Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe à la Maison Marie-Thérèse

Dimanche 20 aout 2023 - Maison Marie-Thérèse (14e)

– 20e Dimanche du Temps Ordinaire – Année A

- Is 56,1.6-7 ; Ps 66,2-3.5.7-8 ; Rm 11,13-15.29-32 ; Mt 15,21-28

Frères et Sœurs,

Cette rencontre de la Cananéenne avec Jésus marque un tournant décisif dans cet évangile. Nous savons que l’évangile de saint Matthieu a été destiné à une communauté de chrétiens issus du Judaïsme qui continuaient de croire que la promesse faite par Dieu s’accomplirait pour Israël et pas pour d’autres. La réponse de Jésus aux disciples semble exactement exprimer cette conviction qu’il a été envoyé pour les brebis perdus de la Maison d’Israël.

Cette femme, païenne, en territoire païen, vient briser l’enchaînement que l’évangile de Matthieu avait rapporté précédemment, entre les signes donnés par Jésus, ses discours, les polémiques avec les pharisiens et les scribes, les pièges qu’ils lui tendent pour le mettre en contradiction avec la Loi. Bref, tous les signes qu’il nous a rapportés du fait que sa Parole et ses actes n’étaient pas reçus en Israël. Et donc, il se retire dans le pays de Tyr et de Sidon qui est à dominante païenne. En Israël, il y a des païens qui vivent avec les Juifs, et ils vivent en bonne intelligence, parfois même – comme le prophète Isaïe l’annonçait – ils se mettent à vivre selon leur coutume, ils respectent la Loi, ils deviennent peu à peu des amis du Peuple Juif, des Craignant-Dieu, comme le centurion dont Jésus a guéri le serviteur, ou comme le pécheur qui collectait les impôts et que Jésus a choisi comme disciple. Ces païens ou ces pécheurs faisaient partie du paysage habituel en Israël. Mais ici, nous avons changé de paysage, nous ne sommes plus en Israël, nous sommes chez les païens. Et chez les païens, il n’y a pas de Craignant-Dieu. On est ou bien Juif ou pas Juif. La Cananéenne franchit la barrière. Pourquoi ? Parce qu’elle est dans le besoin, elle est dans le désespoir pour sa fille qui est malade et elle cherche à tout prix une solution. Elle va même jusqu’à avoir recours à ce Juif, ce fils de David, et à l’implorer pour sa fille. Oui c’est la première véritable païenne qui se met à honorer le Christ et à lui exprimer sa confiance et sa foi. C’est pourquoi Jésus lui dit : Femme, grande est ta foi.

Et nous, qui n’avons aucun titre pour être héritiers de la promesse, nous ne sommes même pas des Craignant-Dieu, nous sommes des païens pour la plupart d’entre-nous. On peut être de bons païens ou de mauvais païens, là n’est pas la question ! Mais nous sommes des païens et la question qui nous est posée devant les misères du monde, devant les misères auxquelles nous sommes confrontées dans notre propre vie, devant les épreuves que nous rencontrons, c’est : vers qui allons-nous nous tourner ? Qui va être pour nous source de salut ? Comme la Cananéenne, si nous sommes assez pauvres, assez au fond du trou, pour avoir recours à toutes les solutions possibles, nous devons nous tourner vers le fils de David : « Fils de David prends pitié de moi », je sais que je ne suis pas héritier de la promesse, je sais qu’il y a des héritiers de la promesse qui sont fidèles, je sais qu’il y en a qui rusent et qui essayent d’échapper à la promesse, mais moi, je n’ai pas le choix, je suis au fond du trou et je tends la main pour être relevé. Comme Pierre quand il commençait à s’enfoncer dans l’eau criait : Seigneur, au secours. Alors la Cananéenne crie au Seigneur : au secours, et moi pauvre homme, je crie : Seigneur, au secours.

La bonne nouvelle est annoncée aux pauvres. Elle n’est pas annoncée à ceux qui se débrouillent tout seuls, elle est annoncée à ceux qui ont besoin d’être sauvés, à ceux qui ont besoin d’être soutenus, à ceux qui ont besoin d’être accompagnés, levés, relevés, tenus par la main, conduits par la main. Le fils de David, porteur de la promesse de Dieu, n’est pas simplement envoyé aux brebis perdues de la Maison d’Israël, il n’est pas simplement envoyé aux Craignant-Dieu qui ont bien mérité Israël, il est envoyé à tous les hommes. C’est grâce à cette universalité de la mission que moi, je peux aujourd’hui lui dire : Seigneur, pitié pour moi, - si du moins mon cœur est habité par la foi et si je suis capable de me tourner vers lui comme vers le dernier secours.

Amen.

+André Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris

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