Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Troisième dimanche de l’Avent – Année A
Dimanche 12 décembre 2010 – Saint-Denys du Saint Sacrement (Paris IIIe)
Les chrétiens peuvent être attistés par la dimension matérielle et désabusée de la fête de Noël. S’ils témoignent des signes du Salut et annoncent la Bonne Nouvelle aux pauvres, s’ils vivent la persévérance et la patience, le monde reconnaîtra la venue du Sauveur de tous les hommes.
– Is 35, 1-6a.10 ; Ps 145, 7-10 ; Jc 5, 7-10 ; Mt 11, 2-11
Frères et Sœurs,
Les magasins sont ouverts, et pour encore quelques jours, les gens se pressent de toutes parts pour admirer les vitrines, acheter les cadeaux, préparer et vivre « de bonnes fêtes ». Et nous, chrétiens, nous avons facilement un regard un peu désabusé sur cette frénésie qui règne un peu partout. Nous pressentons bien que derrière cette exubérance se cachent parfois difficilement des craintes, des tristesses ou des angoisses : toute cette précipitation n’est-elle pas le moyen d’oublier quelques instants la réalité, de vivre ce que nous avons appelé « la trêve des confiseurs » ? Peut-être même sommes-nous un peu mécontents et déçus que cette fête de la Nativité du Sauveur qui est pour nous si importante soit finalement aussi mal comprise et mal reçue, et que l’on se contente de réduire la venue en ce monde du Messie promis par Dieu à la fête des enfants ou à la fête de l’enfance. Faut-il alors que nous aussi nous nous laissions entrainer par le désenchantement et la tristesse, en nous disant que finalement on va peut-être faire la fête mais qu’au fond Noël ne change rien du tout !?
Le début du chapitre 11 de l’évangile selon saint Matthieu, nous permet peut-être de prendre quelques leçons de modestie et de reconsidérer notre déception. Jean-Baptiste, celui qui a été envoyé en avant de Jésus pour préparer sa venue et disposer les cœurs à l’accueillir, est troublé : « Est-il bien celui qui doit venir ? Ou devons-nous en attendre un autre ? » (Mt 11, 4) Si Jean-Baptiste lui-même se pose des questions sur Jésus, on peut comprendre qu’un certain nombre d’hommes et de femmes à travers l’histoire et aujourd’hui puissent aussi se demander : « Est-il bien le Messie, le Fils de Dieu ? Mais si sa venue ne semble n’avoir rien changé et si la vie est toujours aussi dure, faut-il attendre encore, plus tard, une autre génération, pour voir enfin les promesses de Dieu s’accomplir ? »
Nous connaissons la réponse de Jésus aux envoyés de Jean : « Allez rapportez ce que vous entendez et voyez : les aveugles voient, les boiteux marchent, les lépreux sont purifiés, les sourds entendent, les morts ressuscitent et la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres » (Mt 11, 4-5). Ces sont les signes de la venue du Messie, que le prophète Isaïe avait annoncés (Is 35, 5-6) et que le Christ vient accomplir.
Mais, pour nous, comment les promesses de Dieu continent-elles à se réaliser aujourd’hui ? Qui rend la vue aux aveugles ? Où prend-on soin des boiteux, des lépreux, des sourds ? Qui annonce la résurrection des morts et la Bonne Nouvelle pour les pauvres ? Car au fond, si nos contemporains choisissent de faire la fête pour cacher leur manque d’espérance, n’est-ce pas parce qu’ils ne perçoivent pas que les disciples de Jésus prennent aujourd’hui soin des pauvres et annoncent la Bonne Nouvelle ? Si nous nous laissons désabuser, comment pourrions-nous espérer qu’ils reconnaissent dans la célébration de la Nativité les signes de la venue du Messie ?
Si cette question de Jean Baptiste nous est proposée pour nous préparer à célébrer la venue du Messie, ce n’est pas simplement pour souligner que Jean était vraiment un prophète, « et même plus qu’un prophète » (Mt 11, 9) comme le souligne Jésus. Ce passage nous fait découvrir que la reconnaissance du Fils de Dieu dans l’enfant né à Bethléem est un acte de foi et d’espérance, qui repose sur des signes, sur des faits et des témoignages qui sont proposés à voir et à connaître à tout homme et à toute femme. Et la mission de l’Église est de manifester en ces temps ces signes, ces faits et ces témoignages. Si nous croyons vraiment que Jésus, né à Bethléem est le Fils de Dieu et le Messie, cela doit changer quelque chose dans notre vie. Comme Jean-Baptiste, nous sommes appelés à préparer sans cesse le chemin du Seigneur par notre conversion. En contribuant en tous temps et en tous lieux à offrir au monde les signes de la venue du Messie, nous permettons que tous puissent reconnaître le Sauveur de tous les hommes dans l’enfant de Bethléem.
Ainsi, quand nous prenons soin de nos proches et de ceux qui nous entourent, quand nous nous mettons au service de nos frères et faisons quelque chose pour les autres, nous ne nous contentons pas de mettre en œuvre un surcroit de générosité, nous posons un acte messianique. Les hommes et les femmes de notre temps pourront reconnaître le Messie en Jésus de Nazareth si les disciples du Christ s’emploient aujourd’hui à faire apparaitre le salut qu’il est venu apporter pour ceux qui sont dans la souffrance, dans l’épreuve ou dans la peine, pour ceux qui attendent une espérance pour l’avenir, pour ceux qui cherchent un chemin dans la nuit.
Quand revient le temps de Noël, si nous nous contentons de faire mémoire d’un événement émouvant devant la crèche, de faire chorus pour organiser la fête et de rejoindre l’attendrissement de beaucoup de nos contemporains devant l’enfant, l’enfance ou les enfants, nous oublions notre mission première : annoncer le Sauveur en donnant les signes de salut concrètement, matériellement à travers notre engagement personnel et l’implication de notre Église et de nos communautés chrétiennes au service de nos frères.
Les lectures que nous avons entendues nous proposent un autre signe, peut-être plus difficile à manifester : le signe de la patience et de la persévérance. Nous vivons dans un monde où tout doit se réaliser instantanément et où chaque question devrait être traitée immédiatement. Nous sommes à la fois habitués à l’instantané, et pourtant le retour du Christ est pour un temps indéterminé ! Nous ne savons ni le jour ni l’heure, ni le moment ni le lieu, et nous attendons dans la foi. Attendre dans la foi signifie que le temps est une composante positive de notre vie.
L’attente du retour du Christ construit un chemin à travers nos existences, à condition que nous soyons capables de la vivre avec patience et endurance. Notre persévérance nous rend différents de beaucoup de ceux qui nous entourent. Comme eux, nous sommes confrontés à des événements heureux ou douloureux, à des chagrins, des joies et des souffrances. La présence du Messie ne nous fait pas échapper à tout cela. « Ayez de la patience vous aussi, et soyez fermes, car la venue du Seigneur est proche » nous dit l’apôtre saint Jacques (Jc 5, 8). Comme des gens qui attendent avec confiance l’arrivée de celui qui ne saurait manquer à sa promesse, nous vivons, jour après jour, les événements heureux ou malheureux de notre existence. Nous partageons ce qui fait la vie de notre société et de l’histoire des hommes, comme des veilleurs, fidèles et convaincus. Le Christ trace son chemin et s’approche de nous à travers tout ce que nous vivons. Il se fait l’un de nous quand nous vivons au milieu du monde avec patience et persévérance. Sûrs de sa présence, nous ne doutons pas de la victoire finale de l’amour et nous pouvons nous mettre à son service.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois
Archevêque de Paris