Homélie du Cardinal André Vingt-Trois - Messe de Pentecôte en l’église Saint-Joseph des Carmes
Dimanche 28 mai 2023 - Saint-Joseph des Carmes (6e)
– Pentecôte – Année A
- Ac 2, 1-11 ; Ps 103 (104), 1ab.24ac, 29bc-30, 31.34 ; 1 Co 12, 3b-7.12-13 ; Jn 20, 19-23
Frères et sœurs,
Le don de l’Esprit Saint que nous célébrons aujourd’hui fait accéder les disciples à une nouvelle étape dans leur connaissance du Christ, dans leur relation avec lui, dans la mission qu’il leur confie.
En effet, jusqu’à ce moment, plus exactement jusqu’au moment de l’Ascension, ils ont connu le Christ « selon la chair » comme dira saint Paul, comme une autre personne humaine que l’on voit, que l’on peut toucher. Depuis l’Ascension, le Christ n’est plus au milieu d’eux, et ils sont enfermés par peur des Juifs, ne sachant trop ce qu’il va advenir d’eux.
C’est dans ce moment que Jésus leur apparaît de nouveau, non plus comme une personne ordinaire, mais comme une personne extraordinaire qui se trouve brusquement au milieu d’eux sans que jamais on ne sache comme il est entré. Il est là. Il leur parle. Il leur montre son corps. Il les fortifie dans leur foi en la résurrection. Mais dorénavant, ils savent que leur relation au Christ ne passera plus par ces rencontres. Elle sera une relation intérieure, spirituelle, permanente. Jésus le leur a promis, il sera avec eux tous les jours jusqu’à la fin du monde. Il est avec ceux qui croient en lui, présent en leur cœur, en leur âme, en leur esprit. Il est celui qui ne les quitte jamais, même lorsque ceux-ci le quittent, il est celui qui est le présent, le fidèle, Dieu au cœur de l’homme. Le royaume est en vous-même. C’est au cœur de l’homme que Jésus installe sa présence par le don de son Esprit.
Mais ce don de l’Esprit n’est pas simplement une lumière et une force pour confirmer la foi des disciples, c’est en même temps une mission. Il s’agit pour eux de devenir les témoins du Christ envers le monde. Nous le voyons dans le récit des Actes, cela passe immédiatement à l’œuvre par le discours de Pierre. Il se met à annoncer le Christ ressuscité.
Le don des langues évoqué dans ce récit des Actes des Apôtres ne doit pas nous faire illusion. Ce n’est pas une nouvelle école d’interprétariat, ou une mission de polyglottes. C’est un mystère. Les Galiléens sont toujours Galiléens, et ils parlent araméen. Les Romains, les Crétois, tous ceux qui sont à Jérusalem pour la Pâque continuent de comprendre leur langue. Et pourtant, il se passe ce signe extraordinaire : chacun les entend dans sa propre langue, c’est-à-dire que la parole que les disciples leur adressent les atteint comme une parole faite pour eux. Ce n’est pas la matérialité de la langue qui constitue l’universalité, c’est la vigueur de l’Esprit qui habite les mots prononcés et qui rejoint l’attente du cœur de l’homme.
Ce matin, je vous parle en français, enfin j’essaye ! Je pense que vous comprenez ce que je vous dis. Et pourtant, il y en a parmi vous, que je ne connais pas, qui vont recevoir une parole parmi celles que je prononce ou parmi celles que nous avons entendues, une parole tout à fait ordinaire, banale. La matérialité de la parole n’a pas grande importance. Ce qui compte, c’est que cette parole, il ou elle va l’entendre comme une parole qui lui est adressée. C’est pour toi que je dis ces mots ! Il va recevoir cette parole comme un message de Dieu. C’est cela le don de l’Esprit dans les langues : le message de Dieu traverse la limitation des idiomes et des cultures, pour communiquer avec le cœur et la liberté de l’homme qui est en face. C’est ainsi que les disciples reçoivent cette mission universelle, qui va d’ailleurs les conduire bien au-delà de la Galilée, à travers l’Empire romain et ensuite à travers le monde.
C’est ainsi que nous sommes baptisés dans cet Esprit, pour être témoins du Christ de toutes sortes de façons, et même de façons qui nous échappent, que nous ne connaissons pas mais qui cependant passent à travers notre présence, notre parole, notre relation.
Cette mission universelle comporte un premier objectif : définir le peuple qui va devenir porteur de cette mission, le peuple des baptisés, tel que Paul l’évoque dans l’épître aux Corinthiens, baptisés dans l’Esprit, comme nous l’avons été nous-mêmes, baptisés et confirmés dans l’Esprit Saint. Nous sommes une partie de ce corps immense qu’est l’Église, et dont l’unité ne vient pas de l’uniformité, ou du conformisme des rôles et des missions, mais de la vie de l’Esprit au cœur de chacun des fidèles.
Les missions sont différentes, les rôles sont différents, mais c’est le même Esprit. Ce qui fait l’unité de l’Église, ce n’est pas que tout le monde fasse la même chose, que tout le monde pense la même chose, que tout le monde dise la même chose. Ce qui fait l’unité de l’Église, c’est que la vie, l’expérience, l’engagement de chacun, tout cela est animé par le même Esprit, l’Esprit de Dieu qui tient le corps entier uni dans son chef, le Christ.
La culpabilité n’est pas une maladie, c’est une réaction de la liberté humaine devant la gravité des événements. L’Église est envoyée non pas pour guérir une maladie, mais pour délivrer de cette obsession de la conformité, de la pureté, de l’uniformité : « ceux à qui vous remettrez leurs péchés, ils seront remis ». Si l’Esprit de Dieu donne ce pouvoir aux disciples, c’est précisément parce qu’il constitue un axe central de la mission de l’Église : délivrer le cœur de l’homme de sa volonté d’être parfait sans Dieu, et lui apprendre à découvrir qu’il peut être parfait en Dieu.
C’est pourquoi le don de l’Esprit Saint que nous vivons aujourd’hui est une source de paix : « La paix soit avec vous ! » C’est une source de joie : « Ils étaient tout joyeux en voyant le Christ. » C’est l’affranchissement de toutes les contraintes de la psychologie et de l’intelligence humaine pour entrer dans la liberté de Dieu.
Que cet Esprit nous donne de vivre cette Pentecôte avec confiance, avec joie, et qu’il nous donne surtout de mieux comprendre quelle est la mission de chacun et de la mener à son terme.
Amen.
+André cardinal Vingt-Trois, archevêque émérite de Paris