Homélie de Mgr Laurent Ulrich - Ordination épiscopale de Mgr Étienne Guillet en la Basilique cathédrale de Saint-Denis
Dimanche 16 février 2025 - Basilique cathédrale de Saint-Denis (93)
– 6e Dimanche du Temps Ordinaire – Année C
- Jr 17,5-8 ; Ps 1,1-4.6 ; 1 Co 15,12.16-20 ; Lc 6,17.20-26
Heureux est l’homme qui met sa foi dans le Seigneur !
Heureux sommes-nous qui sommes venus dans cette cathédrale cet après-midi dans cette disposition d’esprit de faire confiance au Seigneur en toute circonstance de notre vie !
Heureux est l’homme qui se présente à nous aujourd’hui, Étienne Guillet, pour recevoir l’ordination épiscopale dans cette cathédrale, car il fait confiance au Seigneur ! Il l’a fait savoir à ceux qui l’interrogeaient depuis le 15 novembre dernier, jour de l’annonce de sa nomination comme évêque de ce diocèse de Saint-Denis-en-France, ce beau diocèse si jeune. On lui a dit plus d’une fois : n’avez-vous pas peur d’affronter une telle responsabilité ? Et lui-même l’a dit : j’ai été comme pris de vertige devant cette responsabilité qui survenait devant moi et allait me prendre tout entier. Son enthousiasme devant la vie qui l’attend, sa joie manifeste, son désir d’aller à votre rencontre montrent qu’il a choisi, depuis longtemps de faire confiance à un autre qu’à lui-même, de s’ouvrir à Dieu qui le réjouit et dont la Parole demeure la ressource primordiale de sa vie ! Frères et sœurs, chers amis de la Seine-Saint-Denis, autorités publiques, jeunes et familles, nés ici ou accueillis sur cette terre il y a quelques mois, quelques années ou déjà depuis une ou deux générations, vous savez que vous pouvez compter sur lui, parce qu’il compte sur le Seigneur qui lui dit : Ma puissance se déploie dans la faiblesse !
Et sans avoir choisi les textes de la liturgie d’aujourd’hui, puisque ce sont ceux de ce dimanche dans toute l’Église catholique, il se laisse interroger par eux. Quand le prophète Jérémie regarde le chemin déjà parcouru depuis qu’il a été envoyé dans une mission qui ressemble plutôt à une suite d’échecs, après des chapitres de feu où il adjure son peuple d’écouter la voix de Dieu, il fait une pause ! Paisiblement, il médite et rend grâce à Dieu qui ne lui a jamais manqué ; il s’estime béni de Dieu. Son bonheur n’est pas le résultat de succès d’apparence et peu durables, qui laissent au fond du cœur une sorte d’amertume et obligent à changer souvent d’appuis et d’alliance pour réussir, à se méfier sans cesse des mauvais coups qui peuvent aussi bien venir d’anciens amis ou alliés. Le bonheur de Jérémie s’appuie sur quelqu’un de fiable, qui ne change pas sans cesse d’avis, qui ne réclame rien d’autre que la confiance et réalise toujours des merveilles dans les cœurs. Alors tout devient limpide ! L’eau qui court irrigue les terres et les rend fertiles, les difficultés de la mission n’empêchent pas que des hommes et des femmes reconnaissent l’amour de Dieu qui les tient en vie et leur donne une joie que rien ne peut leur ôter, une joie communicative. Telle était la méditation de Jérémie, six cents ans avant Jésus-Christ : maudit soit l’homme qui met sa foi dans un mortel, le mortel dont il est question, c’est soi-même !
C’est aussi la méditation de l’auteur du psaume : il semble porter un jugement sur les injustes, les méchants, ceux qui ne font confiance qu’à eux-mêmes et aux marques extérieures de la puissance, de la violence, de la domination. Tout cela n’est pas durable, tout cela ne construit rien de solide. On pourrait avoir le sentiment que le psalmiste, comme le prophète, coupe le monde en deux : les bons d’un côté, les méchants de l’autre. Trop facile de dire que les autres sont l’empire du mal, on voit ce que cela fait dans le monde ; cela produit des destructions massives, de la désolation, des rancœurs et l’esprit de vengeance qui ne sait jamais ni où ni quand s’arrêter ! Je n’ai pas bien besoin de donner des exemples de ce qui se passe entre des peuples, dans nos sociétés, et souvent tout près de nous, quotidiennement.
Mais ce que Jérémie comprend, c’est ce que l’auteur du psaume comprend aussi : tout homme est devant un choix à faire à tout moment, à renouveler chaque jour. Chaque matin, lorsque je me lève, je peux choisir entre regarder le monde comme un vaste champ de bataille où je dois me méfier de tous et ne compter que sur moi, ou bien faire confiance à l’auteur de la vie qui m’appelle à rayonner d’un amour qui vient de loin, qui me traverse et en rejoint d’autres sur le chemin.
C’est comme cela aussi qu’il faut comprendre les béatitudes et malédictions que nous livre aujourd’hui l’évangéliste saint Luc. En effet, Luc ne déroule pas d’abord un programme et des valeurs qui sont en opposition avec celles du monde où l’on préfère la puissance à la fragilité, la violence qui blesse à la compassion qui prend soin ! Luc, lui aussi, place ses lecteurs ou auditeurs devant un choix à refaire chaque jour, entre le malheur qui isole, l’amertume qui aigrit et un bonheur qui s’inscrit en profondeur dans le cœur qui aime.
Dans quelques instants, je vais demander encore une fois à votre nouvel évêque s’il veut de nouveau faire ce choix qui remplira son existence : le choix d’accepter une charge – oui, une charge sur ses épaules, parce que les épreuves ne manquent pas dans cette mission – mais une charge qui comporte surtout la joie de servir ses frères et sœurs en servant Dieu, de servir Dieu en servant les frères et sœurs : la charge d’annoncer l’évangile du Christ ; celle de garder la foi qui se transmet sans défaut de génération en génération ; celle de faire aimer l’Église, puisqu’elle est Corps du Christ visible dans le monde ; celle encore de maintenir cette Église dans l’unité et la communion autour du successeur de Pierre, le Pape, et avec vous le peuple de Dieu tout entier et ses ministres ; la charge d’accueillir les pauvres, les étrangers, et ceux qui sont dans le besoin ; la charge d’aller à la rencontre de ceux qui sont loin, et pourtant disposés à écouter l’appel de Dieu ; et chaque jour aussi, la charge de prier Dieu pour vous et pour tous.
J’ai dit que j’allais lui demander encore une fois ; parce que déjà à son baptême il lui a été demandé s’il voulait bien recevoir la miséricorde de Dieu – et ce n’est pas lui qui a répondu quand il était enfant, mais il a appris à aimer cet engagement au cours de son éducation ; lorsqu’il a été ordonné diacre, puis prêtre, il a encore choisi de devenir chaque jour davantage un auditeur de la parole de Dieu, un priant, et un serviteur de son peuple. Les questions d’aujourd’hui se font plus précises, parce que la responsabilité est plus grande, mais elles reviennent toujours à cela : choisis-tu de vivre selon la bonté et la proximité de Dieu pour tous ? Choisis-tu de vivre dans la confiance absolue en Lui ? Choisis-tu de croire qu’Il te donnera ce qui sera nécessaire pour que tu puisses, jour après jour, porter cet amour à tous ? Choisis-tu de servir plutôt que d’être servi ? Veux-tu bien être un pèlerin d’espérance, comme nous y invite le Pape François dans cette année jubilaire ?
Choisir la confiance et bannir la peur de la rencontre ; choisir de tout apprendre du Christ lui-même qui chaque jour se donne et se fait connaître dans la prière et se laisse rencontrer dans l’évangile ; choisir la communion dans l’Église et tout faire pour la construire avec ceux qui y résident depuis longtemps et en accueillant des nouveaux : les enfants, les adolescents, les catéchumènes et les nouveaux baptisés. Cela, votre nouvel évêque le pratique depuis longtemps et vous l’offre comme une manière de vivre joyeuse et fraternelle. Vous avez déjà perçu ses qualités, ne vous inquiétez pas, vous découvrirez aussi ses limites, il est de la même humanité que vous et vous êtes de la même humanité que lui ! Mais justement, c’est cela qui est beau et rassurant, il ne demande qu’à aller de l’avant avec vous.
C’est pour cela que nous allons ensemble invoquer l’Esprit Saint et tous les saints de notre peuple, sur lui, et que nous, les évêques ici présents, allons lui imposer les mains. C’est pour cela aussi qu’après avoir reçu publiquement les insignes de sa nouvelle charge et ayant été conduit jusqu’à sa cathèdre, il présidera l’eucharistie en commençant par nous demander de professer ensemble la foi si précieuse de l’Église. Que le Seigneur guide jour après jour votre évêque Étienne et fasse de vous des pèlerins d’espérance pour notre monde !
+Laurent Ulrich, archevêque de Paris