« Le débat national sera grand seulement s’il parvient à élever les consciences »
Pour le père Laurent Stalla-Bourdillon, le « Grand débat » lancé par Emmanuel Macron ne sera salutaire que s’il parvient à dépasser les questions économiques et matérielles pour envisager le véritable sens de la vie et élever les consciences.
Aumônier des parlementaires de 2012 à 2018, le père Laurent Stalla-Bourdillon est directeur du Service pour les professionnels de l’Information. Ce nouveau service répond au souhait de faire davantage se rencontrer le monde des médias et le monde de l’Eglise. Il organise des rencontres pour éclairer la place des croyances et des religions dans la société.
Nous aurions tort de croire que la crise des « gilets jaunes » n’est qu’une énième crise sociale. Le fait que la contestation porte sur la pression fiscale, la baisse du pouvoir d’achat et l’absence de justice sociale, indique la dimension économique du mouvement, mais ne confondons pas les causes et les conséquences. Les troubles économiques et sociaux sont les conséquences d’une autre crise relevant de l’anthropologie sociale.
Les choix des politiques des années 1980-2000 font pleinement sentir leurs effets en des domaines où nous ne les attendions pas nécessairement.
Dès 1943, dans Le problème de l’homme, le philosophe Martin Buber voyait dans la dissolution progressive des vieilles formes organiques de coexistence entre humains la cause des crises politiques et sociales. La perte du lien est le mal qui ronge les sociétés humaines. En s’effaçant peu à peu, « la famille, le compagnonnage, la commune villageoise ou urbaine, tout le milieu relationnel humain qui le préservait du sentiment de l’abandon total, faisait apparaître la solitude. Dès lors l’homme est confronté avec le fond de son existence, et apprend la profondeur de la problématique humaine ».
Martin Buber ajoutait que l’homme en soutenant sans discernement le développement des techniques, finissait par voir ses propres œuvres lui échapper. « Quel sens avait donc cette puissance qui était en même temps impuissance ? La question aboutissait à celle de la nature de l’homme, laquelle recevait une nouvelle signification, immensément pratique. » Nous y sommes.
La pensée libertaire qui sous-tend aujourd’hui la philosophie politique s’est affranchie des attaches spirituelles qui ont permis l’essor de la France et plus largement de l’Europe. Il n’y a pas d’ordre sans principes d’ordre. C’est un invariant de la logique. Or ce principe fut l’inspiration que donnait la foi au Christ, permettant le développement personnel et le développement des nations dans l’harmonie de leurs relations, fussent-ils toujours imparfaits et toujours en tension vers un progrès. Sans le Christ, le principe d’unité commence à faire défaut, et le processus de fragmentation se met à l’œuvre : nation contre nation, liberté individuelle contre liberté des droits, et voilà que se brise le bien de la communion de personnes, puis celui des peuples.
Le grand débat national lancé aujourd’hui par le Président Emmanuel Macron devra absolument dépasser les revendications matérielles et individuelles, pour aider les citoyens à penser l’édification du corps social et ses principes d’unité et de vitalité.
Pour certains observateurs, la laïcité et la disparition de la foi chrétienne signent l’impossibilité de trouver dans la foi au Christ les ressources nécessaires pour refonder la nation comme personnalité morale, et l’Europe comme communion des nations. Or, cette hypothèse ne tient pas. Précisément parce qu’ils ne connaissent la foi chrétienne que d’un seul point de vue extérieur, sociologique et politique, ignorant le principe spécifique au christianisme, qui n’est pas le nombre mais l’esprit. Ce principe n’est pas la mesure d’une grandeur, mais la confiance en la liberté que donne le Christ. C’est ce que disait très bien le Père Gaston Fessard s.j (1897-1978) : « A l’esprit si éthéré qu’on le conçoive, il faut encore un peu de matière, quand ce ne serait qu’un mot, qu’un verbe, pour prendre corps et s’exprimer.
De même pour la société où vit l’Esprit. La grandeur du corps où s’objective et s’individualise la personne morale de l’Église importe peu. Ce n’est pas le volume physique du mot, mais la ferveur spirituelle dont il doit témoigner qui fait sa valeur ».
Si les causes de la crise des « gilets jaunes » ressortent effectivement de la perte du sens de la vie commune et de la fragilisation des fondements de la nation, sa résolution passera par une élévation des consciences au niveau du problème et donc, par une réappropriation collective des conditions nécessaires à la vie commune.
La prochaine révision des lois de bioéthique permettra d’apprécier si les leçons ont été tirées et si les structures de la communauté humaine sont consolidées ou plus dissoutes encore. Le débat national sera « grand » à condition de son élévation. S’il veut soigner notre corps social affaibli, le débat doit se hisser au niveau de la vérité. Le pouvoir des mots reste vain ou dangereux s’il n’est accompagné d’une pensée. La pensée elle-même s’égare, s’il est n’est pas orientée par la quête de la vérité. Vérité indispensable lorsqu’il en va de la nature de l’homme et de sa vocation à s’accomplir dans une société gouvernée, autant qu’elle le peut, par les liens de la charité.