Interview de Mgr Georges Pontier par La Croix

La Croix – 14 avril 2022

Propos recueillis par Arnaud Bevilacqua et Clémence Houdaille.

Vous êtes arrivé à Paris en décembre 2021 comme administrateur apostolique, après que le pape François a accepté la démission de Mgr Michel Aupetit. Qu’avez-vous découvert du diocèse de Paris ?

Mgr Georges Pontier : Je savais qu’il était unique dans l’Église en France, par sa taille, ses capacités, ses ressources financières et humaines, par le type de population. Je ne percevais pas sa grande variété. Je suis heureusement impressionné par le dynamisme d’engagement de beaucoup de communautés, dans la solidarité… J’ai vu avec grande joie le désir de présence aux plus pauvres : Hiver solidaire, l’Association pour l’amitié… Ce n’est pas un christianisme enfermé dans des églises. Il déploie un engagement dans la société.

Je vois aussi les extraordinaires capacités en formation, d’où un bassin de responsables potentiels. Dans mon ministère d’évêque, à Digne, puis à La Rochelle et Marseille, jamais je n’avais côtoyé une Église aussi riche en termes de prêtres et de diacres. Entre Paris et l’Île-de-France, ce sont des ressources précieuses pour soutenir une vie chrétienne significative dans notre pays.

Certes, cette Église n’est pas parfaite. Elle a les défauts de sa richesse. Elle a parfois plus de difficultés à vivre la synodalité que dans d’autres diocèses où elle est obligatoire, faute de ressources. Il est difficile d’avoir une conscience diocésaine quand, localement, ma paroisse a tout ce dont elle a besoin pour vivre.

L’avenir de l’Église passe-t-il par les grandes métropoles ?

Le rapport au territoire est une question réelle pour les années à venir, pour l’Église comme pour la société… On le voit dans le domaine de la santé, des services… Mais ce dont nous avons le plus besoin, c’est de croyants qui changent leur vie à cause de leur foi.

Que nous réserve l’Esprit saint pour l’évangélisation d’un monde en mutation ? On voit que des communautés chrétiennes sont portées par des personnes venues d’ailleurs. Et si ces personnes n’étaient pas là, ces communautés perdraient beaucoup de leur vitalité. Que nous réserve cette période de mutation et de migration ? Nul ne le sait. Je ne suis pas pessimiste, mais interrogatif. Il y a plein de choses que je n’aurais pas imaginées…

Le Vendredi saint, personne n’imaginait le matin de Pâques…

Oui, c’est pour cela que ce qui est au cœur de notre foi, ce n’est pas l’énergie venue de la foule qui entourait Jésus le jour des Rameaux puis le Vendredi saint, mais l’énergie venue de l’amour de Dieu pour l’humanité. C’est Jésus, et ce projet de Dieu, qui sont à la source de tout. Il vient apporter une force nouvelle.

Le Vendredi saint, il y avait une personne, Jésus de Nazareth, dans une situation où tout était signe de mort ou d’échec. Son action, par petits gestes, était lisible pour Marie sa mère, pour quelques femmes, pour Jean le disciple, qui pouvaient voir la manière dont il insufflait de l’amour alors qu’il aurait pu vouloir se venger, dire du mal… Par exemple, la manière dont il dit « pardonne-leur père, ils ne savent pas ce qu’ils font »…

Quand on voit l’énergie, la puissance de fidélité qui émane de lui, on se dit : « Voilà notre Dieu, et il ne nous abandonnera pas ». Dans le Vendredi saint, il y avait déjà en germe la puissance de la Résurrection, et ce germe c’était lui, Jésus, et la manière dont il traversait ce drame.

Il y a des moments où à vue humaine on ne le perçoit plus. Comme sûrement en Ukraine aujourd’hui, les gens prient, car c’est un peuple croyant. Et ce qui les soutient c’est cette foi, alors que tout est animé par la peur et par la mort.

Comment garder l’espérance dans l’humanité face aux atrocités commises là-bas ?

Nous assistons à un nombre incalculable de petites solidarités à l’œuvre, une puissance intérieure qui va finir par triompher. Parce qu’il y a des hommes et des femmes solidaires, qui risquent leur vie…

Dans le film Notre-Dame brûle, il y a une image extraordinaire quand on voit les gens prier et le pompier en train de se battre. Le jeu des images qui se répondent montre comment, mystérieusement, parce que Dieu nous a bâtis ainsi, les forces ne sont pas que physiques, elles sont aussi spirituelles, elles se soutiennent, ou s’expriment, à travers un va-et-vient.

Entre l’incendie de Notre-Dame et le départ de Mgr Aupetit dans des circonstances troublantes, les catholiques à Paris ont été bousculés… Est-ce une leçon d’humilité ?

C’est une réflexion que j’ai entendue : « Peut-être que ces épreuves nous font voir qu’on n’est pas au-dessus de la mêlée… » L’Église de Paris a aussi ses fragilités et ses épreuves. En même temps, elle montre sa force intérieure : elle a vécu Hiver solidaire, elle a préparé 350 personnes au baptême… Elle continue… Le dimanche, les gens continuent à se rassembler.

Comment avez-vous conçu votre mission à Paris pour apaiser, retisser du lien après le départ de Mgr Aupetit ?

Quand on traverse une épreuve forte, si on continue à se regarder soi-même, on ne peut être que démoli. Donc il faut regarder vers le Christ et regarder vers les plus pauvres. On est sûr de ne jamais se tromper quand on sert les plus pauvres. C’est ensemble, en se retournant vers le Seigneur, en évitant de se juger, de se diviser, de se prendre pour quelqu’un qui sait tout expliquer, que l’on peut avancer.

Nous sommes fragiles, mais nous sommes forts si nous résistons à la tentation de donner des leçons. Ce n’est pas parce que l’autre ne voit pas les choses tout à fait comme moi qu’il est « idiot » ou « moins chrétien ». S’écouter, ne pas rester qu’entre semblables qui remuent leur soupe en rajoutant du vinaigre dans le plat qu’ils vont servir à tout le monde, se retourner vers le service des pauvres et vers la parole de Dieu, c’est ce que nous avons fait avec les prêtres.

Le diocèse est plus apaisé aujourd’hui ?

Je ne l’ai pas senti très divisé. Je l’ai senti peiné, touché par une épreuve inattendue. Mais je n’ai pas assisté à des prises de becs que je n’aurais pas connues avant. Le diocèse n’était pas à feu et à sang. Le temps viendra où se demander quelle leçon tirer de cela.

Quel conseil pourriez-vous donner au prochain archevêque ?

Je lui dirai : « Le diocèse a existé avant toi, il existera après toi. Pendant les années que tu vas passer ici, sois le serviteur d’un peuple qui est déjà en marche depuis longtemps. Ne te prends pas pour celui qui sait tout, qui va tout faire tout seul. Sois un serviteur. » L’Esprit est à l’œuvre dans ce diocèse. Et peut-être faut-il désacraliser certaines fonctions, qui sont des fonctions de service et non de chef.

C’est terrible de tout faire porter sur un seul homme. Il arrive comme il est, il vient pour servir, il ne faut pas qu’il se croie envoyé pour autre chose que ça, servir. Il a un rôle important mais tout ne repose pas sur lui, mais sur l’ensemble des baptisés, et surtout sur l’œuvre de l’Esprit.

Nous allons vivre Pâques dans un contexte électoral, entre les deux tours de la présidentielle, avec l’extrême droite à nouveau qualifiée pour le second tour. Comment maintenir une certaine espérance face aux divisions entre Français ?

Il est important d’encourager à aller voter. Et de dire aux croyants d’alimenter leurs opinions avec des pages d’Évangile plus qu’avec des slogans politiques.

Comment voyez-vous la mobilisation autour de la restauration de Notre-Dame de Paris ?

Ce drame me refait penser au « répare mon église » qu’a entendu François d’Assise lors de sa vocation. Réparer Notre-Dame signifie à la fois réparer l’édifice, mais aussi réparer la vie chrétienne qui est la nôtre dans ce diocèse et dans le monde entier. Les gens veulent donner le meilleur d’eux-mêmes pour cette restauration, dans le domaine qui revient à l’État et celui qui revient à l’Église. Je vois une fierté, un sérieux, un dévouement que tout le monde loue chez les compagnons sur le chantier, quelles que soient leurs convictions.

Comment analysez-vous l’engouement autour de Notre-Dame, bien au-delà des croyants ?

Je pense que cela dit quelque chose de ce qu’est l’être humain. La dimension spirituelle ressort parfois non sous sa forme confessionnelle mais sous sa forme symbolique. Notre-Dame de Paris est un lieu qui touche tous ceux qui l’approchent et la visitent.

Un nouvel archevêque devrait bientôt être nommé. C’est la deuxième fois que vous rendez ainsi service dans un diocèse sans évêque, depuis que vous êtes devenu archevêque émérite en 2019. Quelle sera donc votre prochaine mission ?

J’espère que c’est fini ! Et que je retrouverai ce que j’avais imaginé pour ma retraite, à Toulouse, en paroisse, à donner un coup de main dans une paroisse sanctuaire, dans un ministère d’écoute, d’accueil, de célébration de la messe et du sacrement de réconciliation. Je prends beaucoup de joie à ce ministère de terrain qui m’attend, car quand on est évêque, on est privé de ce contact de l’ordinaire. Ne plus s’entendre appeler « Monseigneur », ça fait du bien… De prendre l’ascenseur dans l’immeuble où j’habite, discuter avec un tel ou un tel qui ne sait pas qui je suis, ça me va très bien. Je vais faire mes commissions au centre commercial, j’ai allumé ma première machine à laver le linge… J’ai vécu comme un « assisté » pendant 35 ans et là je me fais tout, comme je veux (rires), et ce n’est pas désagréable !

Source : La Croix.

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