Prédication de Mgr Laurent Ulrich - Célébration œcuménique régionale de la semaine de prière pour l’Unité des chrétiens, à l’église protestante unie de l’Annonciation

Mardi 21 janvier 2025 - Église protestante unie de l’Annonciation (16e)

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« Crois-tu cela ? », c’est la question de Jésus à Marthe alors qu’elle pleure son frère Lazare que Jésus aurait pu préserver du tombeau s’il n’avait pas tardé à venir au chevet du malade. La question de Jésus venait après l’affirmation : « ton frère ressuscitera ! » et après la réponse de Marthe : « oui, je sais qu’il ressuscitera au dernier jour. » Mais ce premier échange est suivi du second : « Moi je suis la résurrection et la vie. Celui qui croit en moi, même s’il meurt, vivra. Crois-tu cela ? » Chacun connaît la suite, la réponse de Marthe est résolument ferme ! « Oui, Seigneur, je le crois : tu es le Christ, le Fils de Dieu, tu es celui qui vient dans le monde. »

Il fallait bien rappeler ce contexte, parce que le « cela » de la question est elliptique ! qu’est-ce que « cela » que nous croyons ensemble, nous tous des différentes confessions chrétiennes qui cherchons la vérité ? « Cela », c’est : « tu es la Christ, le Fils de Dieu, celui qui vient dans le monde. »

De siècle en siècle, la question nous est posée : dans nos Églises respectives la question est posée à qui demande le baptême ; mais elle aussi régulièrement posée aux assemblées qui se réunissent, comme je l’ai fait moi-même il y a trois jours à 120 baptisés adultes qui demandaient à recevoir le sacrement de la Confirmation ; nous proclamons aussi notre réponse habituellement lors de nos assemblées dominicales, sous cette forme ou sous une forme approchante, et notamment celle de la formule du Concile de Nicée dont nous commémorons ensemble le 1700ème anniversaire cette année ; et de façon solennelle, nous redisons aussi notre réponse chaque année au jour de Pâques.

Nous aurons cette année cette chance rare de la proclamer tous ensemble, le même jour, le 20 avril prochain puisque nos calendriers s’accordent, ce sera à Notre-Dame si vous le voulez bien ! Et plus que jamais nous sommes très nombreux à vouloir que cette occasion devienne le point de départ d’une pratique commune. Ce serait un grand signe, un immense témoignage de la recherche de la volonté du Seigneur qui prie pour l’unité de ses disciples. Et nous avons l’audace de penser que ce serait un signe qui est attendu dans un monde en proie aux divisions, aux haines, aux guerres qui sont toujours des guerres fratricides puisque nous sommes enfants du même Père, des guerres civiles puisque, quoique nous soyons de nations différentes, nous sommes de la même humanité qui peine pourtant à se reconnaître comme de la même et unique famille humaine.

La question que nous posons aux catéchumènes nous est posée par eux-mêmes : toi qui es chrétien, comme je voudrais le devenir, que dis-tu de ta foi ? que crois-tu ? en qui crois-tu ? dis-le-moi. Elle est posée, de génération en génération, par les enfants et les adolescents qui veulent grandir dans la foi. Ils ne la posent peut-être pas aussi directement … Dans notre société sécularisée, ils la posent peut-être moins qu’au temps de l’Exode (12,26) et dans toute la tradition juive : quand ton fils te demandera … Cependant, dans le libre-service des religions du monde, ils sont maintenant nombreux à chercher des réponses d’abord sur Internet plutôt qu’auprès de leurs parents qui ne se révèlent pas toujours disposés à leur répondre. Et nous savons bien qu’il nous faut répondre.

La réponse attendue, comment se construit-elle chez nous ? Les lectures choisies pour cette célébration nous donnent quelques clés.

Au livre du Deutéronome d’abord. Le mot même de deutéronome est significatif de la méthode par laquelle se construit la tradition, l’énoncé de notre foi : il évoque le retour permanent, la rumination de la Parole, la méditation incessante par laquelle le peuple de Dieu approfondit son expérience croyante, nous disons volontiers aujourd’hui la relecture. Redire, revenir sur l’histoire, faire le compte des merveilles de Dieu, mais elles sont innombrables ! Enraciner en nous la foi au Dieu unique, développer en nous la condition de fils et de fille de l’unique Père, apprendre à vivre conformément à cette foi par la justice et le respect inconditionnel d’autrui, par la fraternité et la bonté, aimer à en témoigner.

La loi est relue, redite, répétée pour être transmise, pour être au plus près du cœur qui l’a accueillie. Se redire sans cesse : « Le Seigneur notre Dieu est l’Unique. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de toute ta force. » Le redire sans cesse et le partager. Cette vérité n’est porteuse que si elle peut être entendue en écho : oui, je le crois comme toi ! Quand tu me demandes de dire en qui je crois, je te demande si tu veux bien revenir vers moi et le dire à ton tour, parce que j’aime l’entendre aussi d’un autre. Je te le demande, je ne t’y obligerai jamais. C’est ta liberté qui me confortera dans ma foi, même si tu n’y adhères pas ou pas encore ; parce que je saurai que mon adhésion est libre, par le fait que ta réponse le sera aussi.

Ceci est l’expérience même que font les apôtres auprès de Jésus ressuscité. Lorsque Thomas rejoint le groupe qui a vécu cette rencontre étonnante, il a en effet bénéficié d’un récit de celle-ci ; mais c’est une deuxième occasion qui permet aux premiers de faire cette relecture, et à lui de comprendre mieux le témoignage qui lui a été donné. Toujours cet approfondissement que suscitent la rencontre et le récit que l’on en fait. Et tout l’évangile ne cesse depuis plus de deux millénaires d’être raconté, répété, y compris avec les mots de chacun qui s’appellent, s’interpellent, se corrigent mutuellement, s’enrichissent des témoignages des uns et des autres, à la suite des premiers Actes d’apôtres, ou comme Justin de Rome appelait les évangiles, les mémoires des apôtres (Απομνημονεύματά των αποστολών).

Ainsi l’exprime l’apôtre Pierre au début de sa première lettre, dans cette hymne qui, en un raccourci saisissant, va de la foi à la foi, de « Béni soit Dieu le Père de Jésus-Christ notre Seigneur » jusqu’à « exulter d’une joie inexprimable et remplie de gloire, car vous allez obtenir le salut des âmes qui est l’aboutissement de votre foi », en passant par les épreuves et le feu de la vie quotidienne. Ce feu ce sont bien les événements de nos vies et de la vie du monde qui nous bousculent et nous invitent à redire l’adhésion au Seigneur, mais aussi les questions, les interrogations – voire quelques pièges tendus ici et là – et les dialogues que nous acceptons de nouer avec celui qui croit au ciel autant qu’avec celui qui n’y croit pas !
De tout cela l’expérience ecclésiale de la synodalité est un exemple frappant. Elle vous est davantage familière, frères et sœurs des Églises orthodoxes, orientales catholiques, protestantes et évangéliques qu’à nous catholiques latins. Nous la redécouvrons peu à peu depuis le Concile Vatican II des années 1960. Et elle n’a pas été immédiatement perçue comme faisant partie de l’héritage de ce Concile où elle était pourtant bien présente : une assemblée extraordinaire de près de 2500 membres délibérants, sur une longue durée, et se laissant saisir dès les premiers jours par la nécessité de parler en vérité, et non pas d’accepter tout bonnement des décisions prises dans des bureaux, avant l’assemblée.

Mais dès la fin du concile, en 1965, le pape Paul VI a créé le synode des évêques qui s’est tenu pour la première fois en 1967 et a déjà vu seize assemblées ordinaires, sans compter des assemblées extraordinaires, par exemple continentales lors de la préparation du Grand Jubilé de l’an 2000. Le pape François a fait, lors du cinquantième anniversaire de cette institution, un discours qui soulignait l’importance de cette nouvelle méthode pour le renouveau missionnaire de l’Église.

L’assemblée qui s’est achevée en octobre dernier a marqué une étape nouvelle : pour la première fois, des fidèles laïcs, religieux ou clercs qui ne sont pas des évêques ont, non seulement participé aux débats, mais eu voix active dans le synode. D’ailleurs, ce même pape m’avait donné cette faculté de donner la voix active à tous les participants, clercs et laïcs, à quasi parité d’hommes et de femmes, d’un synode de la province de Lille, que j’ai présidé et qui regroupait les trois diocèses du Nord, en 2013-2015.

Retenons d’abord la définition spirituelle ouverte qu’en donne la pape François dans le discours dont je viens de parler, qui décrit le synode comme la marque même de la vie de l’Église : « Chacun à l’écoute des autres, et tous ensemble à l’écoute de l’Esprit Saint. »

Une méthode, parmi d’autres, a voulu le faire comprendre, dite de la conversation dans l’Esprit : le synode romain ne s’est pas déroulé dans un hémicycle comme auparavant, mais autour de tables rondes de dix personnes où toute réflexion commence par un échange entre les participants dans lequel chacun écoute la parole des autres sans la discuter, pour l’accueillir sans la contredire, parce qu’elle traduit une expérience par laquelle parle l’Esprit.

La synodalité ne concerne pas exclusivement le gouvernement de l’Église, elle est un « style particulier » qui imprègne sa vie et sa mission. « La synodalité doit s’exprimer dans la façon ordinaire de vivre et d’œuvrer de l’Église qui (…) se réalise à travers l’écoute communautaire de la Parole et la célébration de l’Eucharistie, la fraternité de la communion, la responsabilité partagée, et la participation de tout le peuple de Dieu, à ses différents niveaux et dans la distinction des divers ministères et rôles, à la vie et à la mission de l’Église [1]. ».

Ainsi la synodalité concerne en premier lieu la vie ordinaire de toute l’Église, elle ne concerne le gouvernement qu’en second lieu, mais l’on voit aussi qu’elle a un vrai rapport avec l’unité des chrétiens pour laquelle nous prions ensemble ce soir. C’est un chemin de conversion que nous pouvons vouloir suivre aujourd’hui.

+Laurent Ulrich, archevêque de Paris

[1Document final de la 16ème assemblée du synode des évêques, §30, citant la Commission théologique internationale, La synodalité dans la vie et la mission de l’Église, 2018, §70

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