Interview de Mgr Michel Aupetit dans Le Parisien
Le Parisien – 25 mars 2020
Interview réalisée par Vincent Mongaillard.
Toutes les cloches du pays vont sonner ce mercredi soir. Quel est le message de cette initiative ?
MGR MICHEL AUPETIT. Il s’agit de montrer qu’il existe une communion entre les gens que le message de l’Évangile nous invite à construire. Ce jour-là, les catholiques fêtent l’Annonciation (l’annonce par l’archange Gabriel à la Vierge Marie de sa maternité divine, NDLR). Dans les moments difficiles, c’est le moyen de réaliser l’unité, l’unanimité de notre pays. La joie habite toujours notre cœur.
Difficile, pourtant, pour les catholiques d’être joyeux alors qu’ils ne pourront pas se rassembler dans les églises à Pâques…
Oui, c’est difficile. Le mot église vient du grec « assemblée ». Or, nous ne sommes plus « assemblés » aujourd’hui. Tout au long de la Semaine sainte, les prêtres vont célébrer les messes sans la présence de paroissiens. Mais ils seront tout de même en communion avec eux. Grâce aux moyens techniques, ils ont le génie de réaliser des vidéos pour que tout le monde puisse être associé à la prière liturgique.
Comment vos prêtres vivent-ils cet éloignement avec leurs fidèles ?
Bien sûr, c’est douloureux. Mais je trouve qu’ils ont été jusque-là extrêmement réactifs et créatifs. Ils ont mis en place des accueils virtuels. Ils n’ont pas été déboussolés, ils ont rivalisé d’imagination pour pouvoir rejoindre leurs paroissiens qu’ils ne peuvent plus rencontrer physiquement aujourd’hui.
Et vous, comment allez-vous célébrer la semaine pascale, début avril ?
Par des messes diffusées sur la chaîne KTO, mais sans le peuple de Dieu. Pour la messe chrismale qui réunit chaque année le peuple de Dieu autour des prêtres, des diacres et des consacrés, nous serons seize personnes éloignées les unes des autres pour le représenter. C’est l’autorisation qui nous a été donnée. Le Jeudi saint, j’espère pouvoir monter jusqu’à la basilique du Sacré-Cœur et bénir la ville de Paris de là-haut. Le Vendredi saint, j’aimerais pouvoir entrer dans Notre-Dame, même tout seul. Les baptêmes d’adultes seront célébrés à la Pentecôte.
Ne craignez-vous pas que cette absence de rassemblements affecte la foi des catholiques ?
Non, au contraire, je pense que cette épreuve peut la relancer profondément. Quand on a soif, on a de plus en plus soif. Et quand l’eau nous est donnée, on boit en abondance. Nous sommes actuellement sevrés de cette communion, alors j’espère que nous la vivrons de manière plus intense quand l’épidémie sera terminée.
Quel est le quotidien d’un archevêque confiné ?
J’ai plus de temps, en journée, pour la prière, alors que d’ordinaire, je priais surtout la nuit. Je dis la messe seul dans ma chapelle à l’archevêché où je réside. Je ne sors que pour celle télévisée du dimanche soir à Saint-Germain-l’Auxerrois. J’organise à distance l’accueil des personnes à la rue ou la distribution de repas pour les plus démunis. Vingt paroisses sont volontairement impliquées. Ayant été médecin généraliste, je suis également volontaire pour soigner les gens. Nous sommes en train de réfléchir avec la préfecture sur la manière dont nous pourrions héberger des malades du coronavirus dans les locaux du diocèse et même, pourquoi pas, de l’archevêché.
Comment les prêtres peuvent être utiles aux malades ?
J’ai écrit aux directeurs d’hôpitaux. Nous avons 55 prêtres jeunes qui sont disponibles pour un travail d’écoute et d’accompagnement des familles impactées par la maladie. Nous espérons accomplir cette tâche en prenant, bien sûr, toutes les précautions nécessaires. Ils pourront aussi donner le sacrement des malades à ceux qui le désirent. Il n’y a pas de raison de refuser ce secours spirituel, qui peut être très important pour la guérison.
Et comment aider les soignants ?
Nous devons aider au discernement, quand les décisions sont difficiles à prendre. J’ai des remontées de médecins amenés à faire des choix lorsque le nombre de respirateurs est inférieur au nombre de malades. Il ne s’agit pas d’effectuer un tri, comme on l’entend couramment, mais de proportionner les moyens à la réalité sanitaire. Le tri voudrait dire que certains sont des bons malades et que d’autres des mauvais. Tous ont droit à des soins proportionnés à leur état et à la fin recherchée, c’est-à-dire sauver la vie si possible et soulager le patient quoi qu’il arrive.
Comment assurer des obsèques religieuses en période de confinement ?
C’est très important pour les proches des défunts. Beaucoup souffrent aujourd’hui de ne pas pouvoir les accompagner dignement. J’ai abordé cette question avec la maire de Paris. Nous pouvons accueillir 20 personnes en les éloignant les unes des autres. Si les pompes funèbres refusent malheureusement de pénétrer à l’intérieur de l’église, nous disposons de chariots pour pouvoir faire entrer le corps.
Quel message envoyez-vous aux Français qui rechignent à être confinés ?
On va s’en sortir d’autant plus vite qu’on respectera les consignes. C’est vraiment le moment de ne pas seulement penser à soi, mais aux autres. C’est une façon de ré-habiter la fraternité humaine, de relire sa vie, de réfléchir au sens de son existence, de se ressaisir. C’est peut-être aussi une occasion au sein de la famille de renforcer les liens de tendresse, de retrouver une attention mutuelle alors qu’en temps normal, on n’a pas toujours le temps de se parler.
Faut-il instaurer un confinement encore plus strict ?
Si les gens sont vraiment raisonnables, cela peut suffire. Si ce n’est pas le cas, il faudra passer à des mesures plus sévères qui seront encore plus difficiles pour tout le monde.
Avez-vous personnellement peur de ce virus ?
Pas du tout. Je pense même que je l’ai attrapé. Il y a 15 jours, j’ai eu une anosmie, une perte de l’odorat. Je n’ai quasiment eu aucun autre symptôme. La peur n’évite pas la mort, pas la maladie. Celui qui a peur est incapable de combattre le virus. Devant une situation de détresse, il faut s’armer pour pouvoir l’affronter. Et si c’est mon heure, c’est celle que Dieu aura choisie.
Le pape François a invité les catholiques à se rendre au chevet des malades. Cela ne trouble-t-il pas le message des autorités sanitaires ?
Aller au chevet des malades, ce n’est pas nécessairement les toucher, mais leur apporter à manger sur le palier, leur téléphoner ou glisser une petite lettre sous la porte.
François a également souligné, en pleine épidémie, l’importance des câlins au sein de la cellule familiale…
Être chez soi en famille peut être l’occasion de retrouver des gestes simples d’affection qu’on a perdus. Si on commence à se méfier des gens qu’on aime, alors là, c’est dramatique. La tendresse ne doit pas mourir parce que nous sommes en danger. Bien sûr, si quelqu’un dans le foyer est malade, on prend des précautions et on essaie de le laisser dans sa chambre, tout en montrant le plus de délicatesse possible.
Quelles leçons d’humanité faut-il tirer de cette catastrophe sanitaire ?
Nous prenons conscience de notre fragilité et de notre vulnérabilité, c’est cela la condition humaine. Nous avions tendance à penser que nous étions tout-puissants à cause des techniques que nous maîtrisons parfaitement. Mais celles-ci n’ont pas réussi à combattre un petit virus. Cela va nous faire perdre un peu d’arrogance et nous permettre d’avoir plus d’humilité pour respecter ce que nous sommes et ne pas essayer de jouer les apprentis sorciers. Il y a toujours une part de responsabilité humaine dans les catastrophes. Il est trop facile d’accuser exclusivement la nature.
Quelles peuvent être les conséquences d’une telle crise sur la nature humaine ?
On sait que de tout mal peut sortir un bien supérieur, c’est cela l’espérance chrétienne. On peut imaginer plus de fraternité, de délicatesse, de civisme, un regard différent sur les autres et ceux qui ne pensent pas comme nous. On n’est pas tout à fait dans le pire avec ce virus, ça peut encore s’aggraver. Mais ce n’est pas le moment de lâcher. Il faut être debout, dans l’espérance. Quand le Christ est crucifié, on se dit que tout est fini. Trois jours après, nous fêtons sa résurrection. Le dernier mot n’est pas à la mort, mais à la vie.
Quel message adressez aux soignants en première ligne face au coronavirus ?
Leur travail n’a pas toujours été reconnu, surtout celui des infirmières et aides-soignantes qui sont toujours au taquet. Je veux leur dire un grand, grand merci. Malgré la surcharge de travail, ils sont encore respectueux des personnes et gardent cette part d’humanité. C’est vraiment une leçon pour tout le monde. Ils occupent bien sûr mes prières tous les jours, comme les malades et ceux qui sont morts afin qu’ils goûtent la joie du Ciel.
– Dossier “Épidémie du coronavirus”.