Louis Bouffard : « Nous demandons une aide à vivre et non une aide à mourir »
Paris Notre-Dame du 12 juin 2025
Écrivain et conférencier, Louis Bouffard, 25 ans, est le porte-parole des Associations familiales catholiques pour le débat sur la fin de vie depuis mai 2024. Atteint d’une maladie génétique dégénérative et évolutive, le jeune homme se bat au nom des plus fragiles de la société concernés par le projet de loi sur le droit à mourir, qui suscite en eux de vives angoisses. Explications.

Paris Notre-Dame – Pouvez-vous présenter votre quotidien ?
Louis Bouffard – En plus de mes activités d’auteur et de conférencier auprès des paroisses, des établissements scolaires et des associations, j’ai récemment intégré le collectif Démocratie, éthique et solidarité fondé par le professeur en éthique médicale Emmanuel Hirsch. Depuis toujours, je suis atteint d’une maladie génétique, qui touche l’intégralité des muscles : la myopathie de Duchenne. Cette maladie est évolutive et dégénérative. Ainsi, j’ai perdu l’usage de mes jambes à 10 ans, puis celui de mes bras à 13 ans. Mon quotidien est de dépendre de l’aide des autres. Tous les jours, je suis aidé par des auxiliaires de vie pour les actes du quotidien comme me lever, me laver, m’habiller, manger. Tous ces gestes que je ne peux plus faire. Je suis aussi très entouré par ma famille et des bénévoles qui viennent passer du temps à mes côtés pour m’aider dans mon travail et mes déplacements. Cela sollicite un large entourage d’entraide qui me permet vraiment d’avoir ma place dans la société, d’avoir mon rôle, moi aussi.
P. N.-D. – Que ressentez-vous aujourd’hui après le vote à l’Assemblée nationale sur l’accès au droit de l’aide à mourir ?
L. B. – Nous sommes pour l’heure, au début du processus législatif. La loi sur l’aide à mourir a été adoptée en première lecture à l’Assemblée à une courte majorité, 54 %, ce qui montre qu’il y a de vrais enjeux et un véritable débat de société. Aujourd’hui, je dirais surtout que je suis inquiet, mais déterminé à porter la voix des plus fragiles, des plus vulnérables. Ceux qui désirent avoir les moyens pour vivre : nous demandons une aide à vivre et non une aide à mourir. Je porte aussi cet appel pour bien faire comprendre que nous sommes tous vulnérables et fragiles et cette loi concernera chacun à un moment de sa vie en raison de la maladie, de la vieillesse ou du handicap. La vraie question est donc de savoir comment nous voulons vivre notre fragilité et notre dépendance aux autres. Cette loi suscite en moi une profonde angoisse : elle fera peser sur les personnes malades ou en fin de vie une pression sociale et économique. C’est inacceptable alors que nous nous battons quotidiennement pour vivre, avec parfois des maladies lourdes à porter. Le handicap et la maladie sont une contrainte mais la vie n’est pas une contrainte. Malgré tout, la vie est belle.
P. N.-D. – Pouvez-vous en dire plus sur cette pression sociale ?
L. B. – Cette pression sera peut-être silencieuse. Mais déjà, dans notre quotidien, nous entendons des personnes dirent, ou faire sentir, que nous sommes un poids pour la société – un poids économique et social – et pour nos proches. C’est lorsque l’on vit avec cette dépendance aux autres et cette dégradation de l’état de santé, que l’on a alors le plus besoin de la sollicitude des uns et des autres. Cette sollicitude nous rend vulnérables. Cette loi va aggraver ce sentiment d’être un poids, ce qui est extrêmement difficile pour les personnes dans cette situation. Cette loi va nous pousser à douter de la valeur de notre existence.
P. N.-D. – Le terme de « dignité » est souvent employé par les partisans de l’euthanasie et du suicide assisté. Que leur répondez-vous ?
L. B. – On ne peut pas perdre sa dignité. Elle est inaliénable. D’ailleurs, la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 le dit bien : la dignité est intrinsèque et ne peut se perdre. Le plus important est de prendre soin des uns et des autres. Cette attention fait la beauté de notre humanité. Une humanité qui accompagne, qui est présente, qui se met au chevet de la fragilité de l’autre. On est digne parce qu’on est humain. Cette remise en cause de la dignité humaine me plonge dans une profonde angoisse. Dans mon cas, mon état de santé va continuer à se dégrader de manière inéluctable au fil des années. Un jour, aux yeux de la société, ne serai-je plus digne de vivre ? Pour moi, c’est une vraie douloureuse question. Une fois la loi adoptée, serai-je amené à me lever chaque matin en me demandant s’il ne vaudrait pas mieux partir ? Alors que, justement, dans les moments où l’on est fragile – la vie n’est pas rose tous les jours –, dans les moments où l’on peut douter de la valeur de son existence, la société et les proches doivent rappeler à la personne la valeur inestimable de sa vie.
P. N.-D. – Que diriez-vous aux parlementaires qui pensent poser un acte d’humanité en votant cette loi ?
L. B. – Les parlementaires – qui, eux, sont bien portants – ont leurs propres projections sur la souffrance, la dégradation de la santé, la dépendance à l’autre et la vulnérabilité. Mais il faut écouter les malades. Je connais ce qu’ils vivent à travers les étapes de ma maladie avec la perte de mes jambes puis de mes bras. Arrivé à ces stades, il y a toujours un moment de non-acceptation. On se dit qu’on ne pourra jamais réussir à vivre avec cet handicap. Mais passé ce tremblement de terre, ce chamboulement et ce temps de l’acceptation, on se rend compte que la vie continue, même si elle n’est pas facile. Nous avons vraiment ce désir de vie malgré la fragilité. Si l’on vit sereinement, entouré et accompagné, la vie s’immisce dans les moindres recoins de l’existence. Et c’est vrai pour toute évolution : tant qu’on ne la vit pas, on se sent incapable de la vivre. Aujourd’hui, on reste dans une vision un peu binaire dans laquelle on devrait choisir entre atrocement souffrir ou mourir. Mais je pense que c’est là qu’intervient une troisième voie, une voie d’humanité, par le développement des soins palliatifs et des soins en général pour accompagner, soulager, visiter, être présent pour aider à vivre malgré sa fragilité. Depuis les lois de 1999 sur l’accès aux soins palliatifs jusqu’à la loi Claeys-Léonetti, la France a créé ce chemin exigeant d’éthique et d’humanité.
P. N.-D. – Vous êtes un farouche défenseur de l’accès aux soins palliatifs…
L. B. – Les soins palliatifs doivent être étendus et développés afin que tout le monde puisse y avoir accès. Cinq cents personnes par jour meurent sans avoir eu accès aux soins palliatifs dont elles avaient besoin. Il y a encore vingt-et-un départements français qui sont dépourvus d’unité de soins palliatifs. D’ailleurs, une unité de soins palliatifs correspond à dix lits. Il faudrait multiplier ces places par dix, voire par cent. Il est évident que cela exige beaucoup de moyens financiers et humains. Mais d’un autre côté, une réponse collective est nécessaire. Il est de notre devoir de prendre soin et je ne parle pas que des soignants mais aussi de l’entourage et des bénévoles. Toute la société doit se sentir concernée. Tout le monde a, dans son entourage, une personne âgée fragile ou handicapée à qui l’on peut donner de son temps. Nous sommes faits pour nous donner, recevoir et pardonner.
P. N.-D. – Est-ce que cette loi va changer votre relation avec les soignants, notamment en raison du délit d’entrave ?
L. B. – La légalisation de la mort administrée viendra rompre la confiance entre soignants et soignés, alors qu’elle est un équilibre que les soignants essaient de trouver à chaque instant. À titre personnel, je ne peux que les remercier. Les soignants sont opposés à ce texte et, pour eux, c’est une vraie déchirure, un réel cas de conscience. Je suis plutôt dans un élan de compassion. Je suis à leurs côtés pour leur dire que leur mission et leur vocation sont de prendre soin, non pas d’administrer la mort.
P. N.-D. – Quelles sont vos espérances ?
L. B. – Mes espérances sont multiples ! Je souhaite continuer à m’adresser au grand public, à créer des lieux d’échanges et à faire de la pédagogie. Comme tous les passages de la vie, celui de la fin est une période à vivre. Il y a désormais quatre ans, j’ai accompagné ma maman, qui a rejoint le Ciel. Après une chute de cheval, elle est restée une semaine dans le coma. La veille de sa mort, dans la chambre d’hôpital, mon frère a pris ma main inerte pour la poser sur celle de maman. Par ce geste, j’ai pu lui dire tout l’amour de fils que j’avais pour elle et je sais qu’elle a ressenti ma main et mon amour. Montrer que nous sommes faits pour aimer et être aimé est tout aussi important pour celui qui est en fin de vie que pour ses proches. Nous pouvons vivre jusqu’à l’extrémité de la vie.
Propos recueillis par Marie-Charlotte Noulens
Un cœur joyeux, Louis Bouffard, Mame, 2024, 120p., 12,90 €.

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