Discours du cardinal André Vingt-Trois pour la clôture de l’assemblée plénière des évêques
Lourdes – Dimanche 8 novembre 2009
Au terme de cette assemblée, nous pouvons rendre grâce à Dieu pour le travail que nous avons accompli. Suivons l’évangile de Marc que nous avons lu tout au long de cette année liturgique : « Les Apôtres se réunissent auprès de Jésus et ils lui rapportèrent tout ce qu’ils avaient fait et tout ce qu’ils avaient enseigné. Et il leur dit : “Venez vous-mêmes à l’écart, dans un lieu désert et reposez-vous un peu”. » (Marc 6, 30-31). Nous aussi le Seigneur nous a tirés un peu à l’écart, même si ce lieu n’est pas désert pour que nous reprenions force et courage. Nous avons vécu avec joie ce temps autour du Christ, réunis dans la prière et l’échange fraternel. Mais vous savez ce qu’il en est de ce lieu désert où Jésus entraîne ses Apôtres pour qu’ils reprennent des forces. Ils y ont été suivis par des foules nombreuses que Jésus vit et dont il eut pitié, « parce qu’elles étaient comme des brebis qui n’ont pas de berger. » (Marc 6, 34)
La foule des hommes et des femmes de notre temps étaient bien présents à notre esprit, au cœur de nos débats, et notre regard de pasteurs sur ce monde était rempli de pitié et d’amour. Nous avions aussi à accueillir la consigne du Christ : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ! » (Marc 6, 37). Patiemment et obstinément nous avons donc rassemblé nos « cinq pains et nos deux poissons », nos maigres ressources pour apaiser les besoins des hommes de ce temps, et nous espérons avec confiance que Jésus, aujourd’hui encore, bénira nos pauvres moyens pour pourvoir à la faim des hommes.
Notre souci d’annoncer à tous la Bonne Nouvelle du Salut, nous le partageons avec nos frères prêtres, collaborateurs quotidiens de notre ministère, associés étroitement à notre charge d’appeler, de conduire, de fortifier et de stimuler le peuple qui nous est confié. Avec eux, nous mesurons chaque jour l’affaiblissement de nos moyens et l’abime qui sépare nos pauvres ressources de ce qui serait nécessaire. Notre désir pastoral et missionnaire est sans cesse confronté à ce écart et chacune de nos communautés chrétiennes y est confrontée avec nous. Que pouvons-nous faire ? Qu’allons-nous faire ?
Nous avons évoqué le temps du désert où Israël fut enfanté dans la foi par l’épreuve de la faim et de la soif. Mais cette lecture positive de l’épreuve est déjà un fruit de la foi, affermie par l’expérience, qui médite sur les événements vécus. C’est l’interprétation croyante d’une situation qui n’est pas, par elle-même génératrice du sens : la mort ne donne pas la vie, c’est Dieu qui fait surgir sa vie dans nos épreuves. C’est pourquoi, nous aussi, nous nous efforçons de vivre ce temps dans la confiance que, aujourd’hui encore, Dieu conduit son peuple et ne l’abandonne pas.
Cet acte de foi et de confiance est soutenu et nourri par notre communion avec les prêtres de nos diocèses, par leur fidélité quotidienne et leur générosité pastorale. En cette année du prêtre, nous vivons avec eux de la fidélité du Christ et dans la fidélité au Christ. Avec eux nous partageons les joies et les épreuves quotidiennes du ministère. Avec eux, nous appelons des hommes généreux pour se joindre à nous pour être les pasteurs du XXI° siècle. C’est une belle vie de se donner totalement au Christ pour le service de ses frères. Ensemble nous sommes soutenus et nourri par la fidélité du peuple chrétien fondée sur le roc de la foi. Les diacres, les religieux, les religieuses et tous les fidèles du Christ constituent ensemble le peuple de Dieu où la foi de chacun se retrempe et se renouvelle pour accomplir la mission. Comme aussi notre foi est ravivée et stimulée par les attentes de tous ceux et de toutes celles avec qui nous vivons. Laisserons-nous cette foule dans les déserts de ce monde sans lui partager le pain de la vie ?
Pour discerner et reconnaître où et comment Dieu veut conduire nos communautés, nous ne cherchons pas d’abord des formules toutes prêtes pour adapter nos organisations et nos structures. Nous nous mettons ensemble à l’écoute de ce qui peut aider nos communautés chrétiennes à reconnaître comment vivre ce qui fait leur identité et leur mission dans les conditions difficiles que nous connaissons. Leur identité, c’est la Parole de Dieu qui la leur donne, c’est cette Parole partagée et annoncée qui met en œuvre la visibilité sacramentelle de l’Église, signe et moyen de la communion dans le Christ.
Ce long travail spirituel dans lequel nous nous sommes engagés, c’est celui auquel nous invitons chacune de nos églises particulières pour discerner par quels chemins Dieu nous conduit. Ce long travail est un acte de foi et il ne peut se développer que si nous acceptons de ne pas nous laisser submerger par les regrets de ce qui était hier une relative prospérité ou par l’angoisse de maintenir à tout prix ce que nous avons connu : Israël ne retrouvera pas les oignons d’Égypte et Dieu, encore une fois, nourrira son peuple de sa manne. Dans chacun de nos diocèses, l’avenir de nos communautés chrétiennes repose sur la détermination de tous à témoigner de l’Évangile et à rendre visible sa puissance par la manière dont lui donnons corps à travers nos existences. C’est bien la passion de l’Évangile qui est notre identité et notre force.
La mission apostolique se nourrit de la vie sacramentelle dont nous sommes avec les prêtres, les ministres et les garants. C’est notre premier objectif : rassembler le peuple de Dieu pour que cette vie sacramentelle soit réelle et vivante. Les lieux et les formes de ce rassemblement ne sont plus ceux d’hier. Ils suivent l’évolution de la répartition et de la vie des hommes. Mais, à travers ces mutations, nous recherchons toujours comment les prêtres sont mieux engagés dans leur ministère pastoral de sanctifier et d’enseigner leurs communautés et comment l’Église tout entière, -et pas seulement les prêtres !-, vit dans la proximité de nos contemporains dans tous les domaines de leur existence : travail et vie sociale, famille et réseaux d’amitié, culture et loisirs, etc.
C’est dans cet esprit que nous poursuivrons notre travail sur Demain, la vie de nos communautés chrétiennes. Nous le poursuivrons entre nous dans la suite de nos assemblées, comme nous le poursuivrons dans nos diocèses avec nos collaborateurs en y associant le mieux possible tous ceux qui sont disposés à servir l’Évangile. Nos échanges de ces jours-ci ne nous donnent pas des modèles transposables, mais ils nous donnent matière à réfléchir sur chacune de nos situations.
La réflexion que nous avons engagée sur l’Enseignement Supérieur Catholique se situe dans cette perspective d’un engagement fort de notre Église dans l’annonce de l’Évangile. Nous avons commencé à mieux identifier les forces, les enjeux et les défis de cette mission telle qu’elle s’est développée en France depuis plus d’un siècle. Notre intention est de poursuivre ce discernement pour formuler avec plus de netteté les priorités que nous, évêques, voulons mettre en œuvre dans ce domaine et les orientations que nous souhaitons donner à cet investissement important.
Disciples de Jésus, qui est venu se faire le prochain de l’humanité abandonnée au bord du chemin où sa vie semble se perdre (cf. Luc 10), nous sommes attentifs à toutes les pauvretés engendrées par une société polarisée par la consommation et l’illusion d’une prospérité sereine. Beaucoup de nos contemporains commencent à comprendre qu’une société plus juste et plus respectueuse de son environnement est nécessaire. Ils comprennent aussi que l’usage plus raisonnable des biens de ce monde appelle à une révision courageuse de nos modes de vie. Il ne s’agit plus seulement de militer pour des thèses vaguement écologistes. Le moment est venu de réfléchir et de décider comment réduire la consommation toujours croissante, souvent au détriment de pays moins développés qui subissent les dommages de notre traitement de la nature. Les sentiments généreux doivent se concrétiser dans des décisions pratiques chez nous. Nous espérons que le sommet de Copenhague sera une étape importante dans ce processus.
De même l’aspiration à plus d’équité et de justice ne peut pas se contenter d’appeler à une meilleure répartition sans tenir compte du fait que les biens à répartir ne sont pas illimités. Plus de justice suppose que nous ayons le courage d’appeler à des réductions dans les modes de vie. Ces défis qui se dressent devant nos sociétés ne peuvent être affrontés dans le seul cadre de notre situation française. Ils sont au cœur de la définition des politiques européennes et ils marquent la responsabilité de l’Europe à l’égard du reste du monde. Vingt ans après la chute du mur de Berlin, l’Europe ne peut pas être seulement une machine à fabriquer de la prospérité et se réduire à des procédés pour défendre cette prospérité contre les pays pauvres. Elle doit être toujours plus un véritable promoteur du développement et un authentique défenseur des Droits de l’Homme.
Les échos que nous avons perçus de la récente session des évêques pour l’Afrique, Madagascar et les Iles nous ont permis de mieux mesurer combien nous sommes concernés par les drames qui traversent ce continent et ces pays, combien nous sommes appelés à reconnaître nos responsabilités et à y faire face. Nous y sommes attendus, non pour nous servir mais pour servir un développement intégral, respectueux des valeurs traditionnelles de l’Afrique.
Notre espérance vient de ce que ces prises de conscience et ces aspirations rejoignent fondamentalement ce qu’il y a de meilleur dans le cœur de l’homme. Nous ne pouvons pas nous résoudre à croire que les formidables capacités de l’intelligence humaine qui ont apporté au monde tant de progrès depuis plusieurs siècles puissent être stérilisées par un aveuglement sur les enjeux humains de notre développement et de notre technique. Nos combats pour le respect de la personne humaine, notre engagement aux côtés des plus vulnérables, se fortifient en constatant chaque jour combien d’hommes et de femmes sont habités par le désir d’une vie meilleure qui ne soit pas simplement une vie plus facile pour quelques uns en France, mais une vie plus humaine pour tous dans le monde entier.
Avec eux, nous voulons que soit respectée et servie la dignité de chaque personne, de sa conception à sa mort. Nous voulons que notre société combatte les fléaux qui frappent encore tant d’hommes et de femmes, mais pas à n’importe quel prix, ni par n’importe quels moyens. Nous voulons que les recherches médicales et leurs applications soient davantage au service de tous sans que l’homme devienne un instrument au profit de la recherche. Nous voulons que la misère soit combattue, non en cachant ou en chassant ses victimes, mais en s’attaquant aux causes de leur malheur. Nous voulons que l’équilibre des familles soit encouragé et soutenu pour que les jeunes trouvent leur juste place dans notre monde.
Nous repartons encore plus convaincus que la fidélité de Dieu s’exprime dans le monde de notre temps. Elle donne à chacun et à chacune de ceux qui s’appuient sur elle la force de se mettre avec constance et sérénité au service de leurs frères. Ainsi nous donnons à voir quelque chose de l’identité de l’Église et nous découvrons notre vocation et notre mission dans les visages et les mains qui se tendent pour recevoir un signe d’espérance. Que le Seigneur nous donne de trouver notre joie dans l’espérance qu’il nous a donnée pour que nous la partagions.
+André cardinal Vingt-Trois
archevêque de Paris
Président de la Conférence des évêques de France