Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe en la fête du Saint-Sacrement Saint-Etienne du Mont

Dimanche 11 juin 2023 - Saint-Etienne du Mont (5e)

– Fête du Saint Sacrement — Année A

- Dt 8, 2-3.14b-16a ; Ps 147 (147 B), 12-13, 14-15, 19-20 ; 1 Co 10, 16-17 ; Jn 6, 51-58

Frères et Sœurs,

L’épreuve traversée par le peuple juif en cours de constitution à travers le désert, est un lien fondateur. À travers la faim, la soif, le péril des serpents, ce sont autant d’épreuves par lesquelles il mesure sa fragilité, son incapacité, son impuissance à atteindre la Terre promise. Et c’est au cœur de ces épreuves que Dieu se révèle à lui, à travers les dons qu’il lui fait de la manne, de l’eau vive, du serpent d’airain. Il se révèle à lui comme le Dieu vivant, celui de qui vient toute vie, non seulement des origines - c’est par lui que tout fut créé - mais de qui vient toute vie jour après jour à travers les épreuves de la vie.

C’est pourquoi cet événement constitutif du peuple de Dieu est en même temps - pour nous qui en écoutons le récit - une parabole. Une parabole de l’histoire de l’humanité. Car ce petit peuple rescapé d’Égypte, en cours de naissance à travers le désert, n’est rien d’autre que le germe de l’humanité que Dieu veut rassembler et qui l’aide à cheminer à travers le temps et l’histoire. Et Dieu sait si dans ce cheminement, les épreuves de mort ne font pas défaut. Pour nous qui vivons confortablement dans une partie de l’univers épargnée, c’est un peu plus difficile à imaginer ! Mais nous savons qu’à travers le monde, il y a des gens qui meurent de famine, et même peut-être chez nous quelques personnes n’ont plus de quoi manger. Nous savons qu’à travers le monde, la répartition et l’usage de l’eau deviennent un problème, pas seulement pour savoir si on va pouvoir remplir les piscines ou arroser les pelouses, mais pour savoir si on pourra continuer à cultiver la terre et à nourrir les hommes. Et que dire des maladies qui traversent le monde ! Nous avons été frappé et nous sommes toujours sous la menace de l’épidémie de COVID, mais combien d’autres pays à travers le monde, combien d’autres populations, sont sous une menace de mort par épidémies de maladies contagieuses qui n’ont pas été vaincues partout !

Ainsi, chaque personne, chaque être humain, à partir du moment où il entre dans la vie jusqu’au moment où il en sort, traverse une épreuve fondatrice : à tout moment il peut être frappé par la mort. Les événements que nous avons connus cette semaine dans notre pays, à Annecy, ravivent en nous la mémoire de cette fragilité de la vie humaine devant l’impensable, devant la malignité, devant la violence qui habite le cœur des hommes.

Ainsi, chacun de nous, et nous tous, comme Église et comme peuple, nous sommes confrontés à cette épreuve. Notre vie - même si elle nous plaît, même si elle peut être à certains moments agréable et pleine de joie - est fragile. Notre vie peut s’arrêter à tout moment, et d’une façon que nous ne pouvons pas imaginer.

Alors la question à laquelle tous les hommes sont confrontés est celle-ci : d’où vient le salut ? Qu’est-ce qui peut protéger l’humanité de ce danger, de ce péril ? L’expérience de la traversée du désert par le peuple d’Israël, oriente la réponse que nous devons découvrir. Le seul qui est le Dieu vivant, le seul qui est maître de la vie et de la mort, le seul qui peut nous faire vivre par-delà les périls, les fragilités, les dangers de l’existence, c’est Dieu. Et pas n’importe quel Dieu. Pas un Dieu indéfini qui serait dans les atmosphères mais un Dieu qui est proche ! Ce Dieu qui a donné aux Juifs la manne au désert, ce Dieu qui lui a donné l’Eau Vive, ce Dieu qui lui a donné le serpent d’airain pour se guérir, ce Dieu est venu dans l’histoire humaine pour mettre en œuvre, clairement, la victoire sur la mort et sur l’incertitude. Cette victoire a été exposée sur le Golgotha quand le Christ a été mis en croix. C’est par sa mort que nous avons la vie. C’est parce qu’il a donné sa vie que nous pouvons affronter notre propre vie, avec sa fragilité finale. C’est parce qu’il s’est donné tout entier que nous pouvons espérer vivre malgré les difficultés de l’existence humaine, c’est parce qu’il s’est donné en nourriture à ses disciples que nous pouvons comprendre que sa victoire sur la mort n’est pas seulement un événement qui s’est produit il y a 2000 ans et dont on fait mémoire, mais qui ne nous concerne pas. Sa victoire sur la mort nous concerne dans la mesure où il a laissé pour nous un signe, un signe réel de sa présence, de sa victoire et de sa force. Ce signe, c’est le pain que nous mangeons, c’est le vin que nous buvons, c’est l’eucharistie, présence réelle et active de Jésus, mort et ressuscité, présence de Jésus ressuscité dans notre histoire toujours menacée par la mort.

C’est pourquoi ce sacrement nourrit notre existence et notre espérance. C’est pourquoi ce sacrement, malgré les difficultés auxquelles nous sommes confrontés, fait que nous ne tombons pas dans le désespoir. C’est pourquoi, grâce à ce sacrement, nous pouvons croire et espérer que l’humanité a un avenir, et que nous pouvons travailler pour que cet avenir soit meilleur et que nous pouvons espérer que les enfants qui naissent aujourd’hui auront une vie meilleure que ceux qui les ont précédés, à condition qu’ils soient chacun en communion avec le Christ ressuscité. C’est ce que nous vivons dans la célébration eucharistique, semaine après semaine.

De même que le pain donné par Dieu au désert, l’eau vive donnée par Dieu au désert, ont constitué le Peuple d’Israël, de même l’eucharistie, le pain du Christ, le pain du Ciel, le pain vivant donné en nourriture dans l’eucharistie, constitue le peuple des Chrétiens. À travers lui pousse un germe de l’humanité nouvelle à laquelle nous sommes associés par notre espérance et par notre travail.

Que le Seigneur nous donne la grâce d’être fidèles à cette eucharistie qui vient du Père, lui qui est le Dieu vivant.

Amen.

+André cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris

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