Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Messe à Saint-Georges avec la communauté haïtienne pour la commémoration du tremblement de terre du 12 janvier 2010
Dimanche 12 janvier 2025 - Saint-Georges (19e)
– Baptême du Seigneur – Année C
- Is 40, 1-5.9-11 ; Ps 103,1-4.24-25.27-30 ; Tt 2,11-14 et 3,4-7 ; Lc 3, 15-16.21-22
Nous fêtons le Baptême du Seigneur et nous marquons aujourd’hui la fin du temps de Noël. Nous avions eu la préparation avec le temps de l’Avent et, depuis le 24 décembre, nous sommes dans ce temps de joie où le mystère de Dieu fait homme, de l’incarnation du Verbe de Dieu au milieu des hommes, est le sujet principal de notre méditation et de notre admiration de ce que Dieu fait. C’est le mystère de Noël dont nous fêtons tout particulièrement, en cette année 2025, le jubilé.
Vous savez que, depuis le début du XIVe siècle, depuis l’année 1300, l’Église célèbre tous les 25 ans le jubilé de l’Incarnation pour bien se rappeler, régulièrement, dans la vie des hommes, des femmes que nous sommes, qu’il y a quelque chose d’extraordinaire dans cette venue de Dieu au milieu des hommes. Dieu fait homme : c’est la merveille dont nous nous nourrissons jour après jour. Et nous en sommes extrêmement touchés.
Depuis dimanche dernier, la fête de l’Épiphanie, ceux qui ont l’habitude d’aller à la messe quotidiennement, ou au moins de lire les textes de la liturgie, ont pu rencontrer un certain nombre d’épisodes de l’Évangile dans lesquels il est montré que l’homme Jésus est armé de la force de Dieu. Ce qui se passe à travers lui ce n’est pas simplement la très belle histoire d’un homme généreux et remarquable, mais c’est vraiment le signe que Dieu est avec lui et que Dieu accomplit des merveilles pour les hommes et les femmes que nous sommes à travers le ministère de celui qu’il a envoyé : Jésus son Fils. Dans ces textes, nous voyons d’abord Jésus annoncer le règne de Dieu avec des mots étonnants : « Le Royaume de Dieu est tout proche », et inviter le peuple qui reçoit cette annonce à être converti et transformé, à accepter d’être baptisé. Et il le fait lui-même. Nous comprenons qu’à travers sa Parole, déjà, des hommes et des femmes sont entraînés à se laisser changer le cœur. Puis nous le voyons faire des choses merveilleuses : une multiplication des pains par exemple. Il donne aux hommes et aux femmes qui sont là la possibilité d’être nourris non seulement dans leur cœur mais aussi dans leur corps. Il s’inquiète de les voir une journée ou deux entières à l’écouter et il veut leur donner à manger. C’est l’œuvre de Dieu qui se fait : Dieu se préoccupe de nos cœurs et de nos âmes à travers Jésus, mais il se préoccupe aussi du bien-être et de la force de nos corps. Nous voyons qu’il guérit. Il y a l’une ou l’autre scène de guérison dans les évangiles de la semaine entre l’Épiphanie et le Baptême de Jésus. Nous voyons qu’il apaise la mer agitée par la tempête. La tempête qui se passe sur l’eau et qui empêche les pêcheurs du lac de faire leur métier, cette tempête-là est aussi au fond du cœur de l’homme, et Jésus est capable de la soigner et de la calmer.
Voilà les œuvres que Dieu accomplit à travers Jésus, voilà ce que signifie le mystère de l’Incarnation : Jésus Homme est doté de la puissance de Dieu. Il est vrai Dieu et vrai Homme et c’est le grand mystère devant lequel nous avons médité tous ces jours et devant lequel nous devons encore quotidiennement méditer.
Nous comprenons que c’est la Bonne Nouvelle et le Livre d’Isaïe, que nous avons écouté en première lecture, dit qu’il y a en effet une Bonne Nouvelle pour les hommes et les femmes de tous temps. Dieu est proche. Dieu fait attention à son peuple et son peuple c’est l’humanité tout entière. Dieu désire se montrer attentif aux hommes d’une façon générale. Et c’est la Bonne Nouvelle qui se répand bien avant l’arrivée du Fils de Dieu au milieu de nous, car le livre d’Isaïe nous ramène plusieurs siècles avant Jésus. Nous pouvons retenir une phrase entendue dans ce Livre d’Isaïe : « Monte sur une haute montagne, toi qui portes la Bonne Nouvelle à Sion. » Sion, c’est la montagne sur laquelle se trouve la ville de Jérusalem. « Monte sur une haute montagne, et toi prophète annonce à Sion la Bonne Nouvelle que Dieu est proche de toi ». Les spécialistes de la Bible disent qu’il y a une autre traduction possible de cette phrase, et cette autre traduction dit : « Monte sur une haute montagne, et toi Sion, sois une joyeuse messagère ». S’il y a ces deux traductions possibles, cela veut dire que les Hébreux, quand ils lisent ce texte, comprennent que la Bonne Nouvelle est annoncée à eux, mais qu’une fois annoncée à eux, ils doivent en être les porteurs. Il n’y a pas simplement un prophète qui annonce la Bonne Nouvelle à Jérusalem, mais tout Jérusalem devient maintenant porteur de la Bonne Nouvelle : Dieu aime les hommes et les femmes que nous sommes ; Dieu veut les sauver du malheur ; Dieu veut les sortir de la préoccupation d’être heureux et veut leur donner le bonheur ; Dieu veut les sortir de tous les esclavages où ils peuvent se trouver, de toutes les catastrophes dans lesquelles ils sont enfouis et enfermés souvent. C’est une Bonne Nouvelle : Dieu veut cela pour nous. Et Jésus l’a fait en étant homme au milieu des hommes, tout en étant Dieu.
Et nous l’avons entendu dans la deuxième lecture, tirée de la Lettre de saint Paul à Tite, son compagnon, dont il est provisoirement séparé car Tite est parti en mission ailleurs. Et nous entendons saint Paul dire à son compagnon que Jésus « par le bain du baptême, nous a fait renaître et nous a renouvelés dans l’Esprit Saint. » Il nous a fait renaître : voilà pourquoi il a voulu être baptisé, il a voulu faire comme nous, il a voulu faire comme tous les hommes et les femmes qui se présentaient à Jean le Baptiste pour être purifiés de leurs péchés. À l’époque de Jean Baptiste, il y avait un mouvement de personnes qui voulaient être sauvées, qui cherchaient Dieu, qui voulaient être transformées, converties, qui voulaient que leurs péchés disparaissent. Et pour le montrer, elles allaient se plonger dans les eaux du Jourdain, laissant tomber au fond de l’eau le péché qui alourdissait leur vie.
Eh bien Jésus, qui est sans péché, veut faire comme eux. Mais une fois qu’il a fait comme eux, il devient le maître de tout ce peuple qui veut être converti, purifié et transformé. Et il nous emmène avec lui - par la mort et la résurrection, par le don de sa vie à nous tous, par le don de sa vie à Dieu son Père - il devient le premier à marcher à la rencontre de son Père et du Royaume de son Père. Il nous emmène avec lui, il nous fait grandir dans le désir d’être purifiés, d’être transformés et de devenir nous-mêmes des porteurs de la Bonne Nouvelle du Salut qu’il apporte à tous. Voilà le mystère du baptême de Jésus : il a voulu être comme nous et, devenu l’un de nous, il prend la tête du pèlerinage, la tête de la grande marche de tous les hommes vers le Salut que Dieu donne. Il nous montre le chemin. Plus exactement, Jean Baptiste nous a montré le chemin qui mène à Jésus et Jésus nous emmène avec lui vers son Père.
Vous pouvez vous dire : qui sommes-nous ? Des gens sans importance, nous sommes une communauté qui aujourd’hui fait mémoire d’une catastrophe qui est arrivée à son pays, à son peuple, qui a fait beaucoup de victimes et qui aujourd’hui encore n’est pas résorbée, la vie demeure difficile. Nous ne sommes qu’un petit peuple, nous ne sommes qu’un peuple de souffrants, que pouvons-nous faire pour être porteurs de Bonne Nouvelle ? Que pouvons-nous faire pour animer l’espérance ? Est-ce que ce que nous ferons entre nous suffit ? Sommes-nous capables ? Et Dieu répond : « Oui vous êtes capables ! ». Oui, je comprends que vous êtes une communauté petite peut-être, comme est d’ailleurs toute communauté de l’Église partout où elle se trouve. Nous ne sommes pas des gens forts, ni des puissants, nous sommes simplement animés par la confiance en Dieu et nous sommes, nous le croyons, dans la main de Dieu partout où nous vivons. Que ce soit ici en France, que ce soit dans votre pays à Haïti, que ce soit dans n’importe quel pays du monde. Que ce soit n’importe quelle paroisse de France ou d’ailleurs. Nous ne sommes toujours qu’une petite communauté, mais une communauté qui est chargée de l’espérance, qui est chargée de dire autour d’elle : « C’est vrai que c’est difficile la vie, mais c’est sûr que nous sommes entourés de l’amour d’un Dieu qui nous aime, qui nous accompagne jour après jour et qui veut que nous ne restions pas simplement dans la peine, mais que nous ranimions l’espérance. »
Le Pape François a écrit, il y a quelques semaines, un très beau texte, une encyclique sur l’amour du cœur de Jésus. Un texte qui commence par ces mots en français : Il nous a aimés (en latin : Dilexit nos). Dans la conclusion de ce texte, il dit : « Qui sommes-nous ? Qu’avons-nous à faire ? » Après avoir médité sur l’amour du cœur de Jésus, nous avons comme mission de redonner cœur dans ce monde difficile. Nous avons pour mission de ranimer l’espérance et de réinventer l’amour quand nous risquons de croire que la capacité d’aimer est définitivement morte. Nous avons à réinventer l’amour quand nous sommes portés à croire que la capacité d’aimer est définitivement morte. Alors apportons cette espérance, cette espérance que le cœur peut être redonné à ce monde, que l’amour peut être réinventé même si nous craignons qu’il ait disparu. Nous sommes les porteurs de cette Bonne Nouvelle.
Que la fête du Baptême du Seigneur, à l’occasion de la prière que vous faites monter vers Dieu pour votre pays, ranime en vos cœurs, en nos cœurs, l’espérance dont Dieu nous comble.
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris