Benoît XVI et la liturgie
Tout au long de sa vie d’enseignant, d’évêque et de cardinal, le futur pape Benoît XVI a abordé dans de nombreux écrits la question de la liturgie. Il a ainsi forgé à ce propos de fortes convictions qu’aucun des cardinaux électeurs ne pouvait ignorer.
Plus qu’un objet de réflexion intellectuelle, la question du rapport entre foi et liturgie est au cœur de sa pensée, selon l’antique adage : lex orandi, lex credendi, la loi de la prière est la loi de la foi, autrement dit, l’Église croit comme elle prie.
L’Esprit de la liturgie, publié en 2001, présente la synthèse de sa pensée à propos de la liturgie. Il y analyse aussi les conséquences de l’application de la réforme liturgique voulue par Vatican II en 1969. Sans jamais rejeter le bien fondé de cette réforme, le cardinal Ratzinger en critique cependant la traduction dans les faits à partir des années 70.
Voici son analyse, exprimée de manière imagée : « À quoi pouvait ressembler la liturgie en 1918 ? Je tenterai une comparaison, sans doute imparfaite comme toute comparaison, mais qui éclairera mon propos. La liturgie, à ce moment-là, donnait l’apparence d’une fresque parfaitement préservée, mais presque entièrement recouverte de couches successives. Dans le missel que le prêtre utilisait pour célébrer la messe, la liturgie apparaissait telle qu’elle s’était développée depuis les origines, alors que, pour les croyants, elle était en grande partie dissimulée sous une foule de rubriques et de prières privées. Grâce au “Mouvement liturgique”, puis de façon plus nette lors du concile Vatican II, la fresque fut dégagée, et pendant un instant, nous restâmes fascinés par la beauté de ses couleurs et de ses motifs. Exposée depuis lors aux conditions climatiques comme à diverses tentatives de restauration ou de reconstruction, la fresque risque toutefois d’être détruite si l’on ne prend rapidement des mesures pour mettre un terme à ces influences nuisibles. Certes il ne s’agit pas de la recouvrir derechef d’une autre couche, mais de susciter un nouveau respect pour tout ce qui la touche, une intelligence renouvelée de son message et de sa réalité, pour éviter que cette redécouverte ne soit le premier pas vers sa perte définitive. »
Benoît XVI a été élu au cours de l’année de l’Eucharistie instaurée par son prédécesseur. Ainsi, un de ses premiers actes important en tant que pape a été de conclure cette année de réflexion sur l’eucharistie par un synode (250 évêques du monde entier se sont réunis du 2 au 23 octobre 2005).
Le 22 février 2006, Benoît XVI publiait l’exhortation post synodale, fruit des échanges des évêques. Ce texte important laisse naturellement une large place à la question de la liturgie et des orientations du Pape à ce sujet s’appuyant sur les échanges avec les participants du synode.
Ce texte revient sur l’actualité de la réforme liturgique et sur sa richesse encore à explorer : « Les Pères synodaux ont en particulier constaté et rappelé l’influence bénéfique que la réforme liturgique réalisée à partir du concile Vatican II a eue pour la vie de l’Église. Le Synode des évêques a eu la possibilité d’évaluer la réception de cette réforme après les assises conciliaires. Les appréciations ont été nombreuses. Les difficultés et aussi certains abus qui ont été relevés ne peuvent pas masquer, a-t-il été affirmé, que le renouveau liturgique, qui contient encore des richesses qui n’ont pas été pleinement explorées, est bon et valable ».
La réforme liturgique a provoqué, notamment en France, des tensions entre les fidèles adoptant cette réforme et une petite minorité qui a souhaité rester attachée à l’ancien rite, presque inchangé depuis le concile de Trente au XVIe siècle. Conjuguées à un refus d’autres textes conciliaires, ces tensions ont conduit à une rupture quand Mgr Lefebvre, principal chef de file des opposants à la réforme, a ordonné trois évêques sans l’aval de Jean-Paul II (1988).
Dans le but d’apaiser ces tensions et de résorber cette rupture, Benoît XVI, garant de l’unité de l’Église catholique, a souhaité rendre plus facile l’accès à l’ancien rite en le qualifiant de forme extraordinaire, la forme ordinaire étant celle promulguée par Paul VI à l’issue du Concile. Il n’y a donc qu’un seul rite qui peut être célébré suivant deux formes différentes, dont l’une – celle de 1970 – est la forme habituelle.
Mgr Robert Le Gall, archevêque de Toulouse, président de la Commission française pour la liturgie et la pastorale sacramentelle et membre de la Congrégation pour le culte divin à Rome a ainsi expliqué le sens de ce motu proprio : « L’autorité du Concile n’est aucunement remise en question dans ce texte. Nous sommes surtout invités à aller en profondeur dans le sens de la réforme liturgique et à la pratiquer. (…) L’Église ne revient pas en arrière, elle est attentive à un certain nombre de fidèles qui, pour des raisons diverses, ont été blessés – et parfois pour des raisons vraies – dans leur sensibilité religieuse. » (Catholiques en France, septembre 2007).