Homélie de Mgr Laurent Ulrich – Messe chrismale à Notre-Dame de Paris

Mercredi 16 avril 2025 – Notre-Dame de Paris

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 Is 61, 1-3a.6a.8b-9 ; Ps 88 (89), 20ab.21,22.25,27.29 ; Ap 1,5-8 ; Lc 4, 16-21

L’évangile du jour reprend en partie la prophétie d’Isaïe, chapitre 61, dans laquelle plusieurs verbes peuvent retenir notre attention : annoncer, libérer, proclamer une année de bienfaits, une année jubilaire. Il nous faut rajouter le verbe consoler, qui est dans le texte du prophète et ne se retrouve pas dans l’évangile de Luc.

Ces verbes indiquent des actions que l’Esprit de Dieu entreprend sans cesse à travers le prophète, et surtout à travers Celui qu’il désigne et qu’il attend, le serviteur par excellence, la descendance qui accomplira toute chose nouvelle, le Fils.

L’Évangile n’est pas un discours pieux, le serviteur se désigne comme celui qui sert, et le Fils ne cesse de travailler, d’agir, comme le Père. Nous ne racontons pas une histoire du passé : tous ceux qui accompagnent des catéchumènes peuvent constater combien Dieu agit et transforme des cœurs. À Lourdes, nous avons vu avec l’ABIIF, les brancardiers et infirmières, des malades et des personnes handicapées, portés par l’amour transformateur du Seigneur, leur joie devient communicative, elle est un témoignage.

À Lourdes, encore, nous avons vu, avec le Fraternel d’Île-de-France, autrement appelé le Frat, des milliers de jeunes, pleins de vie, mais aussi attentifs à la parole du Christ, cherchant au fond d’eux-mêmes et avec les autres, Celui qui donnera le plus de sens à leur vie. « Au Frat, la quête spirituelle de la génération TikTok » titre ce matin un article. L’Esprit du Christ ne cesse d’agir.

Avec l’ABIIF et avec le Frat, nous avons vu aussi tout le séminaire de Paris – car il y a un séminaire dans Paris même depuis quarante ans, domicilié auprès de l’église Saint-Germain l’Auxerrois, et réparti aujourd’hui en cinq maisons ! Nous avons donc vu, avec leurs formateurs, une quarantaine de séminaristes qui se sont mêlés aux jeunes ou aux pèlerins diocésains : ils se sont découverts mutuellement, en participant à l’animation de groupes de jeunes, ou en commençant avec les personnes malades, handicapées, soignants et accompagnateurs. La pastorale des jeunes et celle des malades ou des personnes avec un handicap sont constitutives de l’engagement d’un chrétien, d’un prêtre et par conséquent de l’apprentissage d’une vie donnée au Christ. Quelle joie de voir ces rencontres se nouer et quelle espérance pour notre Église !

« Aujourd’hui », puisque c’est toujours ce mot qui retentit à nos oreilles lors de la messe chrismale annuelle, nous pouvons dire que le mystère de l’action continue du Seigneur se fait voir, et constater le renouveau du sacrement de pénitence et réconciliation. Après des décennies marquées par le soupçon à l’égard de ce sacrement – ce n’est pas la première fois au cours de l’histoire de l’Église – nous voyons revenir de nombreux fidèles vers ce sacrement. Le formalisme rituel avait fini de décevoir beaucoup de fidèles de venir se confesser, ne serait-ce qu’une fois par an à l’occasion des fêtes pascales ; mais aussi les questions indiscrètes et l’intrusion de certains confesseurs dans l’intimité de la vie des personnes ! Plaise à Dieu que ces méthodes soient bannies. Le pape François le répète à l’envi : « Le confessionnal, dit-il, n’est pas une séance de torture psychique ! » C’est au contraire le lieu de l’annonce faite à chacun de la miséricorde du Seigneur pour sa propre vie. On n’éclaire le brouillard du péché qu’à la lumière de la miséricorde divine ; il ne s’agit pas de se laisser enfermer dans la faute, mais de se laisser aimer par Celui qui désire nous sortir de l’obsédante culpabilité. C’est pourquoi il y a, parmi les confesseurs, des Missionnaires de la miséricorde institués par le pape pour en témoigner, non seulement dans le geste sacramentel, mais aussi dans la prédication et l’encouragement à se relever après l’aveu des péchés. Ils sont désormais une dizaine dans notre diocèse.

C’est aussi pourquoi il y aura bientôt, pour renouer avec la tradition du chanoine pénitencier diocésain, une pénitencerie qui se met progressivement en place, pour aider à la formation continue des prêtres confesseurs, et aussi à la formation de nous tous, comme fidèles du Christ davantage prêts à confesser nos péchés dans l’attente émerveillée de son pardon. Déjà des initiatives ont été annoncées ; d’ici l’été, je confirmerai cette mise en place de la pénitencerie diocésaine et de sa mission spécifique. Cela s’inscrit aussi dans le fil de la réflexion et de la formation catéchétique que je vous ai proposée depuis l’an dernier sur les sacrements et la vie sacramentelle, laquelle peut commencer et se prolonger utilement là où elle n’a pas encore pu se mettre en route.

« Aujourd’hui », c’est aussi l’occurrence de la date commune de la fête de Pâques, ce dimanche. Cette occurrence revient irrégulièrement, huit à dix fois tous les vingt-cinq ans nous apprend-on ! On imagine bien la force symbolique, au niveau mondial, si tous les chrétiens célébraient chaque année Pâques à la même date. Certains disent préférer que rien ne bouge pour ne pas engendrer des fractures supplémentaires entre des Églises, voire à l’intérieur même de certaines Églises ; c’est surprenant, cet immobilisme craintif devant l’esprit de division, sorte de capitulation devant l’avenir, cela me semble bien contraire à la prière du Christ à la veille de sa Passion.

Tout au contraire, trois autorités majeures des Églises chrétiennes se sont prononcées en faveur d’une date définitivement commune : j’ai en effet entendu de mes propres oreilles et à quelques semaines d’intervalles, il y a moins d’un an à Rome, le pape François, puis ici à Paris le patriarche œcuménique de Constantinople Bartholomée, et au Caire le pape des Coptes Tawadros, manifester leur grand désir d’une telle décision. Puisse le Seigneur entendre cette requête. En tout cas, nous célébrerons ensemble avec le plus grand nombre possible de fidèles de nos Églises présentes à Paris et avec leurs responsables, évêques, prêtres, pasteurs, par un office commun ce dimanche dans cette cathédrale Notre-Dame, à 16 h.

Sur le chemin de l’unité, nous célébrons aussi ensemble avec les autres Églises, le mille-sept-centième anniversaire du concile de Nicée et de la profession de foi qui est connue sous le nom de Symbole de Nicée-Constantinople. Ce n’est pas le moment que j’en dise davantage, puisque j’ai souhaité que le troisième dimanche de Pâques, c’est-à-dire le 4 mai prochain, nous puissions entendre dans les paroisses parisiennes des homélies sur la nouveauté que ce concile a apportée à l’expression de la foi partagée maintenant par l’immense majorité des Églises chrétiennes. Nous croyons que le Fils est l’égal du Père, dans la puissance de leur Esprit commun. Cette nouveauté-là, formulée dès le IVe siècle de notre ère, n’en finit pas d’étonner le monde, et surtout de le soutenir au milieu des épreuves et des violences qui blessent chaque jour la fraternité.

Enfin, nous allons bientôt pouvoir vivre un moment synodal solennel : vous avez pu apprendre depuis quelques jours que s’annonce un concile provincial, c’est-à-dire une réunion des Églises particulières, autrement dit les diocèses, de la province ecclésiastique de Paris. Il est apparu en effet nécessaire de tenir une telle assemblée au sujet d’une réalité devenue très visible dans nos diocèses, celle du catéchuménat des adultes. Depuis des années, il est bien organisé dans nos diocèses et il prépare sérieusement des centaines de personnes à entrer dans l’Église, à faire profession de foi, à pratiquer les sacrements et à participer à l’édification de communautés chrétiennes fidèles, fraternelles et missionnaires. Et depuis trois ou quatre ans, notamment depuis la sortie des confinements dus à la crise sanitaire de 2020, un afflux surprenant, constaté surtout dans notre pays, nous invite à partager nos réflexions et à nous demander si les communautés chrétiennes sont bien préparées et équipées pour accueillir en leur sein ces nouveaux venus : dans la langue chrétienne, liturgique, on appelle ces nouveaux des néophytes, c’est-à-dire des jeunes pousses dont il faut prendre un soin particulier.

En effet, la belle porte du baptême qui ouvre à la vie de l’Église, à l’incorporation dans le Corps du Christ, peut se passer parfois – ou souvent – dans une certaine indifférence de la communauté elle-même : on dit bonjour et bienvenue, mais il n’y a pas forcément de place prévue, on n’a pas les moyens pour accompagner les premiers pas intimidés du nouveau venu, de la nouvelle arrivée, pour leur permettre de comprendre au quotidien ce qui se vit dans la communauté, pour être soutenu lorsque survient une crise dans la fidélité au Seigneur, dans des moments où le baptisé de Pâques est tenté de s’éloigner de la pratique chrétienne. Ce n’est pas que ce soit plus difficile aujourd’hui qu’autrefois, car déjà l’auteur de la Lettre aux Hébreux le dit explicitement – et il écrit quelques dizaines d’années seulement après la naissance de l’Église : « Ne délaissons pas nos assemblées, comme certains en ont déjà pris l’habitude ! (Hb 10, 25) ; mais il ajoute aussitôt : encourageons-nous, veillons les uns sur les autres pour nous exciter à la charité et aux œuvres bonnes ! »

Nous avons grand besoin de travailler ensemble sur ce sujet qui n’est pas une question de discipline à renforcer, mais de conversion pour voir ce que Dieu fait devant nous. Il fait venir dans l’Église un grand nombre de personnes souvent jeunes – nous en accueillons aussi de plus âgées – qui demandent beaucoup à l’Église ; j’insiste : c’est bien le Seigneur qui les a fait venir, qui les a appelées ; nous avons conscience que nous n’y sommes pas pour grand-chose, nous connaissons nos faiblesses et les crises qui traversent notre monde et notre Église, et pourtant le Seigneur continue de nous adjoindre des nouveaux. Le travail est devant nous ; si nous savons rendre grâce à Dieu qui nous fait confiance, c’est à nous de persévérer, de répondre, de travailler pour accueillir les nouveaux non seulement avec un grand sourire, mais surtout avec la volonté réelle de les aider, de leur faire une place, de les écouter et de leur donner la parole, de leur permettre de s’épanouir dans nos communautés et dans l’Église diocésaine.

Alors nous voulons faire un vrai travail synodal ; c’est-à-dire tenir compte de la diversité des situations de chacun dans l’Église, entendre la voix des catéchumènes et des néophytes, des baptisés depuis longtemps, des prêtres, des diacres, des laïcs en mission, des enfants, des jeunes, des malades, des consacrés, des personnes fragiles, des théologiens, des catéchistes paroissiaux, des accompagnateurs, des liturges. Nous ne chercherons pas à imposer des règles nouvelles, plus dures ou plus souples, nous voulons ensemble nous convertir pour recueillir ce que Dieu fait dans notre monde : « Il m’a envoyé porter la bonne nouvelle aux pauvres, annoncer aux captifs leur libération, aux aveugles qu’ils retrouveront la vue, consoler ceux qui sont en deuil, remettre en liberté les opprimés, annoncer une année favorable accordée par le Seigneur. » En vivant ce concile provincial, nous voulons entendre sa voix si souvent recouverte dans le brouhaha du quotidien, dans le fracas des conflits et des douleurs, pour suivre sa trace.

Tel est l’état d’esprit dans lequel nous chercherons à vivre ce concile. La préparation commence à partir de maintenant, elle comprendra un temps de consultation large ; puis sa célébration débutera dans un an environ et ne devrait pas durer plus qu’une année au cours de laquelle une assemblée de plusieurs centaines de délégués se réunira trois ou quatre fois. Nous, les évêques d’Île-de-France, sommes bien d’accord entre nous sur cet objectif, nous avons déjà consulté les conseils épiscopaux, presbytéraux et les délégués diocésains au catéchuménat de nos diocèses : avec vous, nous entrevoyons cette étape de nos vies ecclésiales avec grande joie, la joie pascale qui s’anticipe dans cette célébration où se renouvellent nos engagements et se confirme la puissance de l’Esprit Saint qui nous appelle et nous inspire.

Mgr Laurent Ulrich,
archevêque de Paris

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