En paroisse, ces destins d’Arméniens exilés
Paris Notre-Dame du 26 août 2021
À la paroisse N.-D.-de-Lourdes, la distribution alimentaire révèle son lot de misères sociales. Mais aussi son lot d’échanges culturels et religieux. Comme avec ces accueillis venus d’Arménie, issus de l’Église apostolique arménienne, qui croisent, avec la paroisse, leur foi et leur histoire personnelle.
En ce samedi de juillet, la cour où la paroisse N.-D.-de-Lourdes (20e) orchestre sa distribution alimentaire avec l’Ordre de Malte, s’anime. Comme chaque semaine depuis le premier confinement, Anouch [1] fait la queue. Depuis le début de la crise sanitaire, le curé, le P. Xavier Snoëk, explique avoir découvert une nouvelle population, précarisée par la crise. Et notamment plusieurs foyers arméniens, issus de la diaspora économique de ces dernières années. Parmi eux, Anouch et son mari, anciens agriculteurs du Haut-Karabagh. Depuis qu’elle a découvert cette église, Anouch aime venir allumer un cierge à l’église. « Cela me renvoie à mes racines », confie-t-elle dans sa langue. Baptisés dans l’Église apostolique arménienne (Église orthodoxe autocéphale), elle et son mari ont aussi rencontré, par l’intermédiaire du P. Snoëk, le P. Joseph Kelekian, recteur de la cathédrale Ste-Croix de Paris (3e) des Arméniens catholiques de France. Ce dernier est même venu célébrer une messe à N.-D.-de-Lourdes le 24 avril dernier, jour de la commémoration du génocide arménien de 1915, pour ancrer ces nouvelles rencontres dans leur foi. « La paroisse est un lieu qui accueille tous ces destins croisés, observe le P. Snoëk. Cela révèle finalement notre vocation de refuge. » Vocation concrétisée avec la délégation de l’Ordre de Malte de l’arrondissement, en créant un pôle d’accueil pour les Arméniens et chrétiens orientaux. Les larmes aux yeux, Anouch, qui a encore des petits-enfants en Arménie, raconte : un cousin de 19 ans serait mort mi-juillet, dans des combats qui semblent se poursuivre sporadiquement à la frontière de l’Azerbaïdjan et du Haut-Karabagh, malgré les accords de cessez-le-feu du 9 novembre [2]. « Là-bas, nous cultivions des tomates et des poivrons, poursuit-elle. Nous avions sans cesse des problèmes avec les tuyaux d’irrigation, coupés par les Azéris... Aujourd’hui, je n’ai plus aucun espoir pour mon pays. » Face à elle, Lisa, franco-libanaise d’origine arménienne, traduit les propos d’Anouch et témoigne aussi. Issue de la diaspora de 1915 par ses grands-parents rescapés d’un convoi de déportation, elle a émigré, du Liban en France, en 1977. C’est grâce à l’école de sa fille, Notre-Dame de Lourdes (20e), qu’elle a découvert la paroisse. « Jusque-là, explique-t-elle, j’avais une image un peu froide du catholicisme. Mais découvrir cette église a été un vrai cadeau. Cela m’a rappelé ce pan entier de moi-même que sont mes racines chrétiennes. Avant, j’allais rarement à la cathédrale apostolique arménienne St-Jean-Baptiste (8e), où ma fille a été baptisée. Maintenant, j’y vais un peu plus, par exemple à Pâques. Mais j’ai célébré les Rameaux à N.-D.- de-Lourdes ! » Francophone, Lisa parle couramment l’arménien, transmis par ses parents, et l’enseigne à sa fille. L’enjeu ? « Quand, brutalisés par l’histoire et par une volonté d’être effacés, vous faites partie d’une famille de survivants, vous avez un devoir de mémoire. C’est un devoir d’humanité : pour témoigner qu’être vivant, respecté et respecter les autres, ce n’est jamais une donnée définitive. Ce fardeau de l’histoire doit nous élever, nous et nos pays d’accueil. »
[1] Le prénom a été modifié.
[2] Le conflit frontalier entre l’Azerbaïdjan et la république autoproclamée du Haut-Karabagh, peuplée d’Arméniens, a repris en septembre 2020. Malgré le cessez-le-feu du 9 novembre 2020, la paix reste menacée.
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