Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Rassemblement des séminaristes de France, lancement en l’église de la Madeleine
Vendredi 1er décembre 2023 - La Madeleine (8e)
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– Mémoire de saint Charles de Foucauld.
– Sa 11,20c – 12,2 ; Ps 39 ; Jn 15,9-17
C’est une grande joie de vous accueillir, séminaristes de France, ici à Paris ; nous nous y préparons depuis longtemps, et j’espère que les premiers moments passés ici hier à votre arrivée vous ont déjà montré quelques richesses de la rencontre fraternelle et spirituelle que vous venez chercher pendant ces trois jours.
Nous commençons par la célébration de la mémoire de saint Charles de Foucauld, dont la première partie de vie a ressemblé à un égarement sur des chemins de traverse qui pourtant l’ont amené jusqu’à la porte d’une église parisienne toute voisine, celle de Saint-Augustin et auprès d’un prêtre, simple prêtre, vicaire de paroisse tout au long de sa vie sacerdotale, mais conseiller spirituel capable d’écouter au milieu des fracas d’une vie le murmure de la brise légère qui indiquait le chemin de la conversion : l’abbé Henri Huvelin ne poursuivait aucun grand dessein, mais se tenait prêt. Pour un seul Charles de Foucauld, combien d’autres a-t-il servis, accompagnés, nourris dans une discrétion exemplaire, une absence absolue de désir de briller, une abnégation comme seul l’amour du Christ et de sa Parole peut en produire ! Il reste ici à Paris un modèle, trop peu connu certes, mais aimé et vénéré comme un disciple à qui bien des prêtres aspirent aussi à ressembler.
Pour cette mémoire, l’Église a choisi de nous faire entendre d’abord ce passage du Livre de la Sagesse : « ceux qui tombent, tu les reprends peu à peu, tu les avertis, tu leur rappelles en quoi ils pèchent, pour qu’ils se détournent du mal et croient en toi. » Le sage, ou plutôt le chantre de la sagesse, sait bien qu’il médite sur l’action de Dieu même dans la vie d’un homme. Il ne se désespère pas, il connaît si bien la nature humaine, inconstante et inconséquente ; ce n’est pas qu’il tolère le mal puisqu’il faut s’en détourner ! Mais il sait que le pécheur vaut mieux que son acte et peut être rattrapé et corrigé, retourné et conduit sur d’autres chemins. Chez Charles de Foucauld, quand ce fut le moment, ce fut décidé et mis en œuvre. Certes la direction à prendre n’était pas encore claire, et il faudra bien des années pour accomplir la vocation au dénuement, à la recherche de l’avant-dernière place. En effet, c’est Jésus seul qui peut dire comme le psalmiste : « Tu ne demandais ni holocauste ni victime, alors j’ai dit : voici je viens ! » Jésus seul, mais il entraîne avec lui ceux qui veulent bien le faire – Foucauld en a conscience et c’est pourquoi il dit : l’avant-dernière place. Il ne s’agit pas de jouer un rôle, il ne s’agit pas de se croire capable d’innover, par soi-même. Frère Charles ne sait pas dire et faire autrement que de souhaiter à devenir frère, à la manière de Jésus. Devenir peut-être un modèle, mais il n’en sait rien lui-même, il cherche seulement à être avec Jésus.
C’est ainsi que nous entendons le passage de l’évangile de saint Jean que la liturgie a disposé pour nous aujourd’hui : « ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis et établis afin que vous alliez, que vous portiez du fruit et que votre fruit demeure. » Certes, à un moment donné, vous avez choisi de faire ce pas d’entrer au séminaire, de franchir année après année les étapes de formation, de l’initiation progressive au mystère du Christ et à son service, de demander librement à être appelés à l’admission parmi les candidats, aux ministères institués, puis aux ministères de diacre et bientôt, pour certains, de prêtres. Nous avons suivi ces chemins avant vous et nous rendons grâce à Dieu que dans votre génération vous soyez de ceux qui accueillent l’appel du Seigneur. Souvent on nous demande à nous, et probablement combien plus à vous, s’il n’est pas déraisonnable de faire, aujourd’hui, cette démarche, de jouer toute sa vie sur un engagement ; le temps ne paraît pas favorable. L’était-il davantage à la fin du dix-neuvième siècle, alors que montait dans la société française un anticléricalisme combattant en même temps qu’une assurance rationaliste qui ne voyait d’avenir radieux que dans le développement des sciences et des techniques qui étourdissait les esprits ? Mais Charles de Foucauld qui ne manquait ni d’expérience, ni d’esprit d’observation, ni de goût pour la connaissance, sentait que le vrai universel se chercherait ailleurs. Devenir frère de tous sous le regard miséricordieux de Dieu qui se donne à tous, qui s’adresse aux hommes comme à des amis et qui en choisit certains pour en porter la bonne nouvelle en tout temps et en tout lieu, voilà ce qui allait désormais compter pour lui.
Le besoin s’en fait sentir aujourd’hui comme hier. La nécessité d’y répondre se fait pressante. Les hommes et les femmes d’aujourd’hui et certainement les jeunes que vous côtoyez vous le font sentir. Même si vous voyez que beaucoup sont à des années-lumière de ce que vous vivez, de ce que vous portez, vous savez qu’ils éprouvent des désirs qu’il faut servir, qu’il leur faut permettre de développer. Nous ne pouvons pas ignorer ces demandes qui ne sont pas forcément explicites dans l’esprit et le cœur de ceux qu’il faut servir. Et vous ne les ignorez pas. Nous ne pouvons pas taire cette joie de croire qui habite déjà en nos cœurs, dans le mien, dans le vôtre. Il est certain que saint Charles a trouvé la voie qui l’a conduit à « demeurer », comme l’écrit l’évangéliste, dans l’amour du Seigneur, aux frontières les plus éloignées de son propre cœur. Il n’a cessé de prier pour tous ceux auprès de qui il se tenait, dans le silence, dans une amitié qui rendait visible son secret. Il n’a cessé aussi de rester en lien, épistolaire notamment, avec ceux dont il s’était éloigné géographiquement, leur manifestant son union de prière, sa joie, son amitié fidèle, les entraînant de loin et sans pression à entrer eux-mêmes dans ce mouvement qui le transformait, le faisait de plus en plus frère universel. Ainsi s’accomplissait dans une vie particulière, au destin quasi inimitable à la lettre, le choix que Jésus avait fait de lui.
Mais toujours relié à celui qui lui avait ouvert la porte du cœur vers le Seigneur. Toujours soumettant à l’abbé Huvelin les mouvements de son cœur pour ne pas se laisser submerger par les émotions, fidèle à écouter ses conseils et à les suivre, ne se prenant jamais pour le juge de ses bonnes intentions. Les modes de la vocation sont divers, et celui de Charles est bien atypique, mais le choix de Jésus à notre égard est toujours premier et il est fait pour donner une joie qui ne s’éteint pas. Non pas une joie surfaite, surjouée, extérieure, liée à des succès éphémères : « je vous ai dit cela pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit parfaite. »
Que cette joie vous soit donnée, qu’elle habite profondément en vous, qu’elle ne se laisse pas ravir par des circonstances apparentes d’échec ou de réussite, qu’elle se ressource dans la Parole de Dieu, dans l’intimité du cœur, dans le désir de servir, dans la proximité et l’amour des pauvres au milieu de qui nous vivons simplement. Que Dieu vous garde !
+Laurent Ulrich, Archevêque de Paris