Allocution du cardinal André Vingt-Trois lors de la réception officielle par S. Exc. M. l’ambassadeur Patrick Maisonnave, ambassadeur de France en Israël
Résidence de l’Ambassadeur de France en Israël, Tel Aviv (Israël) – Mardi 22 octobre 2013
Dans le cadre du voyage “Aux sources de la promesse”.
Monsieur l’Ambassadeur,
Monsieur Dubertrand, représentant le Ministre pour l’inauguration du Mémorial,
Chers Amis,
Je voudrais avant tout me faire le porte-parole de tous pour remercier M. l’Ambassadeur de l’accueil qu’il nous réserve ce soir dans la Maison de France à Tel Aviv, et des paroles très suggestives qu’il vient de prononcer à notre intention.
Je voudrais aussi, avant de le faire publiquement demain matin, exprimer de manière « plus intime » ma reconnaissance au Ministre des Affaires Etrangères qui a autorisé la construction de ce mémorial dans le monastère d’Abu Gosh, propriété de la République française, et qui a permis ainsi d’établir le mémorial du cardinal Lustiger, j’allais dire si ce n’était pas abusif… d’une façon presque extraterritoriale, puisque c’est sur terre de France que ce mémorial a été élaboré, et en même temps au cœur de la Terre Sainte, dans une communauté pour laquelle les relations entre juifs et arabes n’est pas une sorte d’événement exceptionnel mais un investissement permanent et délibéré. Cette communauté contribue, non seulement par sa prière et par l’exemple de sa présence, mais aussi par son action auprès des populations qui l’entourent et des personnes qui la visitent, autant qu’elle peut, à une meilleure compréhension entre les communautés, et sans doute à semer des germes de paix.
Vous avez évoqué, M. l’Ambassadeur, la situation politique difficile. Nous voyons bien que le génie des diplomates, depuis plusieurs décennies, n’a pas encore réussi à surmonter les impossibilités. Cela ne dispense pas de s’y employer et de remettre encore une fois l’ouvrage sur le métier en espérant que la persévérance et l’implication, non seulement des diplomates qui arrivent toujours à se rencontrer de façon assez cordiale, mais des pays qu’ils représentent et des politiques dont ils sont les acteurs et les serviteurs, pourront aider à faire progresser la paix dans ce pays.
Je voudrais insister plus particulièrement sur une dimension qui me paraît constitutive de la possibilité de communiquer entre des gens qui ont des histoires, des contentieux, des espérances et des idéologies différentes, et parfois même des croyances différentes. Il me semble que dans cette terre de Moyen-Orient jusqu’à une date récente, tout cela est très fluctuant, cela peut être 10, 15 ou 20 ans, le français a été le véhicule d’une certaine communauté culturelle entre des gens qui par ailleurs avaient de bonnes raisons de s’opposer. Il me semblerait tout à fait dommageable que nous renoncions à développer cette capacité culturelle que représente notre langue, non pas simplement comme une curiosité linguistique ou comme un atout économique pour gagner des marchés, mais avant tout comme une porte pour entrer dans une culture humaniste sans laquelle la tolérance ne peut être qu’une sorte de cache-misère pour recouvrir les incompatibilités et les horreurs.
C’est pourquoi je me permets de plaider devant vous pour que le soutien de l’État français à l’implantation et au développement de la langue française dans cette région se maintienne et même se développe, afin que les responsables des différentes communautés sachent qu’ils peuvent trouver dans le français, non seulement un instrument culturel, mais aussi le signe visible de la disponibilité de notre pays pour être un agent, non pas un agent double, mais un agent de liaison, ce qui n’est pas tout à fait la même chose, car l’agent de liaison est connu des deux parties, un agent de liaison qui peut être un tiers parfois nécessaire pour permettre à des gens qui ont des difficultés à se rencontrer et à se parler de pouvoir le faire.
Pour ce qui nous concerne, comme chrétiens en France, nous nous efforçons, autant que nous le pouvons, d’apporter notre contribution, soit par une aide qui est forcément relativement réduite à différentes communautés chrétiennes, soit par la présence de nombreux pèlerinages qui irriguent les relations avec la communauté juive et avec la communauté palestinienne. Nous sommes tout à fait conscients que, non seulement comme vous le disiez, dans ce pays mais plus largement dans les pays du Moyen-Orient, un des risques principaux est de disparaître des écrans. Par conséquent, la présence de visites, de pèlerinages, de jumelages, de relations directes avec les communautés chrétiennes du Moyen-Orient, sont un objectif en eux-mêmes, quand bien même si cela ne produit aucun fruit immédiat, ni aucune révolution économique, mais c’est le signe que ces chrétiens des premières heures ne sont pas oubliés par les chrétiens des dernières heures. Nous sommes donc très persévérants dans l’organisation de pèlerinages de toute sorte, et nous préparons pour l’année 2014 un nouveau pèlerinage national des étudiants comme il y en a eu un il y a quelques années. Ce sera un moment très important parce que ce pèlerinage permettra de transmettre des éléments de connaissance directe du pays, non pas seulement à des gens qui ont déjà parcouru une bonne partie de leur vie et qui ont la disponibilité financière, le temps libre pour pouvoir venir ici, mais aussi à des jeunes générations pour qui c’est souvent une découverte et en tout cas une expérience très forte leur permettant de mieux comprendre comment le lien qui unit le christianisme au judaïsme n’est pas simplement un lien idéologique, mais que c’est un lien charnel et physique. Le lien qui unit les chrétiens à toutes les communautés chrétiennes du Moyen-Orient n’est pas simplement une clause de style mais une véritable communion.
Je vous remercie de l’aide que vous nous apportez dans ces différentes circonstances, de l’accueil que vous nous réservez ce soir, et je souhaite que nous puissions au moins par notre passage fortifier le signe que le cardinal Lustiger a donné à travers sa vie. En inaugurant ce mémorial nous voulons laisser une trace de ce que nous n’acceptons pas : que les religions soient un signe et un facteur de division ; au contraire nous voulons qu’elles soient un signe et un facteur de communion.
André cardinal Vingt-Trois,
archevêque de Paris