Intelligence artificielle : « Ce n’est pas de la pensée ! »
Paris Notre-Dame du 29 février 2024
Le Service pour les professionnels de l’information (SPI) du diocèse propose aux prêtres parisiens de découvrir les mécanismes techniques qui se cachent derrière les intelligences artificielles génératives telles que ChatGPT, pour les textes, ou Dall-e, pour les images. Décryptage avec le P. Laurent Stalla-Bourdillon, directeur du SPI depuis 2018, qui anime ces rencontres.
Paris Notre-Dame – Quel est l’enjeu de ces réunions destinées au clergé parisien ?
P. Laurent Stalla-Bourdillon – Plus qu’une formation, il s’agit d’une matinée de sensibilisation et de démystification, en petits groupes, de ces nouveaux outils numériques largement présents dans l’espace médiatique. Comment fonctionnent ces technologies ? Quels sont les développements auxquels nous risquons d’assister ? Quelle place pourront-elles prendre dans la mission de l’Église ? Quel usage les prêtres pourront-ils en avoir ? Challengés demain par l’intelligence artificielle (IA), aurons-nous toujours des choses à dire au monde ? L’IA touche une quantité de domaines de la vie traditionnelle dont les questions liées à la foi. La nouveauté est qu’elle concerne, pour la première fois de l’histoire humaine, un domaine de compétence qui n’est pas une action que faisait jusqu’à présent l’homme – à l’exemple du pétrissage du pain, manuel pendant des siècles, devenu mécanique. L’IA générative ne fait que calculer le mot d’après. Ses réponses ne doivent pas être à nos yeux un produit fini mais un support à reprendre, une base à retravailler. La « parole mécanique » n’a pas la saveur de l’échange avec une personne.
P. N.-D. – Qu’est donc réellement l’IA ?
L. S.-B. – Tout un discours tend à faire croire que l’IA serait de la pensée. Mais il n’en est rien. Ce n’est même pas de l’intelligence. Le terme anglais intelligence signifie « renseignement ». Nous avons importé en français un anglicisme mais l’IA n’est rien d’autre que du « renseignement artificiel ».
La machine est renseignée à partir d’un corpus de textes choisis pour elle et produit, à partir de cette source d’informations, un rendu particulier – encore non identifié à ce jour car il ne provient pas d’une pensée. C’est un inédit dans notre histoire ! Pour la première fois, nous faisons face à un outil qui touche à la parole humaine, le propre de l’homme. Jusqu’à présent, toutes les paroles et tous les écrits provenaient d’une pensée. Aujourd’hui, nous avons des machines qui « parlent » et « écrivent » et pourtant ne pensent pas. Nous allons devoir distinguer les pensées qui viennent d’une personne et les paroles et textes qui ne proviennent pas d’une pensée mais d’une machine. La confiance supposée dans les relations interpersonnelles menait à un apriori de confiance peut-être excessif ; pendant des années, tout ce que nous voyions sur nos écrans ne pouvait qu’être vrai. Désormais, c’est l’inverse et cela nous oblige à une plus grande réflexion personnelle.
P. N.-D. – Quelle est la position officielle du Saint-Siège sur l’IA ?
L. S.-B. – Dans une allocution aux membres de l’Académie pontificale pour la vie, le 12 février, le pape a précisément expliqué la position de l’Église catholique par rapport aux nouvelles technologies dont fait partie l’IA : ces outils relèvent du développement humain et, comme tous les outils, ils peuvent, à bien des égards, s’avérer bénéfiques… mais également pernicieux s’ils tombent entre de mauvaises mains. Cela suppose un usage et une réflexion critiques pour discerner leur bon usage. Mais il n’y a aucune condamnation a priori. Le Vatican ne cesse d’accompagner les progrès technologiques. Et à partir du moment où le grand public s’interroge et s’intéresse à ces sujets, il est important que l’Église s’en empare également.
Propos recueillis par Mathilde Rambaud
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