Paul Seigneret, victime pendant la Commune de Paris

Extraits de lettres de Paul Seigneret, séminariste du diocèse de Paris, exécuté le 26 mai 1871.

Paul Marie Joseph Claude Seigneret était né à Angers, le 23 décembre 1845, (...) où son père exerçait les fonctions de professeurs au lycée. (...) Au mois de mai 1861, Paul Seigneret, âgé de quinze ans, quittait Angers. Son père allait prendre la direction du collège d’Épinal, et lui, pour être plus rapproché de sa famille, devait continuer sa troisième au lycée de Nancy. (...) Vers la fin de septembre 1864, Paul Seigneret arrivait au château du Dréneuc, situé à deux lieux de Redon, sur la route de Frégréac (...). Les deux années que le jeune précepteur passa dans cette demeure doivent être comptées parmi les plus ferventes de sa vie. (...) Ce fut le 16 avril 1867, que Paul Seigneret franchit enfin le seuil de cette retraite [de l’abbaye de Solesmes] (...) « Reconnaissant que je ne suis point fait pour la vie religieuse, [mes supérieurs] m’engagent à me fixer l’esprit par une décision, et m’ont annoncé que je devais songer à faire les démarches nécessaire à Saint-Sulpice et après de mes parents. » Après quelques semaines [à Issy], une fièvre survint qui l’obligea au repos et le fit partir pour Épinal, où il attendit, au sein de sa famille, la rentrée du mois d’octobre 1868. (...) L’amour des études ecclésiastiques qu’il avait puisé à Solesmes, continua de l’animer au séminaire. (...) [En 1871, le jeudi saint,] vers une heure de l’après-midi, il se redit avec un de ses condisciples à la préfecture de police pour y demander un passeport. (...) On les conduisit au dépôt (...). Là commençât pour eux une nouvelle vie de communauté assombrie sans doute par l’incertitude de l’avenir, pénible aussi par les privations nombreuses que le corps avait à endurer, mais fortifiée par la foi, et embellie par la charité fraternelle et par l’amitié des compagnons de captivité. (...) Le vendredi 26 mai [1871], fut le jour du martyre. (...) L’endroit choisi pour l’exécution du crime abominable qui allait se commettre état, au numéro 85 de la rue Haxo, la cité Vincennes, dernier refuge de la Commune expirante.

Extraits de lettres de captivité.

À ses parents.

« Nous sommes en ce moment réunis dans une grande salle du dépôt de la préfecture de police ; nous sommes vingt-six, jésuites, prêtres, et nous, séminaristes, menu fretin. Notre vie est une véritable retraite ; elle s’écoule dans des exercices variés et la plus douce joie. Je me porte bien ; je supplée au maigre régime de la prison par de petites douceurs qu’on peut se procurer ; nous nous aimons et nous nous surveillons tous comme des frères ; j’éprouve une tranquillité d’esprit et une paix d’âme que je ne connaissais plus depuis longtemps : ce sont d’excellentes conditions pour ma santé. Il n’y a que le sommeil qui est rebelle sur la couche dure que nous avons, et au milieu de ronflements sonores auxquels je n’ai pu encore m’habituer. Ma seule tristesse, c’est de penser à vous, à vos inquiétudes ; heureusement j’ai été arrêté quand je faisais mes derniers efforts pour vous les éviter. Nous n’avons d’ailleurs vraisemblablement rien à craindre.

Adieu, mes bien chers parents. Hœc dies quam fecit Dominus : Exulterrms et Iceiemur in eâ [1], dit-on aujourd’hui. Puisse Dieu vous donner cette joie supérieure à toutes les tristesses du monde ! »

À ses parents, alors qu’il est à Mazas.

« C’est le jeudi de Pâques qu’on nous transféra à Mazas. J’ai trouvé là une bonne petite cellule, avec un coin de ciel par où s’envolent mes pensées, un hamac qui m’a rendu le sommeil, la possibilité du travail, le silence et la paix extérieure et intérieure. J’ose à peine vous dire que j’y vis heureux, sans inquiétude, à la complète disposition de Dieu. Je jouis d’une tranquillité d’âme qui me fait retrouver les plus doux moments de ma vie. Ma seule tristesse vient de la pensée de vos inquiétudes et des luttes de notre pauvre France. Encore nous est-il bien moins dur d’en entendre de prison les tristes rumeurs ; on se figure ainsi prendre un peu de part aux souffrances communes, si toutefois on peut appeler souffrances les paisibles journées qui se succèdent ici pour moi. J’ai retrouvé là mon grand consolateur, le travail : j’ai déjà fait toute une étude sur saint Paul, que je méditais depuis longtemps ; j’attends une Bible, et avec cela je défierais l’ennui pendant des années, je crois. Depuis quatre jours, j’ai découvert que j’ai pour voisin de gauche un de mes meilleurs amis qui a eu mille bontés pour moi pendant notre captivité commune à la préfecture de police. Trois petits coups frappés à la muraille nous servent de bonjour et de bonsoir ; et il y a là déjà de quoi nous adoucir la solitude, si parfois elle venait à nous peser. Je tâche d’être aussi raisonnable que possible pour améliorer par de petits achats le régime de la prison. Mais j’avoue que j’y ai quelque peine ; mon bonheur serait de me contenter du moins possible. J’ai peur de ne jamais devenir bien capable de diriger ma vie de ménage.

Vous voyez donc que je suis heureux, tranquille, et j’espère que vous ne vous inquiéterez ni sur la durée, ni sur l’issue de cette incarcération. Nous verrons sans doute des temps meilleurs. Les hommes, il faut bien l’espérer, ne sont pas faits pour toujours se manger les uns les autres. Depuis quinze jours, d’ailleurs, les joies si douces qui me sont venues m’ont donné la conviction que Dieu vous enverrait des grâces correspondantes de confiance et de paix. C’est mon vœu le plus ardent et de chaque jour. »

À son directeur, alors qu’il est à Mazas.

« Vous avez sans doute béni comme nous la Providence de la petite faveur qu’elle nous a ménagée. Non certes que nous ayons de grands mérites à acquérir ici ; nous ne sommes que trop heureux, et notre seul regret est de n’avoir rien à souffrir.. Mais enfin, dans cette vie d’intimité avec Notre-Seigneur, et dans les réflexions qui nous sont venues, nous avons eu l’occasion de sentir que nous sommes bien entièrement à Jésus-Christ, et que Lui seul nous suffit. Que le monde se ferme sur nous, et avec Lui nous aurons toujours la souveraine joie. Qu’il nous enlève et nous serons trop heureux.

(...) Il n’y a pour nous de réelle que la privation dont vous parlez, celle de la sainte messe ; celle-là nous est très-sensible ; mais nous l’offrons tous les matins à Dieu, lui demandant qu’en retour il nous accorde la grâce de ne jamais avoir le malheur d’abuser de cette céleste action.

Nous expérimentons tous les jours l’incomparable bonheur du chrétien et du prêtre auxquels Notre-Seigneur révèle les infinies douceurs de son amour. Je ne vous redirai pas toutes les joies que j’ai eues, depuis un mois, à fouiller en tous sens et à toutes sortes de points de vue mon Nouveau Testament.

Ce soir même, je viens de recevoir une Bible complète ; et je ne puis vous dire le bonheur que je me promets de me lancer désormais à pleines voiles dans cette haute mer. »

À son directeur, alors qu’il est à Mazas.

« Je sais tout ce que vous faites pour nous faire élargir ; et j’en suis profondément touché. Seulement, je vous prie de remarquer que d’adoption et de cœur j’appartiens au diocèse de Paris, et que je ne puis songer à quitter la prison tant que notre Archevêque y reste enfermé. Que s’il faut quelque victime pour apaiser la justice divine, ne vaut-il pas mieux que ce soit moi que quelqu’un de ces prêtres vénérables qui pourront encore gagner tant d’âmes à Dieu ? Je vous prie de bien réfléchir à ceci, comme j’y ai réfléchi moi-même avant de vous l’écrire. »

À un correspondant, alors qu’il est à Mazas.

« Pour nous, la Commune, sans qu’elle s’en doute, nous a fait tressaillir d’espérance avec ses menaces. Serait-il donc possible qu’au commencement seulement de notre vie, Dieu nous tint quittes du reste, et que nous fussions jugés dignes de lui rendre ce témoignage du sang, plus fécond que l’emploi de mille vies ! Heureux le jour où nous verrons ces choses, si jamais elles nous arrivent ! Je n’y puis penser sans larmes dans les yeux !

(...) Ne vous inquiétez pas sur notre compte. Nous vivons toujours et de plus en plus en fête. Que Dieu vous rende au centuple, à vous et à tous ceux qui nous ont aimés, tout le bien que vous nous avez fait pendant notre captivité.

À M. Sire, directeur de Saint-Sulpice, le 15 mai 1871, alors qu’il est à Mazas.

« Vous pouvez donc être parfaitement tranquille sur notre compte ; les journées se succèdent ici pour nom comme de vrais jours de fête, sans longueur ni tristesse. Cet événement est destiné à répandre sur toute notre vie une sérénité sans tache. Nous en remercions Dieu du plus profond de notre cœur. N’ayant rien à redouter et tout à espérer, l’avenir, de quelque façon qu’il nous arrive, se présente pour nous sous les apparences les plus heureuses.

Je vis-toute la journée plongé dans ma Bible, en présence de l’Éternelle Beauté qui, Dieu merci, m’a ravi pour jamais.

(...) Adieu, cher monsieur Sire. Je chante le Te Deum tout le long du jour. Vous voyez que je ne suis guère à plaindre. Hélas ! pendant que je vis si tranquille, il y en a tant qui souffrent et de toutes façons ! »

À M. Déchelette, le 25 mai 1871, alors qu’il est à la Roquette.

« Mon bien cher ami,

Je ne sais si vous êtes encore à Mazas ; j’y lance ma lettre au petit bonheur. Que je serais heureux de savoir que vous y êtes resté !

Nous sommes ici à la Roquette, la prison des condamnés. J’en bénis Dieu de toute mon âme. Tout me réussit à souhait. J’avais si souvent demandé que, s’il devait arriver malheur à quelqu’un, ce fût à moi et non à vous ! Il me semble déjà voir l’accomplissement partiel de mon désir.

O mon bien cher ami, si je reste ou si je m’en vais, comme nous nous aimerons toujours, ici-bas ou de là-haut ! Dieu sait toutes les joies que vous m’avez données et tout le bien que m’a fait votre amitié depuis deux mois. J’espère que je vous le rendrai par l’affection la plus absolue. Si Dieu m’enlève, je veillerai fraternellement sur vous, et je tâcherai de vous renvoyer au centuple tout le bien, toutes les grâces et toutes les joies que j’eusse désirées pour moi-même.

Adieu, mon bien cher ami. Nous sommes de nouveau réduits ici à un ménage à sa plus simple expression : une paillasse comme à la préfecture de police ; et je vous écris sur ma fenêtre.

J’ai revu hier M. Gard dans la voiture ; c’est le seul de nous tous, Dieu merci, qui ait changé de prison avec moi. Vous dire la fête où je suis est chose difficile.

Adieu, encore une fois. Si nous ne nous revoyons pas, dites à tous ceux que nous aimons combien j’ai toujours pensé à eux. Que Dieu vous garde ! Je mourrais si heureux, si je vous savais sain et sauf !

Je vous embrasse de tout cœur,

Paul Seigneret. »

À ses parents, le 25 mai 1871, alors qu’il est à la Roquette.

« Mes bien chers parents,

Je ne puis vous écrire, mais peut-être que ce portefeuille vous sera remis, ainsi que le peu d’affaires que j’ai avec moi.

Je vous remercie, mon père et ma mère chéris, des bontés sans bornes que vous avez eues pour moi. Je meurs triste à la pensée du chagrin qui vous attend et du peu que j’ai fait pour votre bonheur, mais heureux aussi de pouvoir effacer par mon sang tout ce qui de ma part aurait pu vous offenser.

Mon seul regret, c’est de n’avoir pas plutôt mille vies qu’une à offrit à Dieu pour le pardon du moindre de mes torts envers Lui ou envers les hommes.

Je dis adieu à mon cher oncle, à Alexandre, à Charles et à ma chère petite sœur. Leur bonheur m’a toujours été mille fois plus cher que le mien ; j’espère que Dieu voudra bien leur donner toutes les grâces, les joies et l’avenir que j’aurais pu demander pour moi-même.

Dites à tous ceux que j’aime que leur pensée ne m’a pas quitté un seul jour ; elle me suivra au delà des limites de ce monde.

Je vous quitte pour une vie meilleure, dans laquelle depuis longtemps, vous le savez, j’ai placé toutes mes espérances et toutes mes joies. Puissiez-vous donc, dans votre tristesse, vous réjouir au moins un peu de mon bonheur ! Je mourrai en redisant le Te Deum. Bientôt nous serons réunis pour nous aimer éternellement.

Adieu ! vous tous que j’aime : vous m’avez donné mille fois plus que je ne vous ai rendu. Espérons que là-haut je pourrai vous aimer comme je le désire.

Je vous embrasse, pénétré de reconnaissance.

Soyez sûrs que notre séparation ne sera que matérielle, et encore, je l’espère, pour bien peu de temps.

Votre fils,

Paul Seigneret. »

Source : Paul Seigneret, séminariste de Saint-Sulpice fusillé à Belleville le 26 mai 1871, notice rédigée d’après ses lettres par un directeur du Séminaire de Saint-Sulpice, 1875.

Paul Seigneret fut fusillé rue Haxo le 26 mai 1871. Il est inhumé au Séminaire Saint-Sulpice d’Issy-les-Monlineaux.

[1Voici le jour que fit le Seigneur, qu’il soit pour nous jour de fête et de joie ! (Ps 117, 24)

Les martyrs de la rue Haxo

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