicités pour recevoir l’ordination en vue de la mission. Cette mission ne sera pas réellement assumée par l’Église si nous ne répercutons pas cet appel. Et quand je dis « nous », je pense non seulement aux évêques et aux prêtres, mais à tout le corps ecclésial qui doit se préoccuper de son avenir par la prière, l’apprentissage du service désintéressé des autres et l’élan missionnaire. C’est toute l’Église qui doit estimer, aimer et soutenir ses prêtres et ses diacres, comme aussi celles et ceux qui sont engagés dans la vie consacrée.
Notre mission, c’est aussi d’alerter les consciences de nos contemporains. Nous le savons, les occasions ne manquent pas. La prochaine révision des lois de bioéthique supposera des interventions qualifiées auxquelles une cellule de notre conférence travaille déjà. Mais, plus profondément que les prises de position nécessaires sur tel ou tel sujet particulier, c’est tout un état d’esprit qui est en cause, une mentalité. Tous doivent travailler à ce niveau de profondeur où affleure la question de l’homme, de sa dignité et de sa vocation. Nous ne pouvons rester comme des chiens muets quand nous voyons se développer une sorte d’instrumentalisation rampante de la personne humaine. On le constate aussi bien dans les domaines économiques et sociaux que dans le domaine de la bioéthique. Jusqu’où irons-nous dans l’utilisation et l’exploitation de l’être humain pour la satisfaction de nos désirs, même légitimes, même généreux ? C’est à la lente transformation des attentes et des requêtes de nos contemporains que nous devons travailler sans relâche. Nous devons avoir le courage de leur dire que notre mode de vie actuel ne pourra pas être préservé sans grave dommage pour l’avenir : dommage écologique mais aussi dommage financier des dépenses faites sur le compte des générations futures, misère culturelle et misère affective.
C’est à ce niveau de réflexion que se situent les questions que nous avons posées à propos du téléthon. Nous pensons d’abord aux jeunes malades et à leurs familles, à leurs espoirs de guérison et à leur courage. Nous admirons la générosité qui anime ceux qui participent au téléthon et nous n’avons pas l’intention de jeter le discrédit sur cette générosité qui porte des fruits. Des chrétiens nombreux se joignent à ce grand mouvement de solidarité comme à d’autres initiatives qui ne sont pour autant ni confessionnelles ni implantées dans des organisations ecclésiales. Mais la générosité ne légitime pas tout. Nous souhaitons donc que chacun réfléchisse et que soient entendues les graves questions que nous avons soulevées : tri embryonnaire, utilisation des cellules embryonnaires et médiatisation de jeunes malades. Ces questions ne sont pas seulement les nôtres, mais nous devons les formuler.
Au moment de nous séparer, je voudrais raviver en nous l’espérance, la sérénité et la joie. Certes, nous sommes convaincus qu’elles sont des dons de l’Esprit-Saint. Mais comme tous les dons de Dieu, nous avons à les cultiver pour leur faire porter du fruit. L’espérance se nourrit dans notre prière, la sérénité se fortifie par notre confiance en Dieu, et la joie reçue se partage. Dans un temps où beaucoup vivent dans la préoccupation de l’avenir, parfois jusqu’à l’anxiété, la foi qui nous habite fait de nous des témoins d’une autre manière d’aborder l’existence et ses aléas ; une manière de vivre fondée sur la certitude que Dieu n’abandonne jamais les siens. C’est aussi notre mission paternelle d’être pour tous, prêtres diacres, consacrés et laïcs des témoins de cette foi indéracinable et de devenir vraiment les « rochers » dont ils ont besoin pour s’engager sans crainte dans l’aventure de la mission. Dans un environnement plus réactif au choc des images qu’à l’importance réelle des problèmes, nous devons être des facteurs de sérénité et de calme. Et, par-dessus tout, nous devons affronter les difficultés dans la certitude que l’objectif de Dieu est le bonheur de l’homme.
« Qui nous séparera de l’amour du Christ ? La tribulation, l’angoisse, la persécution, la faim, la nudité, les périls, le glaive ?... Mais en tout cela nous sommes les grands vainqueurs grâce à celui qui nous a aimés. Oui, j’en ai l’assurance, ni la mort, ni la vie, ni anges ni principautés, ni présent ni avenir, ni puissances, ni hauteur ni profondeur, ni aucune autre créature ne pourra nous séparer de l’amour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur. » (Rom. 8, 35…39)
+ Mgr André Vingt-Trois,
Archevêque de Paris
Président de la Conférence des évêques de France