Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Veillée de prière pour la vie avec les évêques d’Île-de-France à Saint-Germain l’Auxerrois

Mardi 23 mai 2023 - Saint-Germain l’Auxerrois (1er)

« La vie en plénitude ».

 Ps 117,97,46 ; Jn 10,1-15
D’après transcription

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Que le Seigneur nous soit en aide pour que nous entendions avec justesse les témoignages que nous venons d’écouter, pour que nous ne trahissions pas le message de chacun d’eux. Que sommes-nous venus faire ce soir ? Nous savons bien que dans les circonstances de la vie de notre société, où des projets législatifs risquent de blesser, risquent de nous voir laisser de côté ce sens de la vie que nous essayons de promouvoir, nous ne pouvons pas simplement vivre des temps de manifestations, des temps où nous exprimons des pensées contraires à celles que l’ensemble du monde politique, et parfois du monde intellectuel, semble vouloir promouvoir. Nous savons qu’il y a un temps autre.

Le temps de participer au débat est nécessaire et nous continuons de le faire en toutes occasions qui se présentent à nous. Mais ce soir nous savons que nous sommes venus prier ; que nous sommes venus nous approcher du cœur de Jésus ; que nous sommes venus méditer sur le don de Dieu ; que nous sommes venus implorer l’Esprit, l’Esprit de Dieu pour garder, au milieu des circonstances contraires, le chemin que le Seigneur nous invite à suivre.

Nous venons d’entendre des témoignages qui nous aident à cette méditation, à cette prière, à cet abandon au Seigneur, à cette redécouverte de ce que le Bon Pasteur est venu faire, dire et nous permettre de vivre. Je suis venu, dit-il, pour que les brebis aient la vie et qu’elles l’aient en abondance. Cette vie en abondance, cette expression que nous connaissons bien - que nous avons d’ailleurs déjà entendue il y a quelques dimanches dans l’Évangile - elle nous intrigue, elle nous interroge et elle interroge le monde dans lequel nous vivons bien sûr. Qu’est-ce qu’elle recouvre cette expression : la vie en abondance ? Le sentiment, peut-être le plus spontané, qui est partagé dans notre société, c’est que la vie en abondance c’est une vie comblée de biens, c’est une vie débordante d’activités, c’est une vie dite intéressante, comblée de biens matériels, de prouesses technologiques qui, dans ce monde d’aujourd’hui, nous fascinent tellement. Une vie aussi, peut-être, de richesses culturelles. Tout cela existe, et nous en profitons plus ou moins. Mais nous avons bien le sentiment que la vie en abondance dont parle le Seigneur, dont parle le Bon Pasteur, elle se situe autrement.

Nous venons d’entendre ces témoignages qui nous disent ce que pourrait bien être ce qu’est vraiment une vie, une vie remplie d’un amour qui déborde. Une vie remplie d’un amour pour la vie, d’un amour pour les autres, d’un amour de Dieu qui la traverse et qui la transforme. Une vie que quelques philosophes peuvent appeler aujourd’hui une vie « vivante ». Qu’est-ce qu’elle est cette vie « vivante » ? Quelle est sa proposition ? Nous le comprenons à travers ce que nous venons d’entendre. Être capable – comme nous l’a dit Violaine d’abord – de percevoir qu’à travers la vie compliquée, la vie diminuée des enfants polyhandicapés, qui ne répondent pas à des normes telles qu’on puisse, semble-t-il, les aider, la vie de ces enfants séparés des parents, est une vie dans laquelle pourtant on peut voir le Christ souffrant, le Christ abandonné, le Christ donné à Dieu, donné aux autres, le Christ cheminant au milieu des hommes. Le Bon Pasteur qui donne la vie en abondance est là dans cette rencontre.

Nous l’avons entendu aussi à travers le témoignage de Louis, lorsqu’il comprend, dit et expérimente qu’il ne peut pas rester enfermé sur lui-même ; que le secret de la vie qu’il entend mener se trouve dans la sortie de lui-même, dans l’acceptation de l’aide apportée par d’autres, dans le désir de manifester la joie, le sourire, dans le désir apporté aux autres de la vie, de la vie partagée, de la vie encouragée, de la vie choisie, comme ce que Dieu donne, comme ce que Dieu fait fructifier.

Et dans le témoignage d’Axelle aussi, nous avons compris que cette relation conjugale, familiale, traversée par cette souffrance inattendue, par cette diminution des capacités de la vie, n’engendre pas la fermeture mais au contraire, à travers l’humour vécu et partagé, est capable d’ouvrir le cœur - ou de le laisser ouvert puisqu’il l’était déjà – de le laisser ouvert à la relation, de le laisser ouvert au don de soi, de le laisser ouvert au don de Dieu.

La vie « vivante » c’est cette vie qui accepte de s’offrir et qui accepte de recevoir dans un vrai partage. La vie « vivante » c’est celle qui accepte d’être ouverte à l’avenir. Personne n’est condamné à être enfermé sur sa propre situation. Personne n’est condamné à être enfermé sur sa maladie, sur les déficiences physiques. Personne n’est condamné à être enfermé sur un présent où l’on se dégrade mais peut-être ouvert à un avenir que Dieu donne et ne cesse de promettre. Jésus a ouvert aussi cet avenir et nous pouvons suivre le chemin dans la brèche qu’il a ouverte.

Voilà ce que nous avons compris, ce que nous attendons de pouvoir vivre les uns avec les autres. Voilà ce que nous prétendons pouvoir soutenir comme attitude, comme façon d’être à la suite du Christ, parce que nous découvrons que toute vie fragilisée, diminuée, demeure le lieu d’aimer, le lieu d’espérer, le lieu de manifester de la confiance les uns dans les autres. Confiance qui s’abreuve à la confiance que Dieu nous fait. Confiance qui découle de la foi que nous faisons en la promesse de Dieu. Cette vie « vivante » qui nous est promise, nous savons pouvoir la faire partager. Nous accueillons le don que Dieu nous fait. Nous nous laissons porter par les témoignages que nous venons d’entendre et qui sont un commentaire si vivant et vrai de l’évangile que nous avons entendu tout à l’heure. De l’évangile vécu sans aucune complaisance pour la souffrance mais avec une immense complaisance pour la vie qui est ce don, le don reçu, le don partagé, le don offert, le don du Christ sur la croix, le don qui ouvre à l’avenir promis par Dieu.

C’est pour cela bien sûr que nous prions pour tous les souffrants, pour tous ceux qui traversent ces épreuves de la diminution des capacités de la vie physique. C’est pour cela que nous prions pour tous ceux qui interviennent comme des aidants, comme des aimant, comme des « désirant partager ». Comme ceux qui, remplis d’espérance, se laissent encore plus remplir d’espérance, de charité et de foi au contact de ceux dont nous avons entendu le témoignage, et de bien d’autres.

Et puis encore nous prions pour tous ceux qui exercent quelque responsabilité dans la vie de notre société, pour que le cœur de chacun se laisse toucher, pour que le cœur – le nôtre et celui des autres – soit capable d’être ouvert à ce don inouï qui nous est fait chaque jour, que le Seigneur nous promet comme un don qui nous ouvre à sa vie.

Que le Seigneur nous soit en aide.

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris

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