L’art s’offre aux passants
Paris Notre-Dame du 13 juin 2024
Depuis plus de trente-cinq ans, un lieu insolite manifeste le lien que veut entretenir l’Église – et le diocèse de Paris – avec l’art contemporain, en plein cœur du quartier latin. Visite (guidée) de la Galerie Saint-Séverin.
Saint-Séverin. L’un des quartiers les plus anciens de Paris, avec, sous ses pavés, des vestiges romains, et, au détour d’une rue, l’église médiévale qui a baptisé le quartier, l’une des plus anciennes de Paris. C’est précisément dans ce haut lieu d’histoire ancienne que s’offre aux passants, en face du porche de l’église, une vitrine consacrée à l’art contemporain, la Galerie Saint-Séverin. En regard des vitraux de Saint-Séverin, et jusqu’au 8 septembre, badauds et riverains peuvent admirer deux grandes baies en verre antique argenté, jouant à la fois sur la réflexion de la lumière – par les irrégularités du verre – et des environs – par le jeu du miroir. Découpées en ogive et colorées – l’une en rose et l’autre en jaune, très vifs, – ces deux œuvres d’Anne et Patrick Poirier affichent, dans un médaillon empruntant aux codes du vitrail, les noms de « EROS » et « GAIA ». Une installation très chatoyante qui évoque, pour le Fr. Marc Chauveau, o.p., historien de l’art et commissaire invité de la galerie depuis janvier dernier, « une ode à la puissance créatrice de la Terre et de l’amour, à la vie qui se déploie en abondance. » Placée devant les baies, une croix en plomb, coton et tesson d’argile (ramassés au cours d’un voyage en Syrie), intitulée Reliques du Temps, porte les mots « Ruins », « Soul », « World », « Silence », « Memory » et « Anima », s’inscrivant dans le travail des époux Poirier sur les vestiges dont hériteront les générations à venir, la matérialité du temps qui passe et s’efface.
Créée par des paroissiens en 1989 puis rattachée par le cardinal Jean-Marie Lustiger, alors archevêque de Paris, à l’association Art, Culture et Foi / Paris, la Galerie Saint-Séverin – qui se présente sous la forme d’une vitrine conçue comme un écrin, visible jour et nuit par son système d’éclairage – a pour vocation d’être un espace de dialogue entre l’art contemporain et la spiritualité chrétienne, en proposant, chaque trimestre, un artiste différent et une programmation qui ne doit rien au hasard : « Le dialogue avec ce qui se vit dans l’église en face sous-tend la programmation », souligne le Fr Chauveau. Gérée bénévolement par une équipe de laïcs férus de culture et un commissaire d’exposition invité pour une ou deux années, la galerie peut s’enorgueillir d’avoir accueilli de nombreux grands artistes contemporains, dont certains de renommée internationale, comme Jean-Michel Alberola, Jean-Pierre Raynaud, Martial Raysse, Pierre Buraglio, Giuseppe Penone, Christian Boltanski, Jean-Michel Othoniel ou encore Jacques Villeglé. « C’est un lieu tout petit mais avec une histoire très importante », sourit Martine Sautory, historienne de l’art et bénévole à la galerie depuis neuf ans, avec Nathalie du Moulin de Labarthète et Laure de Bonnières. Un constat que partage le Fr. Marc Chauveau, qui n’a eu de cesse, dans son ministère, de « rendre accessible l’art contemporain à un large public », d’abord au couvent de La Tourette – où pendant quinze ans, il a exposé de nombreux artistes – puis comme commissaire invité de la galerie. « C’est important de tenir un lieu comme celui-ci, vitrine du dialogue qu’entretient l’Église avec l’art contemporain, confie-t-il. Les artistes nous donnent à voir ce qu’on a sous les yeux et qu’on ne voit pas, ils ouvrent des horizons et nous révèlent quelque chose de l’humanité. Il est important que l’Église soit à l’écoute de ces artistes qui, par leur grande sensibilité, nous invitent à un déplacement, mouvement intrinsèquement spirituel. » Dans le tumulte du cœur de Paris, deux vitraux colorés attirent le regard, ralentissent la démarche et, peut-être, interpellent les âmes.
Charlotte Reynaud
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