Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe de Noël à la Maison Marie-Thérèse
Lundi 25 décembre 2023 - Maison Marie-Thérèse (14e)
– Nativité du Seigneur
- Is 52,7-10 ; Ps 97,1-6 ; He 1,1-6 ; Jn 1,1-18
Frères et Sœurs,
Dieu nul ne l’a jamais vu, non pas parce qu’il se cache, l’épître aux Hébreux nous rappelle comment l’histoire d’Israël est comme une longue chronique des initiatives de Dieu pour se faire connaître aux hommes depuis la Création, la libération d’Égypte, le don de la Loi, et les prophètes innombrables qui sont venus annoncer le Salut. Mais il y a quelque chose qui empêche que nous puissions voir Dieu : nous ne sommes pas dans le même système de connaissance.
Pour nous : connaître c’est voir, voir et déduire de ce que nous voyons, ce que notre intelligence nous permet de comprendre. Pour Dieu, se faire connaître, ce n’est pas se montrer, c’est manifester son amour à l’humanité. Il a manifesté son amour depuis l’origine, avec persévérance, sans que jamais cet amour soit reconnu pour ce qu’il est, justement parce qu’il n’est pas de l’ordre de l’expérience sensible. Il n’est pas de l’ordre des choses que l’on voit et que l’on peut mesurer, sur lesquelles on peut réfléchir et élaborer des théories. Il est de l’ordre d’une communication profonde, d’un être à un autre être, et cette communication, nous n’en sommes capables que si notre cœur s’ouvre à l’amour.
C’est pourquoi, Dieu, à la fin des fins, veut montrer quelque chose de lui-même, veut donner enfin quelque chose à voir pour que nous puissions dire : j’ai vu et donc je crois. Comme saint Thomas voulait voir pour croire. Eh bien, il donne un signe qui est à l’envers de ce que nous imaginons. Le signe qu’il nous donne, c’est un enfant impuissant, faible, dépendant de tout et qui est pour nous aujourd’hui la présence du Dieu tout-puissant, indépendant de tout. C’est ce signe que Dieu nous donne à voir, c’est ce signe qui traduit jusqu’où va l’amour de Dieu. Il s’est dépouillé lui-même, prenant la condition de serviteur. Il a fini sa vie de serviteur sur la croix. Il est le signe que la toute-puissance de Dieu se réalise à travers la faiblesse de son serviteur. Il est le signe que nous ne pouvons connaître Dieu que si nous entrons dans cette logique de l’amour qui se donne tout entier, sans réserve, sans condition et jusqu’au bout.
Nous mesurons ainsi tout le chemin qu’il nous reste à parcourir pour passer de l’émerveillement devant l’enfant de la crèche à l’acte de foi du centurion devant le Christ en croix : celui-là était vraiment le Fils de Dieu. Nous mesurons tout le chemin qu’il nous reste à faire pour passer d’une connaissance immédiate : j’ai vu donc je crois, à la béatitude que Jésus promet à ceux qui croient sans avoir vu. À nous, il nous est donné de voir la manifestation de l’amour tout puissant de Dieu dans la faiblesse de cet enfant. Il nous est donné de voir la réalisation du projet de Dieu à travers l’existence humaine de son Fils unique. Il nous est donné de voir que Dieu accomplit ce qu’il a promis mais il nous reste à reconnaître que ce qu’il a promis, ce n’est pas forcément ce que nous espérions. Il nous reste à reconnaître que la toute-puissance de Dieu, ce n’est pas seulement la victoire des armées, c’est aussi et d’abord la victoire de l’amour qui se donne tout entier sans réserve, dans la faiblesse et dans la dépendance.
Nous, ici, nous connaissons la dépendance - c’est même le titre de notre maison -, nous connaissons la faiblesse. Il nous reste à reconnaître qu’à travers cette faiblesse et cette dépendance, Dieu peut manifester quelque chose de sa toute puissance, non pas parce que nous pourrions dompter les forces qui nous manquent, mais parce que nous pouvons ouvrir nos cœurs à la faiblesse des autres et devenir vraiment le signe de cet amour de Dieu qui va jusqu’au bout.
Soyons dans la joie de voir cet enfant qui est l’image inversée de ce que nous imaginons de Dieu. Soyons dans la joie que Dieu soit allé jusque-là, de venir partager notre humanité pour que nous puissions partager sa divinité.
Amen.
+André cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris