Entretien avec le cardinal André Vingt-Trois pour l’émission “Un jour, une cathédrale”
Radio Notre Dame – Mercredi 13 juillet 2016
Émission de Marie-Ange de Montesquieu en partenariat avec la collection “La grâce d’une cathédrale”.
Radio Notre Dame : Bonjour à tous. Mgr Vingt-Trois bonjour.
Card. Vingt-Trois : Bonjour.
Radio Notre Dame : La cathédrale de Paris à l’honneur aujourd’hui, avec « La grâce d’une cathédrale », l’ouvrage que vous avez préfacé et vous écrivez ceci : « Depuis la pose de la première pierre (…) vers 1163, et les premières célébrations dans le chœur de la cathédrale en 1185, Notre-Dame de Paris est une cathédrale toujours nouvelle. Les rénovations, les embellissements et les adaptations accompagnent la vie des générations de chrétiens », au fond Notre-Dame de Paris, Monseigneur, avant tout c’est un peu un livre d’histoire de France sur plus de 850 ans.
Card. Vingt-Trois : Oui, plus de 850 ans parce que l’une des caractéristiques des cathédrales, souvent, et c’est le cas de Notre-Dame de Paris, c’est d’avoir été construite sur un lieu qui était déjà une cathédrale. Il y a là le témoignage d’une nouvelle étape, d’une nouvelle expression artistique, liturgique, etc. sur un lieu marqué depuis l’antiquité, la cathédrale Saint-Étienne pour Paris. Dans le cas de Notre-Dame de Paris, évidemment, la construction entreprise au XIIe siècle est complètement nouvelle. Elle fait d’une certaine façon, table rase des édifices précédents, mais le lieu reste le même. C’est le lieu central de la ville de Paris, et c’est aussi une expression symbolique de la vitalité de l’Église qui demeure à travers les siècles avec des aménagements permanents, mais aussi avec des aménagements continus.
Radio Notre Dame : C’est un livre qui continue de s’écrire.
Card. Vingt-Trois : Continuellement puisque la dernière étape importante à Notre-Dame de Paris fut l’aménagement du chœur liturgique sous la direction du cardinal Lustiger. Il n’a pas fait les plans mais il y a contribué. C’était une façon d’exprimer quelque chose d’artistiquement visible après la réforme et la mise en œuvre de la liturgie conciliaire. Mais on pourrait dire la même chose des grandes orgues qui ont été perpétuellement en restauration. Cela donne une vision de la vitalité de l’Église à travers les siècles.
Radio Notre Dame : Vous dites : sans être la plus ancienne ni la plus grande des cathédrales gothiques, c’est le monument de France le plus visité, probablement la cathédrale la plus connue, vous ajoutez « est-ce à cause de saint Louis, de Napoléon, de Victor Hugo, de Paul Claudel, ou de Walt Disney » et en tout cas peut-être moins pour la sainte couronne d’épines du Christ, Monseigneur, c’est vrai que c’est étonnant cette diversité.
Card. Vingt-Trois : Oui, on pourrait dire d’ailleurs l’inverse, c’est-à-dire que la notoriété de Notre-Dame dépend de toutes ces expressions culturelles que vous avez évoquées, mais on peut dire inversement que si ces expressions culturelles ont été formulées à propos de la cathédrale Notre-Dame de Paris, c’est parce qu’elle avait une position particulière dans le tissu ecclésial français et c’est cette position particulière qui était exprimée par ces expressions artistiques.
Radio Notre Dame : Qu’est-ce qu’elle avait de vraiment particulier finalement cette cathédrale ?
Card. Vingt-Trois : Elle a de particulier qu’elle est, d’une certaine façon, un sanctuaire national, du fait de l’importance particulière de la ville capitale de Paris, des événements d’importance nationale ou internationale qui se déroulent nécessairement à Paris et qui ont eu, par leur situation à Paris, une expression dans le domaine chrétien à travers la cathédrale. On n’imagine pas que le sacre de Napoléon ait lieu aux Arènes de Lutèce !
Radio Notre Dame : Et vous dites aussi que la cathédrale de Paris, pas plus qu’une autre église – et c’est plus étonnant – ne veut être le signe d’un particularisme quelconque ou le refuge qui permettrait aux chrétiens d’échapper au tumulte du monde. C’est pourtant que l’on en fait bien souvent, un refuge ?
Card. Vingt-Trois : Cela dépend ce que l’on entend par refuge, mais ce que je veux dire, c’est que la vocation propre de l’Église n’est pas d’être une forteresse protectrice. Dans la liturgie de la dédicace de la cathédrale, que l’on commémore chaque année, la lecture du livre de l’Apocalypse décrit la vision de la Jérusalem céleste avec ses murailles très fortement implantées, sur les douze colonnes qui représentent les douze apôtres, et avec quatre portes ouvertes aux quatre points cardinaux. C’est simultanément la représentation de la force propre de l’Église au milieu de la société, et donc de sa capacité de protection d’une certaine façon - elle peut servir de refuge - mais en même temps, c’est l’expression de sa mission, c’est-à-dire qu’elle est destinée à être un refuge pour tous les hommes et pas simplement pour quelques-uns. Cela s’inscrit d’ailleurs dans la continuité et la cohérence de la révélation judéo-chrétienne dans laquelle le Peuple élu, le peuple d’Israël, élu par Dieu pour être son peuple au milieu des nations, avait donc une identité spécifique pour être le peuple de Dieu mais dont la vocation était d’être une lumière pour toutes les nations, et donc simultanément d’avoir un destin particulier et une mission universelle.
Radio Notre Dame : Justement, est-ce que les uns et les autres le perçoivent ? Cette cathédrale qui est le monument le plus visité de France, que cherche-t-on finalement ? Un athée, quelqu’un d’une autre confession, un musulman, un juif, qui visite cette cathédrale ? Qui cherchent-ils finalement ?
Card. Vingt-Trois : Ça, il faudrait le leur demander ! Mais je pense que cela n’est pas forcément ce qu’il se passe en plus. Le message propre de la cathédrale qui est aussi un symbole de la mission de l’Église, c’est d’exprimer quelque chose de relativement inexprimable : la révélation de Dieu et la communion avec Dieu dans l’Alliance, à travers des signes et un langage qui peuvent être entendus par des gens qui ne font pas partie de l’Alliance.
Radio Notre Dame : Quel langage ? L’art ?
Card. Vingt-Trois : Le langage esthétique, le langage liturgique. Je vois le bien par exemple lorsque je célèbre le dimanche soir à la cathédrale, surtout à cette saison, ou au printemps où les jours rallongent. Quand on commence la messe à 18h30, il y a 500 personnes qui sont dans les déambulatoires. Ce sont des touristes qui finissent leur journée en entrant dans la cathédrale. Ils ne sont pas nécessairement chrétiens. C’est une curiosité. Ils veulent voir quelque chose que tout le monde n’a pas vu, et ils déambulent, ils font le tour… Ces gens-là sont atteints par le langage propre de l’esthétique de la cathédrale, son architecture, la beauté du lieu, etc. et par le langage propre de la liturgie. Ils ne se convertissent pas pour autant. Ils partent et vont faire autre chose, mais cela veut dire que, durant ce moment passé à la cathédrale, un message leur a été adressé. Alors le message atteint ou n’atteint pas ! Ils répondent ou ils ne répondent pas ! Ça, c’est le mystère…
Radio Notre Dame : pour terminer Monseigneur, j’aurais bien aimé vous demander votre lien, votre attachement à cette cathédrale. Quel est-il ? Si ce n’est pas trop abstrait comme question. Est-ce que c’est quelque chose d’esthétique, je ne sais pas, la musique, l’harmonie des perspectives, les vitraux, l’histoire…
Card. Vingt-Trois : Ce qui est le plus fort, le plus prégnant pour moi, c’est le sens même de la cathédrale, c’est-à-dire le lieu où s’exprime la vie ecclésiale. Ces célébrations sont relativement rares, il y en a deux ou trois par an, la messe chrismale, les grandes fêtes liturgiques évidemment mais cela, c’est un peu comme dans chaque église. Mais la messe chrismale est vraiment une célébration diocésaine propre à la cathédrale. Les ordinations ont lieu aussi à la cathédrale. En célébrant ces événements de la messe chrismale ou des ordinations, j’ai vraiment le sentiment d’être dans la plénitude de la cathédrale, c’est-à-dire qu’il y a la beauté du lieu et de l’architecture, la qualité musicale, la qualité chorale, et en même temps la vitalité du peuple chrétien qui est rassemblé et qui réagit, qui agit dans la liturgie.
Radio Notre Dame : Merci Monseigneur Vingt-Trois.