Interview du cardinal André Vingt-Trois dans le Figaro à l’occasion des ordinations 2010
Le Figaro – 25 juin 2010
Entretien avec le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris, président de la Conférence des évêques, alors que l’Église de Paris donne cette année une importance inédite à l’ordination de nouveaux prêtres.
« L’Église a la capacité de rebondir »
Pourquoi créez-vous un événement en appelant cette année 10 000 personnes à venir assister aux neuf ordinations sacerdotales à Notre-Dame de Paris ce samedi ?
C’est une façon de terminer l’année sacerdotale lancée par le Pape il y a un an en donnant l’occasion aux catholiques de Paris de manifester un soutien à leurs prêtres. Ce rassemblement va montrer de façon plus visible la force du lien de communion et d’attachement mutuel entre les prêtres et les fidèles.
Est-ce un antidote à la récente crise pédophile ?
Ce rassemblement est prévu depuis le 25 septembre dernier et il n’a rien d’une contre-manifestation !
Cette fête de l’Église chercherait-elle à lutter contre la morosité ambiante ?
Quand je circule dans les paroisses, je vois des églises pleines et des gens qui gardent l’espérance et agissent pour faire changer les choses, même s’ils peuvent être confrontés à des situations personnelles difficiles.
Neuf ordinations cette année, c’est une fourchette basse pour le diocèse de Paris : ce rassemblement entend-il relancer le sacerdoce catholique ?
Nous voulons effectivement donner une visibilité au sacerdoce. Des hommes s’engagent aujourd’hui dans cette voie : c’est du réel et non un effet de communication ! Quant aux statistiques, nous étions dix quand je fus ordonné en 1969, et en 1983, par exemple, il n’y eut que trois ordinations. L’étiage actuel est bas mais stable.
Est-ce l’heure de redorer le blason sacerdotal ?
Redorer un blason serait un objectif de communication. Or, notre objectif est de conforter la place du prêtre au sein de la communauté chrétienne, même si je ne vois pas le corps sacerdotal se déliter. Les prêtres sont généralement en bonne forme. Cette année les a même soudés davantage. Ils ont ressenti de façon aiguë le sens de leur responsabilité. La vie personnelle d’un prêtre ne peut jamais être isolée de la vie de l’Église. Sa vie privée ne peut pas être coupée de sa vie pastorale. C’est une évidence en période calme, mais le choc de la crise en redonne une conscience plus vive.
Le sacerdoce catholique est-il aujourd’hui en crise ?
Ce qui est en crise en Occident, c’est la place du prêtre dans la société et sa façon d’exercer son ministère. Il faut s’attendre à de fortes mutations. Nous recevons toujours des jeunes issus de familles chrétiennes. Ces familles, nous les encourageons mais elles sont moins nombreuses, et aujourd’hui se présentent au séminaire de jeunes hommes qui ont vécu loin de la foi et se sont convertis. Nous ne devons pas rêver de retrouver une situation comparable à celui du XIXe siècle.
Y a-t-il une nouvelle façon de susciter des vocations ?
Autrefois, tout le monde savait « pourquoi » nous appelions au sacerdoce. Aujourd’hui, il nous faut dire « pour quoi » nous avons besoin de prêtres. Mais s’engager dans la vie sacerdotale reste toujours une aventure qui repose sur la confiance d’un homme dans l’appel du Christ et dans celui de l’Église.
Y a-t-il une nouvelle façon de former des prêtres ?
Plus qu’à d’autres périodes, les prêtres doivent avoir une double conscience : la cohérence du mystère chrétien et la connaissance de la société sans référence à Dieu dans laquelle ils sont envoyés. Il faut donc les préparer à être des témoins de Dieu avec l’intelligence de la société et de ses courants de pensée. Ils doivent être aussi des leaders, car les communautés chrétiennes n’ont plus la même façon de se rassembler.
L’Église a-t-elle suffisamment fait pour juguler cette crise ? Est-elle close ?
Si les crises sont reniées, on en subit les conséquences ; si elles sont assumées, elles permettent un profit. Il faut que nous assumions les implications de la crise en revivifiant le sens profond du sacerdoce. Depuis six mois, le Pape, avec beaucoup de persévérance et d’endurance, n’a pas fait autre chose. Les chrétiens l’ont bien saisi : on n’a jamais vu autant de monde cette année dans les églises pendant la semaine sainte ! Nous avons montré que l’Église dans son ensemble et le corps sacerdotal avaient la capacité de rebondir pour un renouveau de leur implication dans la vie du monde.
Sortez-vous différent de cette crise ?
J’ai pris davantage conscience de la force de la cohésion ecclésiale. La réaction du corps ecclésial n’a pas été spectaculaire, destinée à faire image, mais elle a été remarquable. Le système ne s’est pas volatilisé sous l’impact d’un missile. Il a encaissé et réagi avec force. Il y a eu aussi une prise de conscience plus vive du drame vécu par les victimes. La stabilité de l’Église ne vient pas d’une navigation paisible. L’Église a une promesse de permanence et de développement à travers le monde mais avec des incidents de parcours. Elle est même équipée pour vivre ces troubles !
Propos recueillis par Jean-Marie Guénois.
Source : le Figaro.