Du Saint-Sacrement au sans Sacrement
Lundi saint 6 avril 2020
Méditation du Lundi saint.
Depuis toujours, on nous a dit que la vie sacramentelle était essentielle (et même essence –Ciel !) à notre vie spirituelle. Et c’est vrai. Pour nous, catholiques, le sacrement est une irruption du Seigneur Jésus Ressuscité dans notre monde charnel, temporel pour sanctifier notre quotidien. Il est ressuscité et donc divinement vivant, éternellement vivant. Nous n’en avons pas de preuve, nous sommes même dans l’épreuve. L’épreuve de la foi. Car il a choisi un mode de présence, l’Eucharistie, qui ne nous est accessible que par la foi en Lui. On ne voit pas Jésus, on voit une hostie. Et on croit qu’on est relié les uns aux autres (c’est l’Eglise), et les uns les autres avec Dieu (c’est la communion) à Celui qui a dit « Ceci est mon corps ». Quand il a prononcé ces Paroles, à la Sainte Cène, il relie Lui-même son corps-Pain à son corps crucifié (le lendemain), à son corps déposé dans le tombeau et victorieux de la mort (Pâques) et à son corps ecclésial qui fait et fera « ceci en mémoire de Lui ».
Il y a plus qu’une continuité, il y a une unité. Il y a 3 jours saints, mais un seul événement. Un peu comme nous croyons en seul Dieu en 3 personnes. Le Fils n’est pas le Père, mais pas sans le Père, etc. Et le Jeudi Saint n’est pas le Vendredi Saint mais pas sans le Vendredi saint, etc.
Et voilà que depuis 2 ans, nous perdons les signes.
L’an dernier, nous avons perdu notre cathédrale le lundi Saint 2019. Depuis qu’elle est partie en flammes, nous avons dû renoncer à ces rassemblements ecclésiaux autour de notre Archevêque et de sa cathèdre. Cela ne nous a pas empêchés de célébrer ailleurs, dans d’autres églises, mais le signe de la cathédrale, s’il reste visible ne nous est plus accessible. Et pourtant, nous l’aimons cette cathédrale, nous avons besoin de ce signe : il nous manque.
Cette année, c’est dans nos corps ou dans celui de beaucoup de nos amis et parents que le feu s’est déclaré. Destructeur et non purificateur ! Et nous n’avons plus accès à l’Eucharistie. Ni à tous ces rassemblements qui donnent une âme à nos corps miséreux, un ciel à nos terres désolées.
Ce manque est plus douloureux que l’autre signe. Il nous met en état de vivre le surnaturel de manière virtuelle : Les réseaux sociaux nous transmettent la messe (de notre paroisse, ou celle du Pape), mais pas l’Eucharistie. Nous voyons un rite, mais nous n’y communions pas réellement. Certes, il y la communion de désir, la communion spirituelle, mais que deviendrait notre foi, sur le long terme, si elle n’était vécue que comme un rite extérieur ? Déjà qu’elle est bien fragilisée et si peu nourrie….
Nous voici donc temporairement devant le « sans sacrement ». Pour tirer le meilleur de ce pire, je vous propose de revenir à cette foi originelle qui est née le jour du tombeau vide du Seigneur
Car notre foi eucharistique est une foi pascale. Elle est née à Pâques. Tout le contenu de notre foi est suspendu à ce fait, à cet événement : la Résurrection de Jésus-Christ. Un événement que personne n’a vu en direct, mais dont quelques-uns (juste quelques-uns) ont été témoins.
Nous n’avons jamais vu et nous ne verrons jamais, sur cette terre, Jésus Ressuscité. D’autres l’ont vu pour nous : les courageuses femmes, disciples de la première heure, Thomas, Pierre, les disciples d’Emmaüs et quelques autres. Ça ne fait pas grand monde. Mais ils forment l’Eglise qui a vu pour que vive l’Eglise qui croit.
En ce temps de disette sacramentelle, la Parole de Dieu doit aujourd’hui fonder notre foi. Nous ne pouvons pas nous contenter d’une liturgie dominicale habituée, routinière. Cette douloureuse frustration doit pouvoir aujourd’hui être transformée en un moment providentiel pour « manger la Parole » puisqu’on ne peut plus « manger la chair du Fils de l’homme ». Manger la Parole cela veut dire trouver aussi un auteur spirituel (classique ou contemporain) qui donne le goût de cette Parole. Car l’Évangile est comme un tableau de maître : quand quelqu’un nous l’explique, on voit des tas de choses qu’on ne voyait pas ! Et on s’émerveille. Notre foi individuelle n’est pas reliée en direct et en solo à l’évènement du jour de Pâques. Nous croyons à la Résurrection de Jésus parce que nous nous appuyons sur le témoignage de ces témoins qui, eux, ont rencontré le Christ Ressuscité. C’est l’Église qui croit. Nous sommes juste des membres de ce Corps-qui-croit ! (de ce corps qui croix, de ce corps qui croît)
De même, cette non-communion à laquelle nous devons consentir peut nous permettre de redécouvrir que communier n’est pas un acte de piété individuelle, c’est un acte d’adhésion à cette Eglise qui a vu, écrit et transmis ce que nous n’aurions jamais su sans elle. Communier, c’est donner sa vie au Christ. Mais ne pas communier, ce n’est pas la lui retirer, c’est entrer autrement dans le mystère de Jésus-Christ, Parole de Dieu, Verbe de Dieu fait homme.
Pour garder une foi vivante, sans l’Eucharistie, il faut protéger, faire grandir cette foi ecclésiale. Cette Eglise de Pierre et de Jean, de Marie-Madeleine et de Thomas est l’Église du Seigneur à son état naissant. Nous en faisons autant partie qu’eux puisque notre foi est la leur. Puisque c’est le même Seigneur !
+ Philippe Marsset