« Le sens de la fidélité et de la persévérance »
Paris Notre-Dame du 12 janvier 2023
Le cardinal André Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris, a été créé cardinal en 2007 par Benoît XVI. En tant que tel et en tant que président de la Conférence des évêques de France de 2007 à 2013, il a été amené à travailler au service de l’Église à ses côtés. C’est lui qui l’a accueilli à Paris, en 2008. Interview.
L’interview, jamais publiée jusqu’à ce jour, a été réalisée début 2018.
Paris Notre-Dame – Pour vous, qui était le pape Benoît XVI ?
Cardinal André Vingt-Trois – Un grand personnage qui était avant tout un grand théologien. Élu pape à l’âge de 78 ans, il consacra une grande partie de son ministère à la théologie et à son enseignement dans différentes universités allemandes avant de devenir préfet pour la Congrégation pour la doctrine de la foi, sous Jean-Paul II. Au cours des visites ad limina, les évêques de France rencontrent les responsables des différents services du Vatican. Quand il était à la Congrégation pour la doctrine de la foi, il y avait toujours une rencontre avec lui. Elle avait généralement lieu le samedi matin. Avec le cardinal Jean-Marie Lustiger, alors archevêque de Paris, ils se mettaient d’accord sur un sujet d’échange. Le cardinal Lustiger faisait une petite introduction et le cardinal Ratzinger prenait la suite pendant une demi-heure, trois quarts d’heure, en développant ses hypothèses, ses remarques, ses conclusions. C’était toujours éblouissant de clarté, de précision et de modestie. Son intervention ne prenait jamais la forme d’une affirmation péremptoire mais consistait plutôt à donner des pistes de travail et de réflexion en ouvrant un dialogue avec les évêques. Je trouvais ces moments absolument extraordinaires. Je me rappelle en particulier une séance très forte autour de la rencontre avec les religions non chrétiennes. La question était de chercher comment faire pour que cette rencontre – qui pouvait soit prendre le chemin d’une sorte d’exclusion mutuelle soit d’une sorte de syncrétisme – puisse évoluer vers un engagement dans un dialogue en vérité où chacun est respecté dans ce qu’il croit mais où chacun accepte d’entrer en dialogue avec l’autre.
P. N.-D. – Que retenez-vous de l’homme qu’il était ?
A. V.-T. – Son extrême simplicité et sa profonde humilité. C’était un homme avec qui on pouvait entrer en relation sans aucun à priori. Il était toujours attentif à écouter l’autre, à se mettre à sa disposition sans s’appuyer sur l’appareil de ses titres ou de ses compétences pour écraser son interlocuteur. Au contraire, il se mettait toujours dans une posture pour aider l’autre à cheminer, à progresser. Il était très encourageant, toujours disposé à réconforter.
P. N.-D. – En tant qu’archevêque de Paris, vous l’avez accueilli en 2008. Comment avez-vous vécu cette visite ?
A. V.-T. – J’en ai été très impressionné. Il avait déjà engagé depuis longtemps un travail théologique sur la rencontre entre la foi et la raison, entre la foi et la culture. Il était convaincu que la foi au Christ donnait une dimension nouvelle à la culture humaine. Très bon connaisseur de la culture française, il considérait que l’histoire et la culture françaises étaient des éléments importants de ce dialogue avec la foi. Je pense qu’en 2008, le moment était opportun pour exprimer quelque chose de ce lien entre la foi chrétienne et la culture. Afin de montrer à la fois comment le développement de la foi chrétienne avait été une des bases de l’élaboration de la culture européenne et à la fois comment la foi chrétienne était équipée pour affronter les défis de la culture contemporaine. Cela a été l’objet de son grand discours au Collège des Bernardins (5e) à Paris. En sortant du Collège pour rejoindre Notre-Dame, il y avait une foule immense sur les trottoirs. Il n’en revenait pas, me disait que c’était extraordinaire. Beaucoup de jeunes étaient là. On sentait une vraie attente par rapport à lui, attente qui s’est confirmée le lendemain à la messe sur l’esplanade des Invalides (7e). Ce fut un grand rassemblement populaire.
P. N.-D. – Comment définiriez-vous son pontificat ?
A. V.-T. – Une dimension importante de son pontificat, il me semble, a été la conviction que l’Europe était un élément déterminant de l’avenir de l’humanité. Pas du point de vue des forces économiques ou militaires mais du point de vue de l’influence culturelle. Il pensait que toute une dimension de la capacité de penser l’universalité faisait partie du patrimoine européen.
P. N.-D. – Benoît XVI a décidé, en 2013, de démissionner. Que signifie, selon vous, cette décision ?
A. V.-T. – Elle se comprend à travers deux dimensions de sa personnalité : sa lucidité rationnelle qui lui a fait estimer qu’il n’avait plus la force d’exercer pleinement son ministère, et son humilité foncière. Benoît XVI pensait que ce n’était pas Ratzinger qui était le chef de l’Église. Et donc que si Ratzinger faisait défaut, l’Église continuerait.
P. N.-D. – Qu’a-t-il apporté à l’Église et à l’Église de France plus particulièrement ?
A. V.-T. – Le sens de la fidélité et de la persévérance. Il a accepté de devenir pape à 78 ans, ce qui n’est pas évident. Je crois par ailleurs qu’il a apporté une forme de conviction que la foi chrétienne peut être une ressource pour comprendre la situation de l’homme aujourd’hui. Publiquement, il ne s’est pas beaucoup adressé à l’Église de France. En revanche, il a apporté beaucoup de considération, de bienveillance, à un moment où, à Rome, tout le monde ne le faisait pas. Certains considéraient qu’elle n’était pas fidèle à sa mission. Il n’a jamais participé à cette critique, au contraire. Je pense notamment à la visite ad limina que nous avions faite sous son pontificat. Je me souviens de la rencontre du groupe des évêques avec Benoît XVI qui avait duré près de deux heures. Cela avait été l’occasion d’un dialogue ouvert où il répondait aux questions des évêques par le terrain pastoral. Il les encourageait à exercer leur ministère d’évêque autrement qu’en étant des préfets appliquant la loi générale.
Propos recueillis par Isabelle Demangeat @LaZaab
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