« Revenir à une lecture plus proche du Texte »
Paris Notre-Dame du 22 mars 2018
Pilate et sa vérité : le malentendu des cultures. Voici le thème de la sixième et dernière conférence de Carême, dispensée par le bibliste Jacques Cazeaux.
Paris Notre-Dame – Pourquoi ce thème ?
Jacques Cazeaux – Je ne suis ni philosophe, ni historien, ni sociologue, mais bibliste. J’ai donc voulu apporter des lectures bibliques au thème général choisi cette année par Fabrice Hadjadj, Culture et évangélisation, un thème qui fait ressortir un problème de différences des cultures. Quand Jésus dit, devant Pilate, à l’aube de sa Passion, « je rends témoignage à la vérité », il parle hébreu. Et le mot « vérité » selon la Bible n’a rien à voir avec la vérité de Pilate, un procurateur romain ayant étudié la philosophie romaine, très tributaire de la philosophie grecque. Ainsi, pour Pilate, la vérité est le résultat de démonstrations. En grec, on ne « rend pas témoignage à la vérité », on la cherche, on la définit par des concepts logiques établis. Or, du point de vue sémite, la définition bloque la réflexion au lieu de la nourrir. Pour un fils d’Israël, il n’existe pas de définition : de la royauté, de Dieu, de l’homme, du mal. La Bible ne donne pas de définitions. Elle conduit le fidèle vers un horizon. S’opère donc entre Jésus et Pilate un malentendu, un malentendu hérité de leurs cultures.
P. N.-D. – Cela sous-entendrait qu’il existe plusieurs vérités…
J. C. – Si l’on veut. On peut admettre que chacun a sa manière d’aborder les choses. Le problème actuellement est l’incompréhension entre les cultures. Il faudrait trouver un moyen pour rejoindre l’autre, dans sa culture, sans le brusquer ni violer sa conscience, essayer de comprendre comment les autres civilisations abordent le réel et les grandes réalités de la vie, retrouver une attitude d’accueil et de conscience des différences.
P. N.-D. – Pourquoi Jésus a-t-il employé un langage qui ne pouvait pas être compris par Pilate ? Il connaissait pourtant la culture et la société dans laquelle il vivait…
J. C. – Le problème se situe en amont. Nous lisons ce que Jean a rapporté, ce qu’il a voulu dire de cette rencontre étonnante. Et Jean, je crois, a voulu insister sur le fait qu’il s’agit ici d’un procès. En apparence, ce procès est celui de Jésus. En réalité, il s’agit du procès des Judéens, des grands prêtres et de la foule qui choisit la mort de Jésus. S’opère encore une fois un malentendu… Comme il en existe encore aujourd’hui entre les chrétiens et l’Évangile. S’est installée au cours de l’histoire une espèce de malentendu dans la réception de l’Évangile. En revenant à une lecture plus proche du Texte, afférent notamment à la Cène, la Croix, la Résurrection, il y a, je crois, des ajustements à faire. Parmi ces malentendus, c’est infime, mais on peut regretter dans l’Exultet, lors de la vigile pascale, cette phrase monstrueuse, Felix culpa, que l’on peut traduire par « heureuse faute qui nous a valu un Rédempteur ». Mais cette faute renvoie au péché originel. Comment peut-on alors qualifier cette faute d’heureuse alors qu’elle est à l’origine de tous les drames, de tout le mal que nous traînons ? Aujourd’hui, un grand nombre de chrétiens, en particulier de catholiques, méconnaissent la Bible. Il faut, je crois, s’astreindre à la leur présenter et expliquer.
Propos recueillis par Isabelle Demangeat