Homélie du cardinal André Vingt-Trois - Divine liturgie en rite byzantin ukrainien en la cathédrale St Volodymyr-le-Grand - Fête de tous les saints ukrainiens et fête de la Constitution Ukrainienne
Dimanche 28 juin 2015 - Cathédrale ukrainienne St Volodymyr-le-Grand (Paris VIe)
Dieu trace un chemin à travers les événements douloureux de la vie des hommes. Le peuple ukrainien, à travers les épreuves traversées durant son histoire témoigne de sa foi au Christ, tant en Ukraine que dans les pays où des communautés se sont installées.
– Rm 8,28-39 ; Mt 5,1-16
Cher Monseigneur Gudziak,
Je vous remercie de l’honneur que vous m’avez fait de m’inviter pour cette fête des saints ukrainiens. C’est une joie pour moi de pouvoir participer à votre divine liturgie de ce dimanche et de puiser auprès de vous le signe de la force de l’évangile que nous venons d’entendre.
Chers frères et sœurs,
Parmi vous, certains vivent en France depuis longtemps, d’autres depuis moins longtemps, mais sachez que tous, vous êtes les bienvenus. C’est une grâce habituelle de l’Église de trouver des frères partout à travers le monde. C’est une grâce particulière de la ville de Paris d’être un carrefour où se croisent tant de nationalités, de cultures et de traditions. À travers les communautés comme la vôtre, c’est une figure de l’évangile qui nous est proposée pour stimuler notre propre accueil de la parole de Dieu. Je peux vous assurer que, chaque semaine, nous cherchons, avec mes collaborateurs, comment nous pourrions aider vos communautés à mieux trouver leur place, non seulement leur place en mètres carrés… mais aussi leur place dans nos cœurs. Parmi les peuples d’Europe, sans doute l’Ukraine est-elle l’un de ceux pour qui la naissance de la nation est indissociable de la connaissance du Christ. Même si les vicissitudes de l’histoire ont partagé les chrétiens dans leur héritage, elles n’ont pas pu faire disparaître la racine unique qui est le Christ.
Aussi, bien que votre pays ait connu de graves épreuves à travers les siècles et particulièrement à travers le XXe siècle, c’est à la lumière de la racine chrétienne de son identité que nous devons interpréter ces épreuves. Les historiens et les analystes peuvent dire qu’il y a des luttes de pouvoir, que l’Ukraine, par sa position médiane au cœur de l’Europe, a été souvent le carrefour de conflits entre les impérialistes. Tout cela peut éclairer les souffrances que votre peuple a endurées, mais ne rend pas compte du chemin que Dieu trace à travers l’histoire des hommes, à travers des événements si douloureux soient-ils.
Qui aurait imaginé dans les années cinquante, que le rideau de fer ne durerait pas éternellement ? Qui aurait imaginé que la domination soviétique sur les peuples de l’Europe centrale pourrait un jour être arrêtée ? Qui aurait imaginé que les cultures particulières de ces peuples devaient s’effacer devant la culture russe ? Et pourtant il nous a été donné de voir que la force de la foi était plus grande que la force des empires. Dans l’Union soviétique elle-même, les croyants clandestins, cachés, persécutés, ont maintenu vivante la lumière de la foi. Dans tous les pays d’Europe centrale comme l’Ukraine ou la Pologne, la vigueur de la foi a persisté sous la chape de plomb de l’athéisme officiel. Des générations d’hommes et de femmes ont pu croire un instant que le nombre des divisions de Staline étaient plus fortes que la faiblesse du Pape, mais nous savons aujourd’hui que sous la puissance militaire, il y a une autre force qui domine le cœur des hommes. Par notre baptême nous sommes porteurs de cette force, nous la portons dans les épreuves avec crainte et tremblement, nous la portons dans notre faiblesse en sachant que nous pouvons défaillir à tout moment, mais nous la portons dans la certitude que le Christ est vainqueur de la mort, nous la portons dans la certitude que celui qui s’attache au Christ peut surmonter les difficultés. Il ne les surmonte pas sans blessure, sans souffrance, sans dépaysement. Pour être fidèles à la vision de l’homme que le Christ inscrit dans nos cœurs, il faut parfois accepter d’être arrachés à beaucoup de biens auxquels nous tenons. Il faut parfois être séparé d’hommes et de femmes que nous aimons. Il faut parfois abandonner nos défunts dans leur terre pour aller vivre ailleurs. Mais comme saint Paul nous le disait tout à l’heure, « rien ne peut nous séparer de l’amour du Christ » (Rm 8,39).
Aussi en faisant mémoire des saints de votre pays, en évoquant le souvenir du témoignage qu’ils ont rendu dans les différentes épreuves que votre nation a traversées, nous sommes invités à reconnaître la lumière qui nous a été confiée, le sel dont nous sommes porteurs pour la vie du monde.
En acceptant de recommencer votre vie sur une terre étrangère, vous n’avez pas abandonné la tradition de vos pères. Vous partagez la même mission qui a été la leur : être des témoins de la foi au milieu du monde. Aussi, frères et sœurs, je veux aujourd’hui vous adresser une parole d’espérance, à travers les difficultés de votre vie. C’est le bonheur que le Seigneur veut vous donner. Ce bonheur ne viendra pas de la violence, ni de la haine ou des combats. Il viendra de notre volonté d’être fidèles à la parole de Dieu et à la mettre en pratique. Un jour peut-être, ce que nous vivons dans la nuit trouvera sa pleine lumière. L’espérance que vous portez dans la faiblesse et les épreuves donnera son fruit. Pour votre pays, pour chacun et chacune d’entre vous, pour les enfants et les jeunes qui sont au milieu de nous et qui sont l’avenir de cette lumière, nous rendons grâce à Dieu et nous implorons la bénédiction du Seigneur.
Amen.
+André cardinal Vingt-Trois
Archevêque de Paris