Regards sur le prêtre et son ministère
Paris Notre-Dame du 15 janvier 2009
En cette « année du prêtre » lancée par le cardinal André Vingt-Trois en septembre dernier, c’est l’occasion de réfléchir au rôle que jouent les prêtres dans les communautés, de comprendre la mission irremplaçable à laquelle ils sont appelés lors de leur ordination sacerdotale.
Ils sont prêtres depuis 4 ans, 15 ans, 16 ans, 26 ans et 42 ans. Leurs origines, leurs caractères, leurs histoires, leurs ministères sont différents mais ils ont reçu la même mission. Prêtres du diocèse de Paris, ils nous expliquent quelles sont leurs charges et comment ils les exercent, quelles sont les difficultés liées au ministère reçu et pourquoi le sacerdoce les rend heureux.
Ni cadre ni fonctionnaire, mais pasteur
Le prêtre n’est ni un chef d’entreprise, ni un cadre, ni un fonctionnaire de l’Eglise. Son rôle de pasteur [1] consiste à se mettre au service de ses frères et sœurs en un lieu précis. Pour un curé, cela consiste à servir la communauté de l’ensemble des paroissiens, pour un vicaire en charge de la pastorale des jeunes, ce sont les jeunes de sa paroisse ou d’un doyenné, pour un aumônier d’hôpital, ce sont les malades, mais aussi les soignants, le personnel administratif…
Pour accomplir cette charge, le prêtre dispose de deux « outils » majeurs, qui sont l’enseignement de l’évangile et les sacrements. La dimension sacrament elle a été et est essentielle au ministère du P. Gonzague Chatillon, curé de N.-D. d’Auteuil : « Le baptême, l’eucharistie, la réconciliation, ont été les trois grands axes qui ont motivé jour après jour ma réponse à l’appel de Dieu. J’ai été particulièrement heureux de réentendre le Saint-Père insister sur cet aspect lors de son appel au sacerdoce aux jeunes à Lourdes. »
Le P. Pascal Gollnisch, curé de St-François de Sales, insiste sur la dimension relationnelle, qui concrétise le ministère au quotidien.
Le P. Lionel Dumoulin, vicaire à St-Germain de Charonne l’explique : « Je dois donner une parole juste qui permet aux personnes de voir l’action de Dieu dans leur vie. Nous devons en permanence être présents sur le chemin de foi des paroissiens lorsqu’ils ont besoin de conseils ou d’encouragement. »
Cette dimension relationnelle a aussi une importance particulière à Paris pour les prêtres appelés à vivre la charité fraternelle entre eux.
Enfin, le pasteur est aussi le signe visible et l’artisan de l’unité de la paroisse :« En permettant la communion dans la paroisse, explique le P. Hubert Louvet, curé de St-Joseph des Nations (11e), il veille ainsi à ce qu’un groupe, quelle que soit sa richesse, reste ouvert aux autres, que ce soit dans la paroisse, dans le diocèse ou dans le quartier. Or dans toutes les paroisses diverses du fait de l’origine, de l’âge ou de la sensibilité de leurs membres, il n’est pas toujours facile d’intégrer ses différences pour réaliser l’unité dans le Christ. »
Des collaborations essentielles
Dès les premières années de leurs ministères, les P. Gonzague Chatillon et Hubert Louvet ont appris à travailler en collaboration avec les laïcs. Le P. Chatillon se souvient avec émotion de ses années comme vicaire à N.-D. de l’Assomption (1974-1980) où il a découvert la richesse de la coresponsabilité avec une équipe de laïcs : « C’est un point très important pour moi ; je ne peux pas développer seul la mission qui m’est confiée. Personne ne peut avancer seul dans la foi et la vie d’Eglise. » Aidé par des vicaires, des diacres et des laïcs, les curés veillent à déléguer, à confier des responsabilités, ce qui implique de faire pleinement confiance. L’accompagnement se fait alors plus ou moins discrètement selon la personnalité de chacun : certains suivent toutes les réunions, d’autres ne viennent que pour faire le point. Il arrive parfois aussi que rien ne puisse se décider ou se régler sans faire appel au curé. Pasteur de la paroisse entière, le curé se doit d’avoir l’œil à tous et à tout, y compris à l’état des bâtiments ou de la chaudière de l’église. Pour autant, aucun ne veut ni ne souhaite se laisser submerger par le quotidien et les tâches matérielles. Le curé est certes l’accompagnateur, le référent, mais sur le chemin de la connaissance de Dieu, et non pas pour organiser par exemple la gestion des locaux paroissiaux. Sur évaluer la place du curé ou du prêtre dans la paroisse empêche les laïcs de prendre leur place et au prêtre de remplir sa mission spécifique. La tâche du pasteur d’un hôpital est aussi lourde mais pour des raisons différentes : Le P. Robert d’Anglejan est aumônier à l’hôpital St-Joseph depuis quatre ans. Logé sur place, il exerce son ministère en étant disponible 24h sur 24 aux 2 500 membres du personnel de l’hôpital et aux 600 malades de l’hôpital (1000 en 2013).
Une tâche impossible à accomplir s’il n’était pas aidé par une équipe de 21 laïcs et de 4 religieuses libanaises qui peuvent frapper à toutes les portes. Ces premières visites auprès des malades sont souvent déterminantes pour la suite. Portés dans l’eucharistie, célébrée quotidiennement, le prêtre peut les accompagner ainsi notamment par la grâce du pardon du Seigneur, de l’onction des malades, et le partage de la parole de Dieu. Durant ce temps d’hospitalisation souvent très bref, l’écoute demeure un élément déterminant du ministère de l’aumônier, ou depuis longtemps déjà, le Seigneur l’avait… devancé !
Souffrances et difficultés d’un ministère
Au début de leur ministère, les jeunes prêtres appréhendent souvent l’homélie ; le P. Alain Gambart, curé de St-Ambroise, se souvient : « Au début, leur préparation me demandait beaucoup de temps et je les écrivais mot à mot ; un jour, j’ai oublié mon papier, il a bien fallu que je me lance. »
Pour un prêtre qui a donné sa vie au Christ et à ses frères, la première souffrance est de voir le trop petit nombre de personnes répondre à l’appel du Christ et s’en tenir à une « simple pratique » trop centrée sur la dévotion personnelle.
Le P. Chatillon s’en explique : « Il est passionnant de transmettre cet amour de Dieu ; mais lorsqu’en retour, on constate le peu d’enthousiasme, voire l’indifférence, c’est difficile ; les gens ont certes des vies extrêmement chargées, mais la vie chrétienne a toujours demandé de faire des choix, comme peut-être tout simplement de sacrifier « son dîner en ville ».
Leur souffrance est aussi de voir le peu de paroissiens demander le pardon du Seigneur, en dehors des temps forts proposés par les paroisses (et même durant ces périodes), alors que les prêtres les attendent et sont à leur disposition au moins pour parler.
À St-Joseph, le P. Robert d’Anglejan souffre de voir des personnes refuser de s’ouvrir à Dieu, alors qu’il leur serait possible de le faire. La difficulté c’est aussi les manques, les défauts éprouvés par les uns et les autres selon leurs personnalités. Comme le dit le P. Gollnisch, « la principale difficulté personnelle, c’est notre propre conversion ». Il y a aussi les moments de fatigue éprouvés par chacun à un moment donné. C’est le cas du P. d’Anglejan, soumis à une disponibilité 24h sur 24, mais aussi des curés, au rythme de vie pas toujours équilibré.
À St-Ambroise, où l’équipe de prêtres appartient à la Fraternité missionnaire des prêtres pour la ville, ils partent un lundi par mois se ressourcer à la campagne.
Le P. Chatillon est parti, lui, à deux reprises, passer une année dans un monastère bénédictin en Bretagne : « J’avais besoin d’un temps de silence, de me laisser modeler par le rythme de la vie bénédictine : la prière, le travail intellectuel et manuel. Je regrette que dans mon ministère, il n’y ait pas ce triple équilibre. J’y retourne chaque année pour me ressourcer. »
Pour un jeune prêtre comme le P. Dumoulin, ce sont les ruptures de rythme qui sont parfois difficiles à vivre : « Entre les moments de solitude et ceux d’un trop plein de relations, l’équilibre est difficile à trouver. » Enfin une dernière difficulté évoquée par le P. Gollnisch : « Notre action ne peut s’évaluer que sur une très longue durée. Or le risque est de multiplier les projets et les orientations pastorales à court terme. Une meilleure articulation entre les différents niveaux d’action dans l’Église serait bénéfique. »
Comment se ressourcent-ils ?
Le lundi souvent pris par les prêtres comme jour « off » est ainsi absolument nécessaire, comme les vacances régulières. Mais il est aussi un moyen cité par tous : la prière.
Un temps d’oraison quotidien fait seul ou en équipe quand ils sont membres de la Fraternité missionnaire des prêtres pour la ville, ce qui est le cas à St-Ambroise et à St-Joseph des Nations. Pour le P. Chatillon, l’oraison est devenue « une nécessité impérieuse. Cela ne l’a pas toujours été, mais comment vivre ma foi si je ne suis pas enraciné dans la parole de Dieu et le cœur à cœur auquel elle me convie ? »
Le P. Gambart témoigne aussi que la parole de Dieu est au cœur de sa vie. Le jeudi, lors du conseil traditionnel des prêtres en paroisse, les réunions débutent souvent par un échange sur les textes du dimanche suivant. Le partage en équipe est aussi important pour eux que la méditation personnelle. Pour les prêtres comme pour les laïcs, la Parole se lit en Eglise.
Ils expérimentent ainsi, comme en témoigne le P. Gambart, « qu’on ne se lasse jamais de la Parole. Elle se renouvelle toujours et nous demande un travail permanent car comme nous nous adressons à des personnes différentes au fil des années, il y a toujours une manière nouvelle de la transmettre ».
L’eucharistie célébrée chaque jour est aussi une de leurs principales ressources et leur grande joie. Elle tient une place centrale dans la vie de tout prêtre. « C’est un appel quotidien à la conversion », explique le P. Chatillon. Enfin, comme le rappelle le P. Gollnisch : « Le ministère nourrit le ministère ; lorsque nous faisons du catéchisme ou de l’évangélisation de rue, cela nous renforce. »
Les joies multiple d’un ministère
Après quarante-trois ans de sacerdoce, Le P. Chatillon l’exprime sans ambages : « Si j’avais à reprendre la route, je n’hésiterais pas une seule seconde. Je ne ris pas tous les jours, mais c’est une grâce et une joie d’être prêtre. »
Alors qu’ils ont du mal à exprimer leurs difficultés, ils deviennent intarissables quand il s’agit de parler de leurs joies.Ce sont les ministères auprès des jeunes qui les ont emballés dans les premières années : « Célébrer une messe en pleine montagne sur un autel de neige ou gravir à 5 h du matin la colline de Soligny sont des expériences marquantes », raconte le P. Louvet.
Le P. Dumoulin aime particulièrement célébrer les baptêmes : « J’éprouve aussi beaucoup de joie à travailler les séances de catéchisme et les homélies. » C’est la joie d’accueillir et d’écouter, de visiter les personnes âgées et malades, de faire le catéchisme, de voir des laïcs s’ouvrir à Dieu et se donner, d’accompagner des jeunes vers le sacerdoce et de voir des paroisses fleurir. C’est celle de donner le sacrement du pardon, de célébrer l’onction des malades, de baptiser les catéchumènes dans la nuit pascale et surtout de célébrer l’eucharistie dominicale, où toute la communauté se rassemble pour prier.
Le P. d’Anglejan n’imaginait pas qu’un ministère en hôpital, aussi rude comme il l’avoue, pouvait être autant source de joies. Lui qui ne supporte pas la vue du sang, a été nommé à St-Joseph après treize ans de ministère en paroisse : « Ici, nous n’avons que nos mains vides à offrir aux malades. Il me semble parfois que, plus qu’ailleurs, nous voyons le Seigneur agir. L’eucharistie est centrale. Tout se joue là. »
Le P. Gambart le confirme : « La célébration quotidienne de l’eucharistie est vécue comme la source de notre ministère et de toute activité missionnaire au service de tous ceux et celles vers qui nous sommes envoyés. » • Frédérique de Watrigant
[1] Au moment de leur ordination sacerdotale, les prêtres reçoivent trois charges (du gouvernement, de sanctification et d’enseignement). Ce sont les fonctions propres de l’évêque qui les partage avec les prêtres.