Mgr Auguste-Alexis Surat, victime pendant la Commune de Paris
Nécrologie de Mgr Auguste-Alexis Surat, vicaire général du diocèse de Paris, extraite de la Semaine Religieuse de Paris du 17 juin 1871.
Mgr Surat
Le mercredi 7 juin 1871, la vieille basilique de Notre-Dame a offert à la ville de Paris et au monde un spectacle du caractère le plus imposant. La religion et la patrie s’étaient donné la main pour en rehausser l’éclat. Au milieu de la nef, sous un catafalque très-élevé, reposait le corps de Mgr Darboy, fusillé à la Roquette le 24 mai précédent, en haine de la religion et de la vraie liberté ; autour de lui étaient rangés les cercueils de plusieurs prêtres qui, ayant suivi leur évêque à la mort et à la gloire du ciel, lui furent associés dans les honneurs que la France s’est montrée jalouse de rendre au martyre.
L’épiscopat français, représenté par dix de ses membres, le gouvernement, l’assemblée nationale, l’armée, la magistrature, toutes les administrations, une foule immense, s’étaient donné rendez-vous auprès de ces nobles victimes pour leur apporter, en quelque sorte, les hommages de la patrie en deuil.
Le lendemain, une cérémonie qui semblait continuer celle de la veille attirait encore à Notre-Dame un concours extraordinaire de prêtres et de fidèles. Rien n’avait été changé dans la disposition des lieux. L’église tout entière tendue de noir et ornée de palmes, des flambeaux innombrables qui semblaient répandre l’espérance avec la lumière dans cette enceinte de deuil, un catafalque superbe dressé au bas du sanctuaire, la pompe qui environnait l’autel pendant le saint sacrifice célébré par M. le chanoine Louvrier, le chœur où retentissaient des chants harmonieux : tout montrait que MM. les chanoines avaient résolu de décerner des honneurs spéciaux à une glorieuse et sympathique mémoire. Ces honneurs s’adressaient aux dépouilles mortelles de Mgr Surat, protonotaire apostolique, vicaire général de Paris, archidiacre de Notre-Dame, assassiné à la Roquette, le samedi 27 mai, par les insurgés de Paris.
Il avait semblé aux vénérables chanoines que ce n’était pas assez d’avoir, la veille, placé son cercueil près de celui de Mgr l’archevêque et d’avoir confondu les deux victimes dans des hommages collectifs ; ils voulaient manifester par une cérémonie toute spéciale l’estime et l’affection singulière où ils tenaient la mémoire de celui qui fut longtemps leur collègue, puis leur président et toujours leur ami. En agissant ainsi, le chapitre métropolitain donnait satisfaction à un besoin de son cœur, répondait au vœu de tout le clergé de Paris, et honorait dignement une vie qu’on loue, ce semble, assez bien en disant que le martyre en fut le digne couronnement.
Né à Paris le 27 février 1804, Mgr Surat, après avoir fait ses études à la petite communauté, puis au séminaire de Saint-Sulpice, fut appelé à l’archevêché de Paris, où il remplit, de 1828 à 1840, les fonctions de secrétaire particulier de Mgr de Quélen.
Les modestes fonctions réservées à l’abbé Surat sont délicates en tout temps ; elles le furent surtout auprès de l’illustre prélat dont le nom évoque le souvenir d’une époque pénible pour l’archevêché de Paris. Mais les difficultés de plus d’un genre avec lesquelles, presque tous les jours, il se trouvait aux prises ne furent
pas supérieures à l’intelligence et au grand cœur du jeune secrétaire. Il souffrait des épreuves dont se composait la vie de Mgr de Quélen ; mais il lui était agréable de les adoucir en multipliant les preuves de son affection et de son dévouement. L’histoire serait touchante et instructive à plus d’un titre de retracer pendant cette époque la vie de l’abbé Surat.
Nommé chanoine honoraire dix mois après son entrée en fonction, et chanoine titulaire en 1838, M. Surat quitte l’archevêché la mort de Mgr de Quélen et se borne pendant quelques années à remplir ses fonctions de chanoine titulaire. Mais, en 1844, Mqr Affre lui confie la paroisse de Notre-Dame en le revêtant de la dignité d’archiprêtre. Avec la charge pastorale un nouveau champ d’action s’offrait au zèle de l’abbé Surat.
Il se livra à l’esprit du ministère paroissial avec une ardeur tempérée par la prudence, et avec une activité d’autant plus efficace qu’une grande modération la rendait plus constante et plus durable.
Les archevêques de Paris, en se succédant sur le siège de Mgr de Quélen, semblaient hériter de son estime pour l’abbé Surat. Mgr Sibour lui demande ou plutôt contraint sa modestie d’accepter le titre de vicaire général et d’archidiacre de Saint-Denis. Nommé archidiacre de Sainte-Geneviève en 1850, il fut confirmé dans ces mêmes fonctions en 1857 par Mgr Morlot, et par Mgr Darboy en 1863. A la fin de cette même année, il succéda dans l’archidiaconé de Notre-Dame à M. l’abbé Buquet, nommé évêque de Parium et chanoine de Saint-Denis. En 1867, notre saint-père le pape Pie IX, pour honorer la carrière ecclésiastique de Mgr Surat, le nomma protonotaire apostolique ad instar participantium.
Ce serait ici le lieu de montrer en M. Surat l’homme juste et bienveillant dans l’exercice de l’autorité ecclésiastique.
Justice et bienveillance, ces deux qualités forment le caractère commun qui se trouve au fond de toutes les pensées, de tous les actes de Mgr Surat ; ces deux mots résument sa vie de vicaire général : justice, non pas dans la fidélité à tenir un compte exact de tous les droits positifs, l’éloge serait de peu de prix, mais justice scrupuleuse qui reste maitresse de sa pensée, n’en force jamais l’expression, dans la crainte de nuire au prochain, qui se défie non pas de ses antipathies qu’elle connut rarement et qu’elle n’écouta l’expression, dans la crainte de nuire au prochain, qui se défie non pas de ses antipathies qu’elle connut rarement et qu’elle n’écouta jamais, mais qui se met en garde contre ses sympathies où elle refuse de chercher l’inspiration de ses actes.
Bienveillance, et bienveillance de tous les instants, pour tout le monde, pour toutes les choses qui intéressaient la gloire de Dieu, l’honneur de l’Église, la dignité du sacerdoce, la vie religieuse du diocèse. Non que Mgr Surat fut d’une flexibilité qui avoisine l’absence de caractère, on a vu dans maintes circonstances de quelle énergie froide et inébranlable se revêtait cette âme douce et condescendante, si l’on peut dire ainsi, jusqu’à la bonhomie ; mais il y un tel rayonnement de pensées affectueuses, que les refus, passant par ses lèvres, perdaient ce que l’amour-propre du solliciteur y aurait pu trouver de blessant. On ne craint pas d’être démenti : nul n’a jamais trouvé dans les paroles de Mgr Surat rien, pas même les reproches, qui ne fût marqué au coin de la douceur chrétienne.
Chrétienne, oui, voilà le mot de sa vie ; toutes les vertus extérieures n’en sont que l’expression. C’est dans la fidélité aux pratiques religieuses, dans une piété candide, fervente, une piété d’enfant, qu’il puisait le secret d’imprimer à toute sa vie un caractère de force calme, de vertu toujours égale à elle-même. Rien n’était plus édifiant, rien plus touchant que de voir le vénérable Mgr Surat, à la fin de ses journées si bien remplies, chercher et trouver des consolations infaillibles dans la récitation de son chapelet, pratique de piété à laquelle, nous le savons, il n’a jamais manqué.
Quarante années passées dans l’administration diocésaine avaient usé la santé et épuisé les forces du vénérable et bien-aimé prélat. Depuis deux ans il nourrissait et il confiait à ses amis et collègues des pensées de retraite. Après avoir consacré au bien des autres l’ardeur de sa jeunesse, la force de l’âge mûr et l’expérience de sa vieillesse, il lui semblait qu’il avait acquis le droit de s’appartenir pour un temps et, seul avec lui-même, de se disposer à paraître devant Dieu. C’était au fond de la Bretagne, dans un village où il ne serait connu que de Dieu et des pauvres, pensait-il, qu’il irait abriter les restes d’une vie qui fut consacrée au service de l’Eglise. Si ce projet, inspiré par l’humilité et sa défiance de lui-même, n’a pas trouvé plus tôt sa réalisation, c’est que Mgr l’archevêque, les collègues, les amis de Mgr Surat y mirent toujours une affectueuse, mais constante opposition. Qui donc aurait pu sans regrets voir s’éloigner de l’archevêché et de Paris un homme auprès de qui tout le monde trouvait lumière, force et consolation, les uns un ami, les autres un père, tous un conseiller sage et bienveillant ?
Dieu lui-même avait décidé que Mgr Surat ne quitterait point l’archevêché ou n’en sortirait que pour entrer au ciel par la porte lumineuse du martyre.
Mgr l’archevêque avait été arrêté le mardi saint, vers cinq heures du soir, Mgr Surat devait l’être vers onze heures : il ne le fut que le lendemain, parce que ses deux domestiques, j’allais dire ses deux enfants, obtinrent pour les cheveux blancs de leur maitre bien-aimant et bien-aimé un sursis de vingt-quatre heures. Il fut emmené le mercredi saint au matin. Bien que malade et ayant le cœur brisé par les émotions les plus poignantes, il demeura lui-même, c’est-à-dire doux et calme vis-à-vis de ses geôliers ou plutôt de ses bourreaux, qui parurent touchés un instant de voir un vieillard à la fois si faible et si fort. Tant la vertu a d’empire qu’elle fait éprouver des sentiments généreux à des cœurs où l’on ne supposerait plus de place à rien d’humain !
Ce que Mgr Surat souffrit à la Conciergerie, puis à Mazas, enfin à la Roquette ; la constance et la résignation chrétiennes qui le mirent au-dessus de toutes ces épreuves, ses derniers actes, ses dernières paroles, tout cela nous sera sans doute révélé par l’un de ses compagnons d’infortune et de gloire pour l’édification de tous. Mais à juger par les billets qu’il faisait passer en dernier lieu à plusieurs de ses amis, et particulièrement à ses fidèles et dévoués serviteurs, nous sommes persuadé qu’il a pensé, parlé, agi et qu’il est mort en homme, en chrétien et en prêtre. « Tout à la sainte volonté de Dieu, qu’il soit béni de tout et de tous », disait-il dans sa dernière lettre. Les bourreaux qui admiraient la constance et le froid héroïsme du vénérable vieillard auraient trouvé dans ces mots l’explication d’un phénomène qui leur offrait toutes les apparences du mystère.
L’heure du sacrifice suprême avait sonné pour Mgr Surat ; il fut consommé le samedi 27 mai. Un instant le calice de douleur avait paru s’éloigner du pieux captif. Le drapeau français, qui s’avançait dans les mains victorieuses de nos soldats, semblait apporter l’espérance et la liberté aux victimes du despotisme de la boue. Plusieurs, en effet, furent sauvées ; mais Mgr Surat ne se trouva pas de ce nombre. Il fut arrêté à l’instant où il se croyait près de la délivrance, ramené à la prison des jeunes détenus, rue de la Roquette, et fusillé le long du mur extérieur de la prison. Son corps, horriblement défiguré, fut reconnu le lundi matin par son domestique, Charles Dumoutier, et un secrétaire de l’archevêché, et ramené au palais archiépiscopal après qu’il eut été renfermé dans sa bière. Son cercueil, exposé à côté du corps de Mgr l’archevêque, fut pendant huit jours l’objet de la pieuse vénération des fidèles. Il ne resta pas un instant sans être couvert de fleurs, symbole touchant des sentiments et des regrets immortels que son souvenir entretenait dans les cœurs.
Ces marques d’affection et de respect l’ont suivi jusqu’à la dernière demeure qu’il s’était choisie. Transporté à l’église de Charenton, après le service célébré à Notre-Dame de Paris, le corps de Mgr Surat fut accueilli sur tout le parcours avec les sentiments que rencontrerait un père ou un ami revenant au milieu des siens la population de Charenton et de Conflans, l’administration municipale et le conseil de fabrique en tête, s’était fait une obligation de cœur d’assister à la pieuse, triste et consolante cérémonie. Grâce au concours délicat et empressé offert, paraît-il, par le comité des délégués des fabriques de Paris, l’église de Charenton avait reçu une décoration digne du défunt et de l’affection générale que lui avaient value quarante années de dévouement et de bienfaisance.
Que de larmes furent versées sur sa tombe ! Que de panégyriques éloquents ont retenti autour de cette terre qui se fermait sur de dépouilles vénérables et saintes ! Oui, saintes, car elles sont celle d’un martyr. Larmes des pauvres qu’il a secourus, gémissement de milliers d’âmes qu’il a consolées, c’est vous qui lui avez décerné du moins ici-bas, le plus beau, le plus désirable des triomphes.
Et maintenant, reposez en paix, pieux et bien-aimé prélat, après avoir donné à l’Eglise votre temps, vos forces, vous lui avez donné votre sang. Vous nous avez laissé l’exemple de votre vie et l’exemple de votre mort ; reposez en paix, votre âme est avec Dieu au plus haut du ciel, et votre mémoire est en bénédiction au milieu des hommes. – X.
Source : La Semaine Religieuse de Paris, 17 juin 1871, pages 458 à 462.