Méditation et prière du cardinal André Vingt-Trois lors du 2e Forum de la Charité
10 juin 2010
Première méditation de la veillée de prière : « Qu’est-ce que cela veut dire “Aimer en acte” » ?
Nous vivons dans une société pleine de bons sentiments. Autour de nous, tout le monde parle de ce qu’il faudrait faire. Et nous entendons tant de choses qu’à la fin nous pourrions avoir l’impression que nous sommes vraiment dans une société solidaire. Mais en parcourant les rues jour après jour et en parlant avec ceux qui peinent, nous savons que ces bons sentiments publiquement affichés ne suffisent pas à changer la situation et en particulier celle des plus pauvres.
Beaucoup de chrétiens sont habités par des sentiments de générosité. Mais la générosité n’est pas encore l’amour. La générosité est comme un appel à nous tourner vers les autres, que nous percevons naturellement. Passer de la générosité à l’amour, c’est passer d’une bonne intention à une action.
Tant de chrétiens voudraient, demandent ou même exigent que l’Église s’occupe des pauvres ? Mais combien de chrétiens sont prêts à s’impliquer eux-mêmes dans le service des pauvres ? Beaucoup disent qu’ils pourraient faire beaucoup de choses si ; s’’ils étaient eux-mêmes mieux pourvus, s’ils avaient du temps, s’ils savaient quoi faire et comment faire, s’ils connaissaient l’endroit où s’adresser. Et il y a tant de « si » que bien peu nombreux sont ceux qui passent du désir de faire quelque chose à la réalisation.
Aimer en acte et en vérité, c’est accepter de laisser notre vie être transformée par ce sentiment de générosité. Cela demande d’abord que nous reconnaissions que cet appel vient d’ailleurs, qu’il a sa source en dehors de nous. « A ceci nous avons connu l’amour, ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu, c’est Lui qui nous a aimé le premier. » (1 Jn 4, 10) C’est à l’intérieur de cet amour que Dieu porte à tout homme et à toute femme de notre monde, et à nous en particulier, que nous trouvons comment passer des bons sentiments à l’action.
Dans ce domaine, la tentation récurrente est de nous donner des objectifs tellement éloignés de ce que nous pouvons effectivement faire, que nous sommes d’avance excusés de ne rien faire. La réalité de l’amour n’est pas de rêver à ce que l’on devrait faire mais d’accomplir ce que l’on peut faire. Chacune et chacun des membres de nos communautés est capable de faire quelque chose. Sans parler de choses exceptionnelles ou extraordinaires, nous sommes tous capables d’ouvrir un peu notre vie, de nous faire accueillants à l’autre, de poser le geste ou la parole qui va permettre d’engager une relation. Aimer en acte et en vérité, c’est passer du rêve des choses extraordinaires à la réalité des choses ordinaires. C’est accepter de faire le peu que nous sommes capables de faire. C’est avoir la simplicité et l’humilité de donner vraiment ce que l’on peut de temps, d’attention, de disponibilité. La vérité de notre amour ne se mesure pas à la quantité ou au côté exceptionnel de nos réalisations mais à la qualité de notre engagement dans ce que nous faisons.
Nous venons de le chanter, aimer c’est tout donner, c’est se donner soi-même. Chacun de nous peut donner ou contribuer financièrement selon ses moyens sans que cela ne change rien à sa manière de vivre. Aimer, c’est accepter que l’autre entre dans notre vie et que sa présence y change quelque chose. Ce n’est donc pas seulement donner, ni même donner beaucoup. C’est se donner, c’est-à-dire se rendre proche et vulnérable vis-à-vis de ceux qui ont besoin de nous.
En vivant ce Forum de la charité, vous avez pu mieux découvrir combien le dynamisme de l’amour mobilise et met en action quantité de gens dans des domaines très différents. Tous le font avec la certitude que ce n’est pas ce qu’ils réalisent qui est important, mais ce qu’ils laissent percevoir d’eux-mêmes, la prise qu’ils donnent sur eux-mêmes, la vulnérabilité qu’ils acceptent afin que la relation avec l’autre ne soit pas une relation d’assistance mais une relation d’échange et de véritable fraternité.
Prions donc le Seigneur qu’Il nous apprenne à passer des paroles aux actes. « Ce ne sont pas ceux qui disent ‘Seigneur, Seigneur’ qui entreront dans le Royaume mais ceux qui font la volonté de mon Père » dit Jésus (Mt 7, 21). Ce ne sont pas ceux qui crient à la solidarité mais ceux qui font quelque chose et qui laissent la présence de leurs frères transformer leur manière de vivre, qui mettent vraiment l’amour en pratique.
+André cardinal Vingt-Trois,
archevêque de Paris
Prière du cardinal André Vingt-Trois en conclusion de la veillée de prière
Seigneur Jésus, nous te rendons grâce pour ce jour que tu nous as donné de vivre.
Nous te rendons grâce d’avoir fait de nous des témoins de ton amour vivant au cœur de notre monde.Nous te rendons grâce d’avoir osé partager au cours de cette journée ce que nous faisons et ce que nous sommes.
Nous te rendons grâce parce que ces fruits de l’amour de Dieu à travers nos vies construisent une cité nouvelle au cœur de l’ancienne ville. Nous te rendons grâce parce qu’à travers nos actions grandes ou petites, connues ou secrètes, solitaires ou organisées, tu répands dans le cœur des hommes une immense espérance : L’homme n’est pas abandonné à la misère et à la mort, l’homme n’est pas un ennemi pour son voisin, l’homme n’est pas un étranger pour celui qu’il rencontre. Cette espérance, discrète et modeste a une puissance extraordinaire. Elle touche le cœur de l’homme au plus profond et donne à chacun la chance de découvrir qu’il compte pour les autres.
Nous te rendons grâce car cette mission de semeur d’espérance fait grandir notre propre espérance. Le peu que nous pouvons donner nous est rendu au centuple et nous fait grandir malgré nos faiblesses et nos résistances. Nous apprenons jour après jour que l’amour peut changer non seulement la vie des autres mais aussi notre propre vie, que l’amour en acte est le visage de Dieu parmi les hommes, que l’amour seul est digne de foi.
Ainsi, en nous mettant au service de nos frères, animés par ton Esprit d’amour, nous rendons témoignage à la vérité de ta présence en ce monde.
Nous t’en prions, fortifie notre persévérance, apaise nos inquiétudes, développe notre force, apprends nous à surmonter nos limites et nos peurs, fais de nous un peuple de l’amour.Nous te le demandons à toi qui vis et règne avec le Père et l’Esprit Saint maintenant et pour les siècles des siècles.
+André cardinal Vingt-Trois,
archevêque de Paris