Metropolis
Fritz Lang
Chaque semaine, une œuvre cinématographique est présentée par le P. Denis Dupont-Fauville, afin de prolonger la réflexion et adopter une autre perspective sur le thème choisi et abordé par Mgr Bernard Podvin le dimanche qui suit.
Dieu fait du neuf aujourd’hui – Ouvrons les yeux !
« Ouvrons les yeux » nous invitent, cette année, les Conférences de Carême… Proposer un autre regard, voilà la démarche suivie par Paris Notre-Dame tout ce temps de Carême. Chaque semaine, une œuvre cinématographique est présentée par le P. Denis Dupont-Fauville, afin de prolonger la réflexion et adopter une autre perspective sur le thème choisi et abordé par Mgr Bernard Podvin le dimanche qui suit.
« Cathédrale … pour un peuple nombreux ! »
Metropolis (Fritz Lang, 1927). Un univers où la technologie a révolutionné communication et transports ; où une petite élite profite de toutes ces inventions, protégée dans des espaces bio au sein d’immenses cités ; où des savants marginaux, tenus pour excentriques mais promus par un capitalisme insatiable, préparent l’avènement du transhumanisme en produisant des clones robotisés d’individus, avec l’aide du calcul automatique et de la biologie moléculaire [1] ; où la grande masse travaille dans un univers séparé et méprisé des riches, inconsciente de son état de sujétion, transformée elle-même en autant de machines consommables [2], aux déplacements contrôlés par des écrans et aux identités réduites à des numéros…
Cauchemar contemporain ? Pas du tout. Film immense, aux 36 000 figurants et aux effets spéciaux démesurés. Film d’anticipation bientôt centenaire (1927 !) et proprement visionnaire, au sens où il donne à voir. L’histoire compte bien moins que les images [3], jusque-là inconcevables et qui aujourd’hui encore nous font ouvrir les yeux sur la réalité du monde [4]. 2h30 de cinéma muet [5] qui en disent plus que bien des discours.
Quel antidote à l’orgueil mortifère de Babel ? Fritz Lang en montre au moins trois. D’abord l’amour : l’échange d’un regard entre celui jamais rencontré et celle jamais imaginée dépasse soudain les plaisirs de la chair et remet en cause toutes les constructions technocratiques. Ensuite la parole, quand elle s’échange entre des univers séparés, quand aussi elle dévoile, au milieu de la lutte pour le pouvoir, que les enfants sont sacrifiés. Enfin la religion : si les derniers cartons énoncent une morale naïve de valeurs abstraites, les images nous montrent un peuple concrètement réuni au pied d’une cathédrale, où le mal s’est fracassé et d’où toutes les générations, désormais, regardent l’avenir [6].
Denis Dupont-Fauville
Voir aussi : Texte de la conférence de carême de Notre-Dame de Paris du 26 mars 2023.
[1] Le film montre bien comment ces androïdes sont à la fois promesses d’immortalité pour ceux qui les conçoivent et instruments d’une volonté de puissance sans limite pour ceux qui en disposent.
[2] L’image de Moloch et la référence aux cultes assyriens n’est bien sûr pas un hasard et fait inclusion avec la cathédrale finale, tandis que la mécanisation des mouvements inspirera Chaplin dix ans plus tard dans Les temps modernes.
[3] Les cadrages, les mouvements de caméra, les éclairages, les effets de montage, les rimes entre les scènes…
[4] La force d’une vision sur grand écran est bien sûr incomparable, tant pour distinguer la multitude des détails que pour percevoir l’impact des scènes, conçues pour être projetées ainsi.
[5] Dans la dernière version, presque complète, restituée en 2010 après une longue collecte mondiale des débris de copies.
[6] À côté des images, le nom de l’héroïne qui apportera l’amour dans la cité des riches et sauvera les enfants des pauvres d’un abandon mortifère, Maria, est d’autant plus transparent que son clone inversé, qui prétend libérer les opprimés en les appelant à la violence, revêt des expressions proprement lucifériennes.