Homélie du cardinal André Vingt-Trois – Solennité de la Dédicace de la cathédrale
Notre-Dame de Paris – Mardi 16 juin 2015
Avec l’anniversaire de la dédicace de la cathédrale Notre-Dame, nous reprenons conscience du mystère sacramentel de l’Église. À travers la beauté esthétique de l’édifice et des symboles qui y sont présents, nous y découvrons la centralité du Christ, l’apostolicité du fondement, mais aussi surtout les “pierres vivantes” que constituent chacune et chacun des membres du peuple de Dieu. Le visible manifeste l’invisible comme un signe de la présence de Dieu en ce monde.
– Ap 21, 9b-14 ; Ps 83 ; 1 P 2,4-9 ; Jn 10, 22-30
Éminence, Messeigneurs, Chers Frères Chanoines, Frères et Sœurs,
La fête de la dédicace de cette cathédrale que nous célébrons aujourd’hui est un signe, non pas simplement pour sacrifier au rite de la commémoration, mais plutôt pour mieux percevoir l’actualité forte de la foi qui nous habite quand nous sommes réunis autour de l’autel du Seigneur. Combien de millions d’hommes et de femmes sont entrés dans cette église et auraient été très embarrassés de rendre compte de ce qu’ils avaient vu, entendu et compris ? Car tous ces visiteurs - dont beaucoup ignorent tout du christianisme, d’autres ont une vague culture chrétienne et d’autres sont des chrétiens convaincus -, quand ils entrent dans cet édifice, sont évidemment saisis par la beauté architecturale et par le langage mystérieux qui s’exprime à travers la hardiesse de la conception de ce grand vaisseau, et en même temps, par le recueillement qui règne en ce lieu. Tout cela ne fait que donner un signe, c’est le cœur qui accueille ce signe et qui lui donne sa force par la foi qu’il lui accorde. Nous connaissons quelques cas célèbres et exceptionnels de personnes qui sont entrées ici vaguement curieuses, ou esthétiquement intéressées, et dont le cœur a été bouleversé, non seulement par la vue de la beauté mais encore par la vue de la communauté vivante qui habitait ce lieu. Le plus célèbre d’entre eux, en tout cas le plus connu, est Paul Claudel, mais il en est bien d’autres… Une église de pierres, comme celle qui a été ici consacrée et dont nous célébrons l’anniversaire de la dédicace fait partie de la totalité du mystère sacramentel de l’Église. Cela signifie qu’elle donne quelque chose à voir, mais on ne peut comprendre ce que l’on voit que si la liberté est engagée dans une relation de foi, sinon évidemment, il suffirait que les touristes circulent d’un côté à l’autre du bâtiment pour que ceux qui étaient entrés païens en ressortent chrétiens !
Or, nous savons bien que cela ne se réalise pas ainsi, non seulement parce que beaucoup d’éléments constitutifs du lieu sont des symboles dont il faut connaître la clef d’interprétation, mais surtout, parce que c’est de notre cœur que dépend notre capacité à comprendre et à accueillir le message qui nous est livré. Ces symboles, le livre de l’Apocalypse nous en donnent un aperçu par les douze portes de la Ville sainte qui évoquent les tribus, puis les douze colonnes qui évoquent les apôtres et dont le souvenir est conservé dans les églises consacrées puisque douze piliers sont marqués de l’onction du Saint Chrême. Ceux-ci attestent que cette église repose sur le fondement apostolique. En ce jour de fête, ces piliers sont éclairés par des cierges qui brûlent devant les croix qui rappellent les onctions qu’ils ont reçues. Symbole encore que l’organisation liturgique de l’espace avec la centralité de l’autel qui figure le Christ au milieu de son Église. Symbole que l’ambon d’où je vous parle et qui magnifie la place de la Parole de Dieu dans notre liturgie. Mais symbole surtout du peuple de Dieu rassemblé, « pierres vivantes » comme nous dit l’apôtre Pierre, « pierres vivantes » d’une Église qui n’est pas un bâtiment mais qui est un peuple dont l’architecte, pour filer l’image du bâtiment, est Dieu lui-même d’après saint Paul. Symbole de ce peuple dont chacun et chacune des membres sont inégalement sanctifiés, inégalement convertis, et pourtant déjà pleinement unis au Christ dans l’espérance que la vie qu’il répand dans nos cœurs transformera nos existences et fera de nous des témoins et des lumières au milieu de ce monde.
Symbole aussi d’une Église qui ne peut pas se contenter d’être une Église spirituelle, invisible. Spirituelle elle l’est, invisible elle l’est, parce que jamais nous n’en maîtrisons les limites, jamais nous n’en pouvons connaître la composition exacte, jamais nous ne pouvons enfermer l’Église dans nos représentations, mais en même temps, cette Église spirituelle et invisible n’a de réalité pour l’intelligence et la liberté des hommes qu’à travers ce qu’elle est capable de montrer de visible. Car telle est la révélation du Dieu d’Israël, celui que nul n’a jamais pu voir sans mourir : il a voulu que sa parole se traduise par des événements historiquement repérables et s’incarne finalement dans la personne de Jésus.
Oui, nos églises, nos bâtiments, et nous comme peuple de Dieu, Église du Christ, nous sommes la partie visible d’une réalité invisible qui nous dépasse infiniment, et malgré nos limites et notre péché, nous savons que l’accès à la réalité invisible passe par la perception de l’élément visible. On peut évidemment toujours imaginer une Église des cœurs qui serait imperceptible aux sens mais elle serait alors aussi inaccessible aux hommes. Comme on peut imaginer un Dieu éthéré, d’une autre nature, mais que rien ne permet de rencontrer. Ce n’est pas ce Dieu-là qui s’est révélé à nous. Le Dieu qui s’est révélé à nous c’est celui qui a pris chair et qui s’est rendu visible à nos yeux, comme Jésus était visible dans le temple, et comme ses œuvres lui rendaient témoignage.
Aussi, frères et sœurs, nous sommes attachés à nos églises de pierres, mais surtout au corps du Christ ressuscité qui les habite et qui leur donne leur densité humaine. Cet attachement n’est pas simplement de l’ordre du souvenir ou de l’esthétique, c’est vraiment la conviction que nos églises sont le sacrement de la présence de Dieu au milieu des hommes, comme notre cathédrale est un signe de la présence de la foi au cœur de la Cité, comme chacun et chacune d’entre nous est appelé à devenir un témoin de cette foi par les œuvres qu’il accomplit dans la puissance de l’amour.
Rendons grâce à Dieu qui nous fait participer de cette visibilité de l’Église et ainsi du message que Dieu adresse à toute liberté humaine, même si chacune des libertés n’est pas capable de déchiffrer le message au moment où elle l’aperçoit, mais à travers les signes qui lui sont donnés, c’est le Dieu de l’univers, visible et invisible, qui s’offre comme Père et comme pasteur.
Amen.
+ André cardinal Vingt-Trois, archevêque de Paris