Benoît XVI, foi et raison
Benoît XVI, avant même de devenir pape, est souvent intervenu sur le thème de la corrélation entre foi et raison. Il s’agit certainement de l’un des sujets sur lesquels il a le plus réfléchi, de façon extrêmement personnelle.
À la base, il est convaincu de l’accord qui, profondément, existe entre foi et raison. Ce serait pourtant une erreur de penser que sa foi est rationaliste, ou à l’inverse qu’il essaierait ainsi de se persuader que l’avancée des sciences ne peut rien contre le christianisme. Sa conviction découle de l’histoire, se fonde sur une vision de l’homme originale et ouvre de nombreuses perspectives.
Une foi engagée pour la raison
Le pape souligne que dès l’origine, le christianisme s’est prononcé « pour le Dieu des philosophes contre le Dieu des religions » [1]. Alors que dans l’Antiquité le monde de la raison est conçu comme distinct de celui de la religion, les chrétiens croient en un Dieu qui est Logos. D’où deux conséquences étonnantes : d’abord ils rejettent les dieux traditionnels pour affirmer le primat de la Vérité (ce qui les fera souvent taxer d’athéisme) ; ensuite ils affirment que le fondement du réel n’est pas un ensemble de principes (éventuellement « abstraits » d’un matériau religieux symbolique), mais Quelqu’un. Avec les philosophes, les chrétiens recherchent donc la Vérité dans tout le réel ; mais face à eux, ils croient en un Dieu personnel, Être de relation créant par Amour et non pas pure Pensée isolée du monde.
La raison soutien de la foi
À chaque époque, foi et raison ont donc à entrer en dialogue. Selon la phrase de saint Pierre [2], les chrétiens doivent toujours être prêts à rendre raison (apo-logia) de leur foi à quiconque le leur demande. Aujourd’hui, ce témoignage se mène surtout sur deux fronts. D’une part, le rationalisme moderne pose le primat d’une raison purement calculatrice et désincarnée [3], à la fois toute-puissante et se limitant à traiter des données. D’autre part le spiritualisme contemporain, fondé sur l’intuition personnelle, donne l’illusion d’un consensus et mène à une indifférence relativiste.
Face à ces phénomènes symétriques, Benoît XVI défend une vision de l’homme dynamique. Selon lui, non seulement l’homme est capable d’une harmonie entre sa foi et sa raison, mais il n’est pas un individu isolé qui serait seul en charge de lui-même. De même que la raison ne peut s’exercer sans la « foi » en un ordre mesurable [4], de même la foi ne peut se satisfaire de convictions privées de soutien rationnel ; et dans les deux cas, de multiples relations sont à l’œuvre tout au long de l’histoire, permettant à l’humanité de se découvrir progressivement elle-même, tous étant pour cela solidaires les uns des autres.
Une dynamique de la liberté
Finalement, le dialogue rationnel nous fait progresser mutuellement dans la vérité, tandis que la transmission de la foi nous rapproche de Celui dont l’amour fonde l’agir humain dans l’univers. [5]
Ainsi, « je dirais que le chrétien a la grande confiance fondamentale, ou mieux, la grande certitude fondamentale de pouvoir tranquillement prendre le large dans la vaste mer de la vérité, sans avoir à craindre pour son identité de chrétien. Certes, ce n’est pas nous qui possédons la vérité, mais c’est elle qui nous possède : le Christ qui est la Vérité nous a pris par la main, et sur le chemin de notre recherche passionnée de connaissance, nous savons que sa main nous tient fermement. Le fait d’être intérieurement soutenus par la main du Christ nous rend libres et en même temps assurés. Libres : si nous sommes soutenus par lui, nous pouvons ouvertement et sans peur, entrer dans tout dialogue. Assurés, nous le sommes, car le Christ ne nous abandonne pas, si nous ne nous détachons pas de lui. Unis à lui, nous sommes dans la lumière de la vérité »
Dans un apparent paradoxe, c’est donc la liberté de la foi qui permet au croyant de résister à l’arbitraire de l’irrationnel : « Dans la grande entreprise humaine qui cherche à dévoiler les mystères de l’homme et de l’univers, je suis convaincu du besoin urgent d’un dialogue constant et d’une coopération entre les mondes de la science et de la foi pour édifier une culture du respect de l’homme, pour la dignité et pour la liberté humaine, pour l’avenir de notre famille humaine et pour le développement durable à long terme de notre planète. Sans cette interaction nécessaire, les grandes questions de l’humanité quittent le domaine de la raison et de la vérité, et sont abandonnées à l’irrationnel, au mythe, ou à l’indifférence, au grand détriment de l’humanité elle-même, de la paix dans le monde et de notre destin ultime » [6].
[1] J. Ratzinger, Foi chrétienne hier et aujourd’hui, Mame 1969, p. 80.
[2] 1P 3,15 ; cf. Benoît XVI, Discours à la Curie du 22 décembre 2005.
[3] Cf. par exemple Benoît XVI, Discours pour l’Université de la Sapienza prévu pour le 17 janvier 2008.
[4] Cf. Benoît XVI, Discours à Ratisbonne du 12 septembre 2006.
[5] Benoît XVI, Discours à la Curie du 21 décembre 2012.
[6] Benoît XVI, Discours à l’Académie pontificale des Sciences, 8 novembre 2012.