Tribune de Mgr André Vingt-Trois dans Le Journal du Dimanche
Le Journal du Dimanche – 3 avril 2005
« Jean Paul II, merci ! »
Pour moi, Jean-Paul II est un père dans la foi et dans le service de l’Église catholique. Je suis envahi par la tristesse et par l’espérance tout au long de ces journées durant lesquelles nous évoluons entre compassion et regrets. Compassion pour sa souffrance, regrets de voir sa mort épiée et transformée en spectacle selon les règles et les mœurs d’une société médiatisée dont il a très habilement accepté les contraintes et utilisé les ressources.
Je veux simplement lui rendre hommage et associer à cet hommage tous ceux qui voudront bien y adhérer, croyants ou incroyants. Vingt six ans après, il est sans doute difficile à ceux qui n’ont pas vécu cette époque de s’imaginer à quel point son élection comme Pape en 1978 a provoqué un choc, non seulement dans l’Église catholique, mais aussi dans la société. L’institution apparemment la plus traditionnelle et la moins douée pour les bouleversements était capable de placer à sa tête un polonais, de plus quasiment inconnu.
Bien des gens pensaient alors que la religion en général, et l’Église catholique en particulier, c’était fini. Des nostalgies d’un autre âge, disaient-ils, ne représentaient pas une force de transformation sociale comparable à ce qu’étaient encore quelques régimes marxistes à travers le monde. Nos « penseurs » avaient des tendresses pour les successeurs de Lénine et de Mao et pour Fidel Castro. Ils savaient bien où en étaient la liberté et le respect des droits de l’homme sous leurs dictatures, mais ils ne voulaient surtout pas être les « alliés objectifs » de leurs détracteurs…
Tout de suite, le nouveau Pape s’est présenté comme il avait été façonné par plusieurs décennies de dictature, nazie d’abord, communiste ensuite : un homme libre, résistant au mensonge et militant de la valeur suréminente de la personne humaine. Convaincu par son expérience de la puissance révolutionnaire de l’évangile, il a immédiatement relevé les énergies fléchissantes. « N’ayez pas peur ». Tel fut son cri, tel fut son mot d’ordre, telle est son image à jamais. Après avoir été l’un des grands acteurs du Concile Vatican II, il en fut un des réalisateurs persévérants.
Venu des steppes du glacis soviétique, il était capable de réveiller les consciences assoupies et les chrétiens frileux. Pendant un quart de siècle, à travers tous les continents, il n’a pas cessé de conforter la foi des catholiques, et aussi de quelques autres croyants, en rappelant inlassablement la puissance libératrice de l’évangile. Que ce soit au cours de ses visites pastorales (rappelez-vous 1980 à Paris) ou au cours des Journées Mondiales de la Jeunesse (notamment 1997 aussi à Paris), il a toujours proclamé une parole pleine d’espérance en la capacité de l’homme de revenir à la raison. A tel point que beaucoup craignaient qu’il n’exagère et qu’il n’ait trop d’ambition pour l’humanité !
Qui saura combien de cœurs il a atteints par sa parole ? S’il est une des « stars » mondiales de la fin du XX° siècle, nul ne pourra prétendre que ce soit par la démagogie. Quels que soient les auditoires auxquels il s’adresse, jamais il ne renonce à proclamer la vocation exceptionnelle de l’être humain. Il espère dans les capacités de l’homme à la mesure de son espérance en Dieu et de l’amour de Dieu pour les hommes. Quand beaucoup se contentent de flatter les désirs irrationnels que suscite et nourrit une société de la satisfaction, il fait sans cesse appel à la capacité humaine d’entrer dans une relation fondée sur le don de soi.
Après avoir résisté contre l’asservissement des consciences sous les dictatures, il mène une nouvelle lutte pour la liberté de l’être humain et le respect des droits de l’homme. Sa défense de la personne humaine, depuis sa conception jusqu’à sa mort, le met en opposition avec toutes les tentations d’instrumentaliser l’être humain pour la satisfaction de nos désirs. En combattant les pratiques qui ravalent l’homme au rang d’un objet manipulable à loisir, il continue à défendre une conception ambitieuse de la liberté humaine.
L’unité des chrétiens est une des priorités de son action, comme l’amélioration des relations avec les juifs pour laquelle il a posé des actes particulièrement significatifs : sa visite à la Synagogue de Rome ou sa prière au Mur du Temple à Jérusalem. Il est aussi un ardent partisan des relations avec toutes les religions comme il en prit l’initiative à Assise.
Plus que toutes ses actions, qui seront commentées dans les jours qui viennent, je voudrais évoquer ce qui me paraît le plus impressionnant chez lui : sa capacité d’entrer en prière et de s’immerger dans la communion avec Dieu. Que ce soit lors d’une célébration privée dans sa chapelle ou en présidant des assemblées de plusieurs centaines de milliers de personnes, j’ai toujours été frappé de le voir comme « emporté » dans une relation personnelle avec Dieu.
Aux hommes de bonne volonté il apporte le témoignage de son espérance. Aux chrétiens il rend la fierté de leur foi et la confiance dans la mission de l’Église. Pour moi, prêtre et évêque, appelé par lui à partager son ministère, il est un aîné attentif et encourageant, un témoin fidèle de la foi.
Jean-Paul II, Merci.
+ André VINGT-TROIS
Archevêque de Paris