Récit de l’un des rescapés du couvent des Carmes en 1792
Récit de l’abbé de Lapize de la Pannonie, témoin oculaire échappé, le 2 septembre 1792, au massacre du couvent des Carmes à Paris.
[Le 2 septembre 1792, vers] les quatre heures, nous entendons de grandes clameurs au voisinage. Peu de temps après nous apercevons un groupe de forcenés qui nous montrent leurs piques au travers des barreaux d’une fenêtre. Nous ne doutâmes plus alors qu’ils ne vinssent pour nous égorger et nous empressâmes de nous demander et donner les uns aux autres l’absolution.
Je ne quittai point M. L’archevêque [d’Arles] ; la force et la tranquillité qu’il conservait à la vue du danger que nous courions, me soutenait au milieu de mes alarmes. Notre garde ne tarda pas à disparaître. Les assassins entrent dans le jardin armés de fusils à baïonnettes, de piques et de pistolets. Ils massacrent le premier qu’ils rencontrent. Un d’eux devance les autres et vint au-devant de M. l’archevêque et de moi. « Es-tu l’archevêque d’Arles » me dit-il en frémissant de rage. Je ne lui fis d’autre réponse que de hausser les épaules. « C’est donc toi », reprit le furieux en s’adressant cette fois à M. l’archevêque. « Oui je le suis », répondit-il aussitôt avec une contenance ferme et modeste. « C’est donc toi, reprit ce monstre, qui a fait répandre tant de sang à Arles. — Moi, répond encore M. l’archevêque, je ne sache pas avoir fait du mal à personne. – Tu n’as fait de mal à personne scélérat ! répartit encore ce misérable. Eh bien, je vais t’en faire à toi », et aussitôt il fond sur lui comme un tigre furieux et lui décharge un grand coup de sabre sur la tête. À ce premier coup, M. L’archevêque joint ses mains et s’en couvre le visage et, sans faire la moindre plainte, reçoit de ce forcené la mort à laquelle il s’était si bien préparé pendant sa captivité.
(...)
Ce qui étonnera sans doute, c’est que je n’ai pas entendu se plaindre aucun de ceux que je vis massacrer. Plusieurs de ceux qui avaient été se réfugier dans la chapelle [du jardin] reçurent la mort en offrant à Dieu le sacrifice de leur vie. Après avoir un peu assouvi leur rage, les assassins nous ordonnent de rentrer dans l’église sans cesser de nous tirer des coups de fusils. (...) Nous restâmes là quelque temps à prier et à gémir de tous les blasphèmes et de toutes les horreurs que vomissaient ces forcenés.
(...) On nous ordonne de cesser nos prières et de nous lever ce que nous fîmes aussitôt. Un d’eux nous demande alors d’un ton terrible et menaçant : « avez-vous prêté le serment ? » Comme je me trouvais le plus près d’eux, je leur répondis que pas un de nous n’avait prêté ni ne prêterait ce serment ; que je devais seulement leur observer que la plupart d’entre nous n’y étaient pas obligés et que la loi laissait la liberté aux autre de la prêter ou non. « C’est égal, reprirent-ils alors ; passez, passez, votre compte est fait ».
Source : Propres des Diocèses de Paris, Créteil, Nanterre et Saint-Denis – Liturgie des Heures, pages 103-104.
Le manuscrit reproduit par phototypie a été édité en 1913 sous le titre Les massacres du 2 septembre 1792 à la prison des Carmes à Paris, reproduction du manuscrit de l’abbé de Lapize de la Pannonie avec introduction par Mgr de Teil aux éditions Desclée, de Brouwer & Cie. Il est consultable sur Gallica.