Message du Cardinal Vingt-Trois aux laïcs et aux prêtres en responsabilité pastorale auprès des adolescents
Paris – 16 octobre 2008
Le 16 octobre, le cardinal André Vingt-Trois avait invité les laïcs et prêtres en responsabilité auprès des adolescents à le rencontrer au Collège des Bernardins. Le Pape Benoît XVI l’ayant appelé à participer au synode, le cardinal Vingt-Trois n’a pas pu participer à cette rencontre, il a donc enregistré un message vidéo dont voici la retranscription écrite.
Je suis très heureux de vous parler ce soir, même si j’aurais été plus heureux encore d’être avec vous. Mais comme vous le savez, le Pape m’a demandé de participer à la Session du Synode des évêques, et je suis donc à Rome. Cependant, pour cette première rencontre entre les animateurs de la Pastorale de jeunes de différents secteurs et de différents niveaux, j’ai pensé qu’il était bon que je puisse vous adresser quelques paroles.
La première chose que je voudrais vous dire est que l’action et la pastorale auprès des jeunes est bien évidemment pour moi quelque chose de tout à fait décisif. Et ceci pour deux raisons. D’abord parce que tous les jeunes méritent que l’on s’occupe d’eux, et ensuite parce qu’à travers notre présence et notre action auprès d’eux, nous essayons - et j’espère que nous réussissons un peu - de préparer l’avenir de la vie de l’Évangile dans notre pays et dans notre Église. C’est donc un enjeu considérable ! De même, il est essentiel que les jeunes aient le témoignage d’adultes qui leur donnent quelque chose de ce qu’ils ont reçu et leur permettent de découvrir que Jésus-Christ peut jouer un rôle important dans leur existence à eux.
Le deuxième point que je voudrais aborder est le suivant : quand nous essayons de réfléchir sur ce que nous faisons auprès des jeunes, il nous faut toujours faire l’effort de nous positionner, non pas par rapport à nous-mêmes ou à nos organisations, mais par rapport aux jeunes auxquels nous voulons nous adresser et que nous cherchons à atteindre. Notre organisation doit être au service de ce projet de rejoindre et rencontrer les jeunes. Or il m’a semblé que dans l’évolution de la situation des collégiens et des adolescents dans la ville de Paris, nous assistons à un recoupement des domaines dans lesquels les jeunes sont impliqués, et ce depuis un certain nombre d’années, mais de façon peut-être un peu plus accélérée ces derniers temps. Ainsi aujourd’hui l’appartenance à tel ou tel collège est souvent moins déterminante pour eux que le fait d’avoir appartenu à tel groupe de copains dans leur quartier, ou à tel mouvement, tel groupe scout, ou telle équipe de servants d’autel, etc. Dès lors, si nous continuons à développer les activités de tous ces groupes de façon parallèle, - à supposer que nous aurions le moyen de le faire, ce qui n’est pas sûr - nous risquons de ne pas rejoindre les jeunes que nous voulons atteindre. C’est pourquoi j’ai suggéré, qu’à l’exemple de ce qui se fait dans un certain nombre de paroisses parisiennes depuis déjà plusieurs années, nous nous acheminions vers des pôles adolescence paroissiaux. Leur mission serait de coordonner et de rassembler tous les efforts qui sont faits pour rejoindre les jeunes, et en particulier les adolescents, en s’appuyant sur le cadre paroissial, tout en assumant l’accompagnement d’une aumônerie s’il y a un collège ou un lycée à proximité, de façon à arrêter de se disperser dans toutes les directions.
Pour les mêmes raisons, j’ai souhaité qu’on développe le service de la pastorale des jeunes. Sa mission déborde la tranche d’âge de l’adolescence et va pratiquement de la sixième aux jeunes adultes. Il doit coordonner toutes les initiatives, toutes les formes de rencontres, de célébrations et de propositions qui peuvent être faites pour les collégiens, les lycéens, les étudiants, ou les jeunes professionnels. En effet, puisque là aussi nous avons peu de moyens nouveaux à investir, nous devons resserrer le dispositif de façon à ce que le travail qui est fait profite au plus grand nombre.
Un troisième aspect concerne le discours sur les jeunes et sur la jeunesse. On parle beaucoup d’une jeunesse dont on suppose qu’elle existe comme telle mais qui en fait n’existe pas. Il n’y a pas une jeunesse comme si l’âge définissait complètement une façon de vivre. Il y a des jeunesses, des collégiens, des lycéens, des servants d’autel, des scouts, des étudiants, des jeunes professionnels. Tous font partie de la jeunesse mais ne sont pas une jeunesse. Quand on parle de la jeunesse au singulier c’est malheureusement trop souvent pour relever les problèmes ou les questions que posent certains jeunes ou plus largement le fait d’être jeune. Et ceci conduit à porter sur tous les jeunes un regard négatif ou en tout cas un regard soupçonneux, alors qu’ils ne sont pas la jeunesse mais qui sont les jeunes. Je voudrais que dans nos initiatives chrétiennes et nos démarches en direction des jeunes, nous soyons au moins capables de nous affranchir de ce regard soupçonneux porté sur eux. Non que les jeunes soient parfaits, mais parce qu’ils sont en voie d’acquérir une personnalité, de se développer, de trouver leur identité, comme le mot jeune l’indique précisément. Il est normal qu’ils ne soient pas « achevés » à douze, quinze, seize ou dix-huit ans. C’est pourquoi nous devons être attentifs à souligner dans ce qu’ils vivent, les éléments positifs qui les aident à progresser et à épanouir ce qu’il y a en eux d’espérance et de générosité. Nous ne pouvons porter sur les jeunes un regard de déception ni un regard dévalorisant, comme s’ils étaient moins bons que les jeunes d’il y a cinquante ans. Nous cherchons à porter sur eux un regard d’espérance parce que c’est comme cela que le Christ les voit. Il les appelle à devenir des saints et peut leur en donner les moyens. Si nous, qui croyons à la puissance de la résurrection du Christ, ne sommes pas capables d’affronter les difficultés et les tensions que les jeunes connaissent, comment imaginer qu’ils puissent croire ce que nous croyons !?
Maintenant, je voudrais évoquer trois points d’attention sur ce que nous pouvons faire avec ces jeunes.
1. Comment imaginons-nous et mettons-nous en œuvre des activités pour les jeunes à l’intérieur de nos communautés ? On ne peut pas continuer indéfiniment à déplorer que les jeunes soient absents de la messe du dimanche ou de la vie des communautés chrétiennes si, quand ils sont là, on ne sait pas quelle tâche ou quelle mission leur donner. Pourquoi voulez-vous qu’ils viennent s’asseoir et s’ennuyer à côté de vous sans avoir rien à faire, alors qu’ils peuvent déjà connaître cette situation six jours par semaine et n’ont pas besoin d’en rajouter un septième ?! Si nous voulons qu’ils participent réellement, il faut que nous inventions la manière dont ils peuvent participer. Il nous faut être imaginatifs pour trouver des gestes, des démarches et des actes qui mettent en œuvre leur capacité de participer et de faire quelque chose. Ce ne sera évidemment pas la même chose avec des enfants de sixième cinquième ou avec des étudiants. Mais encore faut-il trouver comment ils peuvent accomplir quelque chose d’utile.
2. Pour les jeunes entre douze et dix-huit ou vingt ans la question décisive est de les aider à progresser dans la liberté. Ils vivent dans une société du conditionnement. Ils sont formatés par la publicité, par l’appel à la consommation, par la pensée et le modèle de vie uniques. Si nous voulons qu’ils développent leur capacité personnelle d’assumer leur vie et de décider de ce qu’ils vont faire, il faut les entraîner à être libres. Or il n’y a pas cinq cents formes d’entraînement à la liberté possible, mais une seule, qui consiste à apprendre à choisir, à apprendre à décider de faire quelque chose en refusant de faire autre chose. D’où l’importance de tout ce que nous pouvons offrir aux jeunes comme choix non obligatoires : « Si tu veux tu peux : Est-ce que tu veux ? Est-ce que cela t’intéresse ? » Dans les activités que nous proposons il est normal que certaines soient définies et obligatoires. Mais il est juste aussi que certaines d’entre elles soient libres. Ces dernières sont tout sont aussi importantes que les autres et méritent toute notre attention, car c’est à travers leur décision personnelle d’y participer que ces jeunes grandissent dans la liberté.
3. Il est particulièrement important de se demander comment nous entraînons et accompagnons les jeunes dans l’expérience de la rencontre personnelle avec le Christ ? Ils ne peuvent pas devenir eux-mêmes et ils ne peuvent pas devenir chrétiens si le Christ n’est pas quelqu’un pour eux. Et le Christ ne sera quelqu’un pour eux que quand ils auront commencé à être en relation personnelle avec Lui. C’est-à-dire quand ils auront appris à prier, pas simplement en disant des prières mais en passant du temps dans une relation intime avec le Christ.
Avec ces trois objectifs (proposer des activités, stimuler la liberté, encourager et nourrir la rencontre avec le Christ), nous pouvons bâtir un programme pour les activités de nos groupes de jeunes. Celles ci se déploient dans les rencontres habituelles, et aussi à travers des propositions un peu exceptionnelles comme les week-ends, les récollections, les rassemblements...
Deux remarques pour finir :
La catégorie des lycéens est une catégorie très spécifique. Ils ne sont plus des enfants mais ne sont pas encore des étudiants. Cette étape ne dure pas longtemps : deux années plus une, seconde, première, et terminale qui, avec de la chance, se termine par le Bac. Mais l’année de terminale est occupée par cette perspective et nous ne disposons en fait que de deux ans et quelques mois. Or dans cette période se mettent en place des éléments déterminants pour l’avenir : on y fait des choix d’orientations, l’affectivité prend une dimension nouvelle, et l’on doit se poser la question de ce que l’on va devenir (et si cette question ne vient pas, il faudra la provoquer). Les jeunes de seconde, première et terminale ne vivent plus les préoccupations des collégiens. Ils n’ont plus les mêmes questions, ni les mêmes manières d’aborder ces questions. Ils méritent que nous leur accordions plus d’importance. C’est pourquoi je suis soucieux que dans nos aumôneries et nos groupes de jeunes, nous soyons très attentifs à ne pas laisser échapper le second cycle. Dans beaucoup de lycées parisiens l’entrée en second cycle est l’occasion d’une redistribution des effectifs. Il n’y a pas de continuité entre le collège et le lycée, et on se retrouve avec des jeunes qui viennent d’un peu partout. Même si un groupe d’une dizaine ou d’une quinzaine de lycéens peut fonctionner, cela représente souvent peu. L’enjeu mériterait donc que l’on aille chercher ceux qui sont nouveaux dans le dispositif puisqu’ils sont entrés en seconde. Et l’attention pour le second cycle requiert aussi de se préoccuper de ce que l’on fait avec eux. Leur progression à la fois dans les études et dans leur maturité personnelle suppose un autre type d’activités que celles que l’on peut avoir avec des cinquièmes, des quatrièmes ou des troisièmes. Nous devons les prendre séparément et les traiter « comme des grands ».
Enfin, il est très important de découvrir et de mettre en œuvre la dimension universelle de l’Église à travers les activités proposées. Nous savons qu’il est très difficile de rassembler de nombreux jeunes, de les faire sortir de leurs cercles et de les faire aller à la rencontre des autres. Nous peinons à les convaincre que nous ne pouvons pas tout faire entre nous. Pourtant il nous faut ouvrir nos activités sur une communauté plus large. L’intérêt du Pôle adolescence dans une paroisse est qu’il ne repose pas seulement sur une tranche d’âge mais sur une communauté avec ses différentes composantes. Une dimension plus large encore est offerte par la participation aux activités diocésaines. Un rassemblement d’envergure auquel un jeune a pu participer, bien loin de le faire fuir son implication dans la vie de sa communauté propre l’incite au contraire à s’y donner davantage. De plus, nos jeunes découvrent à travers ces rassemblements, que la vie de l’Eglise n’est pas simplement un réseau de relations naturelles avec les gens que l’on connaît, les amis que l’on a, les adultes auxquels on est habitué, et les personnes de son quartier, mais que la vie chrétienne dépasse toutes ces cercles pour atteindre une dimension universelle.
André cardinal Vingt-Trois
archevêque de Paris