Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe à l’occasion des 150 ans de l’Institut catholique de Paris en la cathédrale Notre-Dame
Mercredi 10 septembre 2025 - Notre-Dame de Paris
– Textes de la férie, 23ème semaine
- Col 3,1-11. Ps 144, 2-3.10-13 ; Lc 6, 20-26
Nous sommes réunis pour fêter cent cinquante années d’une belle institution de notre ville, sise dans notre diocèse, l’Institut catholique de Paris, en présence de son Éminence le cardinal Aveline, président de notre conférence épiscopale, de Mgr le Nonce apostolique et d’une dizaine d’évêques et des anciens recteurs. Et de vous tous qui avez compté pour le faire vivre, naguère et aujourd’hui encore : administrateurs, enseignants-chercheurs, personnels de tous rangs et de toutes compétences, pouvoirs publics, entreprises, mécènes et fidèles donateurs, et vous anciens et étudiants qui justifiez toujours son existence ainsi que tous les dévouements dont nous rendons grâce ensemble.
Les lectures de la liturgie de ce jour parlent de ces engagements de la vie chrétienne qui ont suscité, il y a un siècle et demi, ce projet universitaire et le rendent possible aujourd’hui encore. Rechercher le Christ et les réalités d’en haut, comme le dit l’apôtre Paul aux chrétiens de Colosses, c’est la marque de ceux qui ont accepté de donner leur vie, de mourir aux appétits du monde : que ce soient les désirs mauvais ou la soif de posséder, ou plus ordinairement la colère et la méchanceté. Pourvu que ce soit avec le Christ et pour Lui ; pourvu que ce soit pour vivre avec l’intention de Le suivre, de Lui ressembler et d’entrer dans un monde renouvelé par la justice, un monde fait pour tous, quelles que soient les origines, les statuts et la religion de chacun.
Ceux-ci sont heureux dès maintenant, parce qu’ils vont de l’avant vers ce monde renouvelé dans lequel disparaît l’envie, mais grandit le désir d’aimer, le désir d’être juste et de compatir devant le malheur et l’injustice. Mais ceux qui ne pensent qu’à eux-mêmes et à leur satisfaction, ceux-là sont déjà bien malheureux : en réalité, ils ne cesseront d’être insatisfaits !
Mais il faut bien le comprendre et le reconnaître : vouloir montrer cette voie nouvelle demande de construire sa vie autrement, de se laisser habiter par d’autres rêves, pétrir par d’autres ambitions et interpeler par une autre parole. Il y faut de la vertu, de la patience et de la persévérance ; il faut se laisser attirer et former. Les projets universitaires procèdent de la même dynamique que celle qui habite le cœur de tous les parents, de tous les éducateurs : l’amour désintéressé de ceux que l’on veut enseigner, l’espérance indestructible que ce que l’on fait portera des fruits et sera capable d’engendrer un monde moins violent, plus respectueux de tous, fait pour la joie de connaître les merveilles de la création que Dieu nous donne et que le Christ vient rejoindre, chercher et sauver.
C’est cette parole, que nous venons d’entendre, qui a toujours nourri les générations de pédagogues, de chercheurs scientifiques, de maîtres d’universités, de juristes, d’artistes, d’amoureux de la langue et de la culture, d’amis du Christ prêts à donner et à se donner. Et c’est ici, je veux dire auprès du Christ, qu’ils ont trouvé la force d’entreprendre et celle de persévérer dans leur vocation de servir l’ouverture des intelligences et la croissance des esprits. Et lorsque je dis ici, je veux aussi dire : en cette cathédrale même qui est la mère des églises de ce diocèse. Cette cathédrale en effet s’est épanouie, a porté fruit de charité dans l’Hôtel-Dieu attenant, fruit de joie dans la maîtrise, toujours voisine, qui fait chanter les pierres, fruit de sagesse dans l’école cathédrale où nous voyons l’origine lointaine mais certaine de notre Institut catholique de 1875 à aujourd’hui.
Certes ce n’est pas sans les détours de l’Histoire ni sans l’enrichissement de chacune des histoires de cette ville. C’est sur l’autre rive de la Seine, au sud, que ce mouvement se dessine. Les renouveaux incessants que Dieu suscite dans son Église apporteront au début du XVIIe siècle la réforme du carmel qui aura un tel retentissement, plantera très profondément la foi dans le cœur de fidèles déterminés, suscitera des vocations missionnaires et affermira des engagements qui conduiront parfois au martyre, au couvent des Carmes ou sur des routes lointaines. Ces martyrs-là sont des modèles, des exemples qui enseignent, qui instruisent et appellent, qui fortifient : ils sont les chainons par lesquels nos prédécesseurs et nous-mêmes sommes attachés, liés à l’amour du Christ pour toujours.
C’est indéniable qu’entre les martyrs de septembre 1792 – et nous fêterons ici même dès samedi, celles de juillet 1794, les saintes carmélites de Compiègne – et la naissance de l’Institut catholique quatre-vingts ans plus tard, il y a une lignée de croyants qui ont puisé dans l’un et l’autre lieu, la cathédrale et le couvent des Carmes, une force d’agir, une volonté de transmettre, une puissance d’aimer et de faire aimer le Seigneur et le royaume qu’Il prépare pour nous et avec nous. Dans cette cathédrale, la prédication du père Lacordaire a fait naître des vocations, dont celle d’une sainte dont j’ai introduit une relique dans l’autel le 8 décembre dernier, la fondatrice des sœurs de l’Assomption, Marie-Eugénie Milleret. Dans le couvent des Carmes, le même Henri Lacordaire, prêtre de Paris, a fait renaître l’ordre dominicain en 1849. Quatre ans plus tôt, mon prédécesseur Mgr Denys Affre y avait installé l’École ecclésiastique des Hautes Études. Et dans la crypte de l’église Saint-Joseph des Carmes a été déposé, dans l’attente de la résurrection, le corps de Frédéric Ozanam qui avait enseigné à la Sorbonne et qui fréquentait cette église et son quartier. Saint Jean-Paul II l’a béatifié dans cette cathédrale en 1997 ; nous avons fait la mémoire liturgique d’Ozanam justement hier, 9 septembre. Et c’est là qu’a trouvé à se poser et à se développer notre Institut catholique depuis 1875. Que de liens inscrits dans les pierres et les rues de cette ville, à quelques centaines de mètres les unes des autres. Que de liens surtout dans la foi, dans l’amour, dans l’espérance ! Que de témoignages liés les uns aux autres !
Et tout à l’heure, justement, dans la cour de la « Catho » comme nous disons, nous bénirons une pierre tirée de cette cathédrale lors de sa restauration récente, une belle pierre taillée et sculptée, pour qu’elle soit symboliquement la première pierre de la nouvelle et grande bibliothèque de cet Institut.
« Entourés d’une telle nuée de témoins », comme le dit la Lettre aux Hébreux, ne manquons pas notre objectif ; le regard fixé sur Jésus, persévérons dans la fidélité au projet de faire grandir toute une communauté d’hommes et de femmes qui entrevoient déjà, même très imparfaitement, qu’un autre monde est possible, et qu’un chemin y mène, quoique difficile et en butte aux contradictions.
Enfin, qu’il soit permis à l’ancien chancelier de l’Université catholique de Lille et à l’ancien étudiant des Facultés catholiques de Lyon que je suis, de rappeler que ces instituts universitaires ainsi que ceux d’Angers et de Toulouse sont nés en même temps, animés par la même volonté de maintenir ensemble ces fils dont nous sommes tissés pour rendre notre « témoignage à la Lumière qui éclaire tout homme en venant dans le monde. »
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris, chancelier de l’Institut catholique