Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe du Sacré-Cœur en la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre

Vendredi 7 juin 2024 - Basilique du Sacré-Cœur de Montmartre (18e)

 Sacré-Cœur de Jésus — Année B

- Os 11, 1.3-4.8c-9 ; Is 12, 2, 4bcd, 5-6 ; Ep 3, 8-12.14-19 ; Jn 19, 31-37

Nous avons entendu cette parole tirée du Livre d’Osée, le prophète des siècles avant Jésus, qui, dans un temps difficile, un temps de crise, un temps d’infidélité, s’exprime par des images familiales. Il montre, dans le passage que nous avons entendu, combien Dieu se fait proche du cœur de l’homme. Dieu se fait reconnaître comme celui qui aime, comme celui qui aime à la manière d’un Père qui conduit son enfant dans ses bras, qui lui manifeste sa tendresse, quoi qu’il en soit de ce qu’il vit, quels que soient les actes qu’il ait pu commettre. Le Seigneur rappelle qu’il a conduit son peuple au désert, qu’il l’a porté au milieu des épreuves et des difficultés, qu’il l’a mené dans sa jeunesse comme un père mène son enfant, avec tant d’amour, tant de soin, pour le conduire, pour l’amener sur des chemins de bonheur et de paix. Cette tendresse, elle est présente tout au long de la révélation que Dieu veut développer devant nous, pour nous ; toute cette histoire de la présence de Dieu au milieu de son peuple a commencé il y a longtemps, elle ne fait que se poursuivre. Aujourd’hui, en cette fête du Sacré-Cœur, nous nous remémorons grâce au texte de la liturgie cette histoire longue, cette histoire ancienne de la tendresse de Dieu.

Et puis nous voyons dans l’Évangile une conclusion, d’une certaine façon. Non pas la conclusion de l’histoire, mais la conclusion du don que Dieu fait à l’humanité dans la personne de son Fils Jésus, jusqu’au bout de sa vie, jusqu’au dernier souffle et même au-delà. Avant que soit révélée la résurrection par laquelle nous le découvrons sans cesse avec nous, tous les jours, il donne sa vie jusqu’au bout. Le sang et l’eau qui coulent de son côté en sont la preuve. La preuve inouïe qu’il fait en sorte que toute sa vie - et le sang en est le signe le plus explicite, le symbole le plus fort – puisse être donnée visiblement. Que son sang coule sous la pointe qui le blesse montre que, même mort, il est capable encore de donner la vie. Et, bien sûr, dans l’eucharistie nous vivons ce mystère du don qui est fait, non pas simplement à ceux qui étaient témoins de la mort de Jésus au moment de sa crucifixion, mais à nous tous, puisque nous pouvons aujourd’hui encore, dans l’eucharistie, vivre de ce don du sang du Christ. Et l’eau nous dit comment la source d’eau vive ne cesse de couler de son côté. Nous avons été marqués, au début de cette célébration, de l’eau qui nous renouvelle, de l’eau qui dit la vie qui ne finit pas, de l’eau qui dit surtout l’amour de Dieu et sa tendresse qui vont jusqu’à nous immerger, à nous plonger dans le rappel du baptême, dans le pardon et la miséricorde qu’il signifie. Tout cela pour que notre vie ne s’arrête jamais aux épreuves ; qu’elle ne s’arrête jamais aux infidélités dans lesquelles nous savons que nous vivons ; qu’elle ne s’arrête jamais à tous les conflits de l’histoire, à tous les conflits de nos vies personnelles, de nos vies familiales et dans notre société.

Alors nous comprenons cette phrase, que nous avons entendue dans la deuxième lecture tirée de saint Paul, cette phrase inachevée : « Nous comprendrons quelle est la largeur, quelle est la longueur, quelle est la hauteur, quelle est la profondeur… » avec des points de suspension qui nous invitent à ajouter « de la tendresse de Dieu ». C’est elle que nous attendons. La largeur est-ce autre chose que la largeur de l’amour de Dieu pour toute l’humanité aujourd’hui rassemblée ? les bras de Jésus étendus ? les bras du Père dans la parabole du fils prodigue qui enserrent son fils après son retour du lointain pays où il est allé dépenser tout ce qu’il avait, et revenant sans ressource ? Il sait qu’il est accueilli par ces bras extrêmement larges pour enserrer l’humanité tout entière.

Considérons que cette humanité tout entière est comprise dans l’amour de Dieu aujourd’hui. Les plus de 8 milliards d’habitants de notre terre, tous, sont destinataires de cette tendresse de Dieu. A tous nous pouvons l’annoncer, parce que l’amour de Dieu, la tendresse de Dieu, en Jésus, est d’une telle largeur que jamais elle ne peut finir, elle est sans limite, nous le découvrons. La largeur de la tendresse de Dieu comprend toute notre humanité dont la foule que nous représentons ici ce soir n’est qu’une toute petite part, mais une part hautement symbolique, une part grandement symbolique, une part qui dit que chacun de nous qui sommes ici est venu avec ce désir d’être compris dans la largeur, la largesse, de la tendresse de Dieu, faite pour être annoncée aux autres.

Quelle est la longueur ? La longueur dit évidemment non seulement l’humanité d’aujourd’hui mais l’humanité de toujours, l’humanité de demain. Nous ne sommes jamais les seuls à être bénéficiaires de cette tendresse de Dieu. Il y a de l’avenir pour notre monde, il y a de l’avenir alors que nous croyons tellement que les catastrophes s’abattent sur lui et que c’est proche de la fin que nous nous trouvons, proche d’une mort que parfois nous programmons malheureusement. Et nous pensons bien sûr à cette situation de notre pays aujourd’hui qui voudrait voir reculer cette menace d’une mort que certains se sentiraient capables de donner à d’autres en les jugeant inutiles ou surnuméraires. Jamais nous ne voudrons cela. Jamais nous ne pourrons le vouloir parce que l’amour de Dieu nous étreint aujourd’hui et demain et que jamais nous ne pouvons dire que s’en est fini d’une fini, d’un amour. Voilà que nous avons une prière instante à faire monter vers le Seigneur pour que cette tentation s’éloigne de nous et pour que surtout, si par malheur elle venait à prendre forme, nous sachions garder cette espérance pour que jamais personne, de notre fait, ne puisse penser qu’il pourrait être exclu de cette vie.

Quelle est maintenant la hauteur de l’amour de Dieu ? Bien sûr c’est ce que nous ne pouvons pas atteindre, ce qui est dans le projet du cœur de Dieu. Mais ce projet est placé si haut que nous ne pourrons pas le détruire. Il est tellement en hauteur que nous ne pourrons pas en faire la somme, que nous ne pouvons jamais en désespérer. Nous ne l’abattrons pas, il nous dépasse, il est bien au-dessus de nous. Il est capable d’envisager le monde sous le regard de l’amour et non pas sous le regard de la haine, ni sous le regard de la guerre, ni sous le regard des conflits inassouvis mais sous le regard de l’espérance, sous le regard de l’espérance dans la réconciliation, sous le regard de la disparition de la haine, du péché de la haine.

L’amour de Dieu nous envahit et sa tendresse qui vient de si loin, de si haut, est capable de regarder le monde avec bienveillance, bien qu’il semble s’en éloigner sans cesse. Mais la hauteur de l’amour et de la tendresse de Dieu est telle qu’il ne cesse de le rappeler à la vie, au bonheur, à la justice et à la paix.

Et quelle est la dernière espérance ? C’est la profondeur de cet amour. Cet amour et cette tendresse sont capables d’entrer dans le cœur de l’homme et dans les profondeurs de l’humanité pour la transformer. L’amour et la tendresse de Dieu sont capables d’habiter en nos vies meurtries, capables d’habiter en nos vies désespérées, d’habiter dans notre cœur qui se laissera transformer. L’amour, la tendresse du Seigneur habitent nos propres profondeurs qui sembleraient ne pas y croire ou le refuser, mais l’amour du Seigneur investit tellement l’humanité et le cœur de l’homme que cette tendresse est capable de faire changer le cœur, de l’habiter, de lui montrer un chemin différent.

Oui, nous sommes envahis par cette bonté que Dieu nous donne, la richesse de sa tendresse qui vient de très haut et qui habite nos profondeurs rétives, nos profondeurs qui ne l’accepteraient pas. Et pourtant il les investit parce que son amour est d’une largeur inouïe et d’une longueur qu’on ne peut mesurer.

Que cette tendresse de Dieu pour chacun, pour tous, pour nos sociétés, pour notre humanité tout entière nous remplisse de joie en cette fête du Sacré-Cœur.

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris

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