Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe à l’occasion du 150e pèlerinage national de l’Assomption à Lourdes, télédiffusée sur France TV Le Jour du Seigneur.

Dimanche 13 août 2023 - Lourdes

 19e dimanche du Temps Ordinaire - année A
- 1 R 19,9a.11-13a ; Ps 84, 9-14 ; Rm 9,1-5 ; Mt 14,22-23

Ce n’est certainement pas le moment de raconter toute l’histoire, tout le cycle du prophète Élie, c’est un geste incroyable, des aventures qui font un bon roman. Ce qui est intéressant dans le récit d’aujourd’hui, c’est qu’il donne la clé de l’engagement de ce prophète qui est son expérience de la rencontre du Seigneur qu’il sert. Élie a fui son pays parce que le roi et la reine lui veulent du mal ; il ne cesse de les mettre en garde contre leurs mauvaises actions, leurs injustices, leur manière de défier Dieu. Il s’est enfui parce que son ministère sera encore utile au peuple, ce n’est pas le moment qu’il quitte la scène. Et le Seigneur Dieu va le gratifier d’une rencontre exceptionnelle, il va s’approcher de lui. Quand la vocation de serviteur de Dieu, de prophète est lourde à porter, Dieu s’approche et lui dit : n’aie pas peur ! Certes, il y a des ouragans, des tremblements de terre et le feu dévastateur – ce n’est pas là qu’on trouve le Seigneur ! Mais il n’est pas loin, Il est là juste après : « après le feu, le murmure d’une brise légère. » Magnifique découverte du Dieu de la Bible, du Dieu des croyants dont nous sommes les héritiers, les croyants qui sont nos pères dans la foi : on ne trouve pas Dieu dans l’agitation, dans le désordre, dans les événements terrifiants, dans la peur des événements tragiques, mais au milieu de tout ce qui nous agite et nous inquiète, Il n’est pas loin mais juste derrière ces agitations, dans la paix, dans le murmure d’une brise légère. Nous avons tous bien fait de venir à Lourdes, de nous mettre à l’écart, de faire un pas de côté pour trouver ce calme qui suit la tempête de nos vies inquiètes. Vous tous qui êtes ici, vous avez déjà fait cette expérience apaisante de Lourdes. D’ailleurs, c’est le début même de l’expérience particulière de Bernadette : allant chercher du bois avec ses compagnes en ce lieu même, elle entend comme un coup de vent, c’est apparemment plus fort que le murmure d’une brise légère, mais c’est un signal que ses compagnes n’entendent même pas et il avertit Bernadette d’une présence, elle voit cette belle dame qui demeure simplement silencieuse.

Voyons maintenant du côté de l’évangile d’aujourd’hui. Jésus vient vers la fin de la nuit. Il rejoint ses amis, ses premiers disciples au milieu même de leur activité de pêcheurs sur la mer de Galilée ; ce métier est difficile voire dangereux ; ce soir-là, après une belle journée à écouter Jésus et ses promesses de vie, ils sont affrontés aux vents contraires, et la pêche est encore plus difficile. Jésus vient après ce moment pénible, mais ils ont encore peur. Peur d’un fantôme – est-ce que cela existe vraiment ? Peur du vent encore, et Pierre qui s’est jeté à la rencontre de Jésus cède à la peur : « homme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? » Mais retenons cela encore : Jésus vient souvent vers la fin de la nuit. Quand nous avons donné tout ce que nous pouvions, quand nous désespérons de nous en sortir nous-mêmes. Nos fragilités, la maladie qui nous enferme, notre faiblesse dans la foi, le péché qui nous obsède et nous empêche d’agir. J’élargis le sujet, il ne s’agit pas seulement de nos propres personnes, mais aussi de notre communauté croyante, de notre Église qui se sent paralysée dans une société où elle n’est plus maîtresse du jeu, où sa voix ne paraît plus guère entendue. Dans nos obscurités, dans nos paralysies collectives, au milieu d’une société inquiète et divisée, nous pensons trop vite que nous n’avons plus rien à dire, que personne ne nous entendra. N’oublions pas : après la journée certainement fatigante que Jésus a eue pour enseigner les foules et même les nourrir – c’est un des récits de multiplication des pains qui précède l’épisode d’aujourd’hui – après cela donc, Jésus a renvoyé lui-même la foule en lui donnant confiance pour ce que chacun aurait à vivre dès le lendemain. Puis il s’est retiré à l’écart, dans la montagne, pour prier, pour s’entretenir avec son Père. Pour que sa parole soit apaisante, pour appeler à la confiance, Jésus est d’abord allé au rendez-vous de son Père. Et pour que nous entendions cette parole qui nous appelle, il est bon aussi que nous nous mettions à son école, que nous sachions aussi nous retirer, nous mettre à l’écart. Nous tous qui sommes ici, nous avons bien fait de venir, de nous mettre à l’écart avec Jésus et sa mère, avec Marie et Bernadette. Et avec tous nos frères ; même si ce n’est que quelques jours bien vte passés, ou même quelques heures. Réentendons cette phrase de Jésus, plus douce qu’il n’y paraît, elle n’est pas un jugement définitif, une condamnation, mais plutôt un appel, une invitation : homme ou femme de peu de foi, pourquoi as-tu douté ? voyons dans cette interpellation une attention merveilleuse, une affection confondante alors que nous sommes dans l’inquiétude, dans l’angoisse peut-être, dans la paralysie.

Et mettons cela en rapport avec le thème de cette année : Ensemble, bâtissons sur le roc. Jésus dit à chacun de nous : avance avec confiance, n’aie pas peur ! mais Il le dit aussi à l’ensemble que nous formons, à l’Église, à la communauté des croyants. Ensemble, bâtissons ! Nous avons des choses à dire dans notre société, non pas pour la juger et la condamner, mais pour lui indiquer des chemins d’espérance où nous voulons nous-mêmes nous engager. Dans la société désunie, divisée, morcelée, nous pouvons apprendre ensemble à œuvrer, à construire cette amitié sociale à laquelle nous invite si souvent le Pape François. Il l’a fait très fort dans son encyclique Fratelli tutti, tous frères ! Une amitié par laquelle, dans les quartiers et les milieux que nous fréquentons, on cherche tous les moyens pour refaire du lien, et on regarde avec admiration tous ceux qui s’engagent dans ce sens. Une bienveillance par laquelle on s’interdit de porter des jugements tout faits sur les autres, sur des groupes sociaux qui ne nous ressemblent pas …

Je n’ai pas oublié la deuxième lecture, celle tirée de la Lettre aux Romains que nous lisons depuis quelques dimanches à la messe. Paul y livre quelque chose de son cœur de croyant et d’apôtre de Jésus. Ce passage est tout rempli d’affection, d’un amour sans détour pour ses frères juifs. Il ne les traite pas en ennemis depuis qu’il s’est tourné vers Jésus pour aller jusqu’au bout de sa propre foi ; il sait tout ce qu’il doit au fait d’appartenir, par sa naissance, à ce peuple qui le premier a entendu la voix de Dieu, comme nous l’avons compris dans la première lecture. Suprême argument : Jésus lui-même est juif ! Il est bon de parler de cela maintenant : notre Histoire chrétienne a malheureusement dérivé pendant des siècles et elle a nourri des attitudes antisémites. Le journal La Croix a porté, le mois dernier, un regard lucide sur cet antisémitisme chrétien qu’il a répercuté et soutenu pendant de trop longues années. Une belle transformation s’est opérée au cours du 20ème siècle devant l’ampleur des dégâts causés, et le Concile Vatican II a changé complètement l’enseignement de l’Église catholique, refusant désormais toute trace d’antijudaïsme dans nos pensées, nos paroles et invitant à développer la connaissance et l’amitié entre chrétiens et juifs. L’an dernier, à pareille époque, nous avons entendu dans nos églises la lecture de la lettre de Mgr Saliège, archevêque de Toulouse, qui condamnait les grandes rafles des Juifs, promis à la mort. Et la Conférence des évêques vient de publier un petit livre très documenté pour « Déconstruire l’antijudaïsme chrétien ». Voilà justement un sujet sur lequel nous avons quelque chose à dire pour faire avancer notre société vers plus de paix, de justice et d’amitié sociale.

Cent soixante-cinq ans après les apparitions de la Vierge Marie à Bernadette Soubirous, et avec ces cent cinquante pèlerinages animés ici par la famille de l’Assomption, la voix de Dieu n’a pas cessé de se faire entendre ; dans la brise légère de la rencontre et des paroles de Marie. C’est même incroyable comme Lourdes a transformé et transforme encore l’Église : la place des pauvres et l’accueil qui leur est réservé – je pense à Mgr Rodhain et à la Cité Saint-Pierre, mais aussi à Diaconia 2013 qui a initié un tel mouvement dans notre Église de France ; mais en premier lieu bien sûr, l’amour, l’attention et les soins portés aux malades ; et enfin la présence de croyants d’autres religions qui sont attachés à ce message et à la bonté de la Vierge Marie. Tout cela, c’est Lourdes, c’est la voix du Seigneur que l’on entend ici, c’est la voix de l’évangile. Merci, Sainte Bernadette qui as écouté avec tant d’attention ce qui était annoncé par la visite de la Sainte Vierge ; merci, Vierge Marie qui n’avez pas oublié le peuple souffrant et l’avez valorisé ; merci, Seigneur, de nous inviter aujourd’hui encore à n’avoir pas peur de vouloir avec toi construire, ensemble et sur le roc de ton amour qui nous sauve.

+Laurent Ulrich, Archevêque de Paris

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