Lettres des pères jésuites
Extraits de lettres des pères Pierre Olivaint, Jean Caubert et Anatole de Bengy.
Père Pierre Olivaint
Au père Lefebvre, le 5 avril 1871
On n’est pas trop mal ici. La cellule est encore plus modeste que rue de Sèvres : c’est un gain. Je crois vraiment qu’on prie moins bien rue de Sèvres qu’ici : c’est donc encore un gain. Je fais ma retraite ; j’ai commencé hier soir. En vérité j’attends plus de fruits de celle-là que de toutes les autres. Que Notre-Seigneur est donc bon, et qu’on fait donc bien de s’abandonner à lui ! Veuillez avertir mon ami P... de ce qui m’est arrivé... Je vous charge de me rappeler au souvenir de M. D. : dites-lui bien d’être très-tranquille. (...) Pourquoi serions-nous tristes ? Dites bien à tous ceux qui vous parleront de moi, de ne pas se décourager. Quare tristis es anima et quare conturbas me ? Spera in Deo quoniam adhuc confitebor illi [1].
Le 9 avril 1871
Où en sommes-nous ? Que se passe-t-il ? Que veut-on de nous ? De quoi sommes-nous accusés ? Je ne sais rien de tout cela. Eh bien, à la Providence ! Pas un cheveu de ma tête ne tombera sans la permission du Maître, voilà ce que je sais bien ; et s’il fait tomber le cheveu, et encore autre chose, ce sera pour mon plus grand bien. Mais je ne suis pas digne de souffrir pour lui, au moins que je tâche par la retraite de m’en rendre digne...
Non daté
Voilà la part que la volonté de Dieu nous a faite. Pour nous, nous n’avons qu’à suivre le conseil de l’Apôtre : in omnibus exhibeamus nosmetipsos, sicut Dei ministros, in multa patientia, in tribulationibus,... in carceribus, in seditionibus,... per gloriam et ignobilitatem, per infamiam et bonam famam [2]. Sentir de très-près l’improperium Christi [3], n’est-ce pas une grande grâce ?
Le 17 avril 1871
pas un moment d’ennui dans ma retraite que je continue jusqu’au cou ; je suis au treizième jour, en pleine Passion de Notre Seigneur, qui se montre bien bon pour ceux qui essaient de souffrir quelque chose avec lui. De plus en plus soyons à Dieu. Je ne sais rien de mes compagnons.
Le 27 avril 1871
Vous le comprenez, nous n’avons pas ici de nouvelles à donner. Et cet affreux canon qui gronde sans cesse ; oh ! que cela me fait mal ! mais aussi que cela me porte à prier pour notre pauvre pays ! S’il ne fallait que donner ma misérable vie pour mettre un terme à cela, que j’aurais vite fait mon sacrifice ! Bonne santé et joie du cœur.
Le 3 mai 1871
La santé se soutient et je suis au vingt-septième jour de ma retraite. Que Notre-Seigneur est bon ! J’aime, je l’avoue, à conserver et à consigner ici tous les détails de celte suprême correspondance, si menus qu’ils puissent paraître. De grandes choses se révèlent quelquefois dans les plus petites. Voilà bien, ce semble, des hommes sérieux, et qui sont tout à leur affaire et jusqu’au bout uniquement occupés du divin service. Ils lisent et ils écrivent, comme s’ils avaient encore à vivre ; ils travaillent au moins pour l’éternité. Que n’avons-nous ces cahiers, cousus avec le gros fil et la grosse aiguille du P. Olivaint ! Mais la Commune nous a envié cet héritage ; les geôliers affirment que tous les papiers des victimes ont été réduits en cendres.
Le 19 mai 1871 au père Chauveau
Merci de coeur. Oui, nous touchons au dénouement. A la grâce de Dieu ! Tâchons d’être prêts à tout. Confiance et prière ! Que Notre Seigneur est bon ! (...) Encore une fois, que Notre Seigneur est bon ! — A vous de cœur...
Père Jean Caubert
Le 8 avril 1871
La confiance en Dieu donne des forces, et Notre Seigneur est le soutien de ceux qui espèrent en lui. Merci de vos prières ! Je profite du loisir forcé pour faire ma retraite annuelle. Quelques petites provisions ne nuiront pas, si c’est possible ; sinon, fiat [4] ! comme il plaira à Dieu ! Notre Seigneur nous a donné l’exemple de souffrir.
Le 9 avril 1871
J’espère que le P. Olivaint va assez bien, car nous ne nous voyons pas. On a des forces quand on met sa confiance en Dieu et qu’on s’abandonne à sa Providence toute paternelle. Le moral soutient le corps. Je l’éprouve bien, depuis que je suis captif pour Notre Seigneur et ne sortant pas de ma cellule.
Le 21 avril 1871
Ma santé se soutient assez bien. Paix et confiance.
Le 1er mai 1871
J’ai terminé ma retraite hier. Je commence aujourd’hui le mois de Marie ; ce sera un
repos pour mon âme, et un nouveau motif de confiance. Priez pour moi.
Non daté
Vous me demandez quelques bonnes paroles qui relèvent l’âme. Je souhaite que le bon Dieu vous donne les dispositions qu’il m’accorde en ce moment. Je vis au jour le jour, sans inquiétude, plein de confiance, très-heureux d’accomplir ce que Dieu me demande, avec un abandon complet entre ses mains pour l’avenir, et disposé à ne rien lui refuser. Je me remets souvent devant les yeux ma vocation, qui est de prier et de souffrir pour le salut des âmes, et j’implore les bénédictions de Dieu sur Paris et sur la France.
Le 12 mai 1871
Les méditations de ce mois sont aussi bien propres à élever l’âme et à la fortifier. En étudiant le cœur de la sainte Vierge, on ne voit en elle qu’oubli entier d’elle-même, amour pur de Dieu et générosité dans le sacrifice, pour accomplir en toutes choses la volonté de Dieu ; et alors, comme par un attrait spécial du la grâce attachée à cette étude de la vie intérieure de la sainte Vierge, l’âme se sent comme entraînée, suavement et fortement, à vouloir pratiquer les mêmes vertus, afin de plaire à Dieu et de le glorifier. Je me suis proposé cette étude pour ce mois-ci, cela m’occupe utilement, et cela m’aide encore pour recommander souvent à la sainte Vierge Paris et la France. Priez pour moi, afin que le courage se maintienne, car c’est un don qu’il faut demander à Dieu.
Le 17 mai 1871
Et puis le prêtre n’est-il pas l’ami de Dieu, et à ce titre, ne doit-il pas se dévouer, pour obtenir la réconciliation de ses frères avec Dieu, le Père de tous, Père si plein de bonté et si porté à l’indulgence, quand surtout il se voit comme importuné par la prière d’un ami ? Unissons-nous donc dans la prière pour faire cette sainte violence à Dieu, surtout dans ce mois, où la sainte Vierge se charge de présenter nos prières à son fils Notre Seigneur Jésus-Christ et nous provoque ainsi à une confiance sans bornes.
Non daté
Je ne pense guère à compter le temps de ma captivité. Je préfère remettre tout cela entre les mains de Dieu et lui abandonner le soin de tout ce qui me concerne. Il sait mieux que moi ce qui est le plus utile pour mon âme. Je tâche de me rappeler souvent qu’on le glorifie d’autant plus qu’on souffre davantage pour son amour et pour accomplir sa sainte volonté. En effet, en se soumettant à l’épreuve, on pratique d’une manière excellente l’anéantissement de soi-même. N’est-ce pas la meilleure manière de lui prouver notre amour, en reconnaissant par là son souverain domaine sur sa créature ? N’est-ce pas la meilleure manière de lui prouver notre amour, en reconnaissant par là son souverain domaine sur sa créature ? N’est-ce pas aussi par le sacrifice de soi-même qu’on imite mieux Notre Seigneur ? Il est vrai que mon âme n’en est pas encore à cette perfection et à un amour aussi pur et aussi détaché de tout. Mais il faut passer par les épreuves pour arriver à cette union avec Dieu. C’est lui qui les envoie dans sa bonté, pour purifier l’âme et pour briser les obstacles qui s’opposent à cette union. Priez pour que je retire ce profit de mon épreuve actuelle
Père Anatole de Bengy
Le 26 avril 1871
Je me porte à ravir et ne m’ennuie pas. J’ai déjà lu une douzaine de volumes. Je ne sais absolument rien d’ailleurs. Courage et confiance.
Le 10 mai 1871
Je suis aussi bien traité que possible et ne m’ennuie pas. Je suis très-habitué au pain de la prison et dors parfaitement dans mon hamac. Je suis, me semble-t-il, calme et résigné.
Source : Armand de Ponlevoy, Actes de la captivité et de la mort des RR. PP. Olivaint, L. Ducoudray, J. Caubert, A. Clerc, A. de Bengy, de la Compagnie de Jésus.
Les pères Pierre Olivaint, Jean Caubert et Anatole de Bengy sont inhumés dans l’église Saint-Ignace à Paris 6e.
[1] Mon âme, pourquoi es tu triste, et pourquoi me troubles-tu ? Espère en Dieu parce que je dois encore le louer. (Ps 41, 6.
[2] Dieu, par une grande patience dans les tribulations,... dans les prisons, dans les séditions,... dans la gloire et dans l’ignominie, dans la mauvaise et la bonne réputation (2 Cor. 6, 4-8).
[3] NDLR. Les “impropères”, les reproches du Christ, cf. liturgie du Vendredi saint.
[4] NDLR. Cf. Lc 1,38 : « que tout m’advienne selon ta parole »