Henri Marrannes, jociste

Jociste, reconnu martyr en haine de la foi, il sera béatifié le 13 décembre 2025 à Notre-Dame de Paris.

Henri Marrannes
© D. R.

Biographie

Henri était le 5e des sept enfants d’une modeste famille d’immigrés belges. Né le 27 juin 1923 à Ferrières-la-Verrerie (Orne), il devient Jociste à Paris, fédéral de Paris-Sud-Ouest en 1940 et, très vite, l’âme de la section Falguière. Mûr très tôt, disent ses frères et sœurs :

« à quinze ans, il était celui à qui nous demandions conseil... avec lui, pas de paroles en l’air ; les mots étaient comme autant d’engagements suivis d’action ; pas sectaire avec les non chrétiens, mais exigeant pour lui et les autres à la J.O.C. ».

C’était le meneur incontesté. Il crée (avec le Secours Populaire) un service d’entraide pour les familles défavorisées, leur procurant, grâce à un jaciste, ancien jociste retourné en Franche-Comté, des colis de pommes de terre. Employé dans un atelier de petite mécanique : réparation de machines à écrire, tiroirs-caisses etc., la Compagnie Real, il sait, le 29 octobre 1942, qu’il y aura neuf requis dans l’atelier, presque la moitié de l’effectif valide entre 18 et 50 ans :

« S’il y a trop de défections au point de vue santé, ou s’il y en a deux ou trois qui fichent le camp sans laisser d’adresse, je suis bon comme la romaine pour partir là-bas... Ceux de l’atelier vont à Gera, près de Leipzig. [...] En tout cas, si je dois partir, je laisserai la question pommes de terre et colis en bonnes mains... »

Il prit effectivement la place d’un camarade marié et père de deux enfants et, le 6 novembre, il prévient son correspondant de Franche-Comté, André Jacquinot, qu’il a confié le service d’entraide à un camarade jociste :

« C’est mon dernier mot de Paris, car je pars tout à l’heure à 10 heures à la gare de l’Est [...] Je te quitte. Plus que jamais unis dans notre Christ. Mille fois merci pour tous les dérangements pour patates ou autres ».

À Gera (Thuringe), le 8 novembre 1942, il cherche à repérer tous les jocistes, jacistes, scouts pour les regrouper, visite dimanche après dimanche les kommandos S.T.O., tout en essayant de faire évader son beau-frère prisonnier.

Un fédéral jociste de Nantes, Louis Bacle, décrit Henri dans une lettre du 22 janvier 1981 : un chef, un entraîneur, réunissant tout le monde dans une salle de la cure, puis dans un café de la ville, apprenant l’allemand et lui passant son assimil : « Tu verras, comme ça, nous pourrons nous débrouiller en voyage ». Beaucoup de camarades fréquentant des femmes de toutes nationalités, encourant d’ailleurs le risque de la prison et de la maladie, cette immoralité le préoccupait :

« Quand on pense que certains sont mariés, d’autres fiancés, qu’est-ce que cela va donner quand ils rentreront chez eux ? »

Il a le souci d’aller à la masse, prenant le train sans autorisation ni papiers. Ayant obtenu le rapatriement d’une jeune J.O.C.F. du Nord, partie sur un coup de tête, il l’accompagna au train en septembre 1943 :

« Au moins, en voilà une de sauvée à tous points de vue », disait-il.

Il avait convaincu l’abbé Yves Rabourdin, (du stalag IX C, kommando 544 B à Gera), à « passer civil » en juillet 1943, pour les encadrer : Yves n’était pas chaud, car les « transformés » étaient considérés comme des « collabos ». Et ce furent les innombrables réunions, tous les dimanches, avec les militants et les groupes dans toutes les villes des environs, jusqu’à ce qu’à Noël 1943, la surveillance se resserre : on est alors obligé de laisser à trois groupes leur indépendance et on fractionne les autres, 5 membres au maximum, pour ne pas attirer l’attention dans les cafés. L’abbé, quant à lui, regroupe séminaristes et religieux pour former Le Monastère, et seconder par la prière l’action des jocistes.

Henri préparait les enquêtes – Voir, juger, agir, – pour faire comprendre à ses camarades pleins de préjugés, ou totalement ignorants, la beauté de la messe, préparant Noël, Pâques... Saint Paul était son modèle : il aimait le risque de l’apostolat dans le milieu difficile où il vivait, allait chercher les gars partout où ils se trouvaient :

« Être rédempteur avec le Christ, payer pour les autres comme Lui l’avait fait », était sa devise à ce moment-là.

Mais vers le milieu de mars, on perquisitionne chez l’abbé Rabourdin. Il prévient Henri, mais celui-ci est arrêté le lendemain et emmené à Gotha. Selon l’accusation, une lettre aurait été envoyée à un jociste de Thuringe par un Cardinal français : « Constituez des groupes jocistes et mettez-vous en relation avec les groupes allemands d’action catholique en résistance avec le parti nazi ». L’information, vraie ou fausse, prouve au moins que les garçons furent arrêtés pour leur action jociste, donc, pour Action Catholique.

« Henri, dit Yves Rabourdin, était de la trempe des Jocistes de la première génération pour lesquels s’alliaient l’amour de la masse et l’amour du Christ : Nous referons chrétiens nos frères... Le secret de sa vie spirituelle transparaissait dans son activité [...] C’est lui qui m’a poussé “l’épée dans les reins” pour me lancer dans l’aventure de la mission de Thuringe. [...] Lui, avec les autres, m’ont obligé à réfléchir sur ma place de prêtre dans l’Église. De formation sulpicienne, je vivais le “prêtre religieux de Dieu”. Ce sont EUX qui m’ont ouvert au rôle du “prêtre missionnaire dans l’Église” et accompagnateur de ceux qu’on appelait alors les militants ».

Eugène Jean, un gars réputé forte tête à l’usine Horch, de Zwickau, évoque ses souvenirs sur Riton :

« Un des rayés me disait : “Il ne faut pas qu’on te voie, parce que tu risques gros”. Lui ayant fait remarquer que lui aussi, il m’a répondu : “Mais pour moi, ça n’a pas d’importance. Je suis chrétien, de la J.O.C., et les brimades et les coups que je reçois sont peu de choses près des supplices que Jésus a supportés pour toi comme pour moi. Et puis, c’est mon offrande pour le bien de mes frères jocistes ; c’est ma façon de prier, à moi – et pour tous les hommes, comme le Christ” ».

Du coup, le dur se dévoile à son tour chrétien, ancien jociste, vivant sa foi, se considérant aussi en mission auprès des travailleurs français. Henri lui dit son désir et celui d’autres militants emprisonnés d’avoir des hosties pour Noël : Eugène, se déguisant en prisonnier, en obtient de l’aumônier du camp IV F, et les dépose sur la cloison des WC dans une boite de cirage Lion noir, bien propre.

Ils se revirent durant un interrogatoire où l’on tabassa Henri durement. Eugène étant condamné à son tour, ils se retrouvèrent au kommando des rayés : des amis leur procurèrent de nouveau des hosties sur le muret des WC. Cette fois, dans une boîte ronde de dentifrice Gibbs. Dans la baraque d’Henri, ils communièrent encore de parcelles consacrées fournies par un autre « rayé », en priant et murmurant le chant jociste. Henri était très mal en point. Transporté à l’infirmerie, il fait un signe de croix avec les doigts pour dire prière. Eugène repense à ses derniers mots :

« Pense au Ciel. Ici, c’est déjà le couloir qui y mène. Prie beaucoup et toujours pour les autres, moi, et toi ; c’est le Seigneur qui sait ce qu’il doit faire de nous »

Le lendemain, 4 avril 1945, il était mort :

« Ils l’ont tué », dit le médecin (on l’avait battu à coups de planche). « Depuis, je n’ai jamais cessé de prier et de vivre en chrétien, ajoute Eugène. Il est un bon ange gardien pour moi, surtout quand j’ai des difficultés. Il est impossible d’oublier Riton. Quand je l’ai rencontré, il était déjà au ciel ».

Voir aussi
 La page consacrée au futur bienheureux sur le site du diocèse de Séez


Source
 Armand Duval, Missionnaires et martyrs, 51 témoins du Christ face au nazisme, François-Xavier de Guibert, 2005.

Béatification de Raymond Cayré, Gérard-Martin Cendrier, Roger Vallée, Jean Mestre et de leurs 46 compagnons
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