« 45 % de catholiques pratiquants favorables à l’euthanasie », pourquoi ?
13 octobre 2009
Réponse du P. Brice de Malherbe, délégué de l’Archevêque de Paris pour les établissements hospitaliers catholiques et co-directeur du département d’éthique biomédicale du Collège des Bernardins.
Ce sondage [1] évidemment peut surprendre. Quand on entend que 45 % des français catholiques pratiquants sont favorables à ce que des euthanasies soient pratiquées mêmes si elles ne sont pas autorisées par la loi, lorsque les personnes atteintes d’une maladie incurable en phase terminale le réclament. Alors, c’est quand-même réjouissant de voir qu’il y a beaucoup moins de catholiques pratiquants qui sont favorables que l’ensemble des français qui semble-t-il s’élève à 75%. Cependant cela reste étonnant.
Quelles souffrances cachées y a-t-il derrière une telle réponse ? Évidemment la pratique du sondage est une pratique qui attend une réaction spontanée plus que le fruit d’une réflexion approfondi
e. Il me semble que des mots comme « maladie incurable en phase terminale » font peur et peuvent ainsi expliquer cette réaction a priori favorable à l’euthanasie. Cette peur de souffrir, cette peur de la mort que tout le monde peut comprendre, cette peur aussi peut-être d’être à charge de ses proches en fin de vie. On se projette, on s’imagine des situations très difficiles. Et puis, une autre explication : peut-être le fait que les membres de l’Église catholique, comme tout le monde sont influencés par notre société. Une société dans laquelle la mort est évacuée, la mort ne fait plus partie de la vie et on en a peur.
Qu’est-ce que l’on peut répondre à cela ? D’abord que c’est très difficile de se projeter dans l’avenir. La réalité de la fin de vie ne correspond pas à ce que l’on peut imaginer derrière, encore une fois, des termes comme « maladie incurable en phase terminale. » La réalité c’est qu’en France il y a des efforts considérables qui ont été faits pour soulager la douleur en fin de vie et s’est développé comme chacun sait ou devrait le savoir, tout un réseau de soins palliatifs. Les personnes en fin de vie, notamment en phase terminale d’une maladie incurable, que ce soit dans les services de soins palliatifs ou que ce soit dans des services aigus, ces personnes sont accompagnées et la douleur est traitée. Par ailleurs un des grands mérite de la loi Léonetti de 2005, a été d’inscrire dans la loi des questions de proportionnalité de soins – des soins et traitements adaptés à la situation du malade - et de refus d’acharnement thérapeutique. Donc aujourd’hui, d’une part je dirais que les équipes médicales n’attendent pas une situation de détresse terrible pour traiter la douleur et pour s’assurer du confort autant que possible de la personne en fin de vie. Aujourd’hui, il y a tout un travail d’accompagnement, de prévention pour éviter des situations de détresse en phase terminale de maladie incurable. Et au cas où l’équipe médicale pour une raison ou pour une autre n’aurait pas pu anticiper des situations de détresse, le malade est tout à fait en droit de demander que l’on ne s’obstine pas déraisonnablement et que l’on insiste pour traiter la douleur.
Ensuite au-delà de traiter la souffrance physique, il y a la souffrance morale. La souffrance morale on ne pourra jamais complètement la supprimer. La souffrance morale on pourra l’alléger, justement. C’est tout le sens d’une action solidaire, d’un accompagnement. Dans le rapport d’évaluation de la loi Léonetti, le terme qui a été mis en avant c’est « solidarité », « solidaires devant la fin de vie ». Mais malgré la solidarité que l’on peut manifester vis à vis des grands malades, il y aura toujours une souffrance morale. La question est de savoir si pour supprimer cette souffrance morale, nous pouvons réclamer de nos proches cette solution inhumaine qui est de demander finalement un permis de tuer, un permis de mettre fin à la vie volontairement.
Il me semble une fois que l’on a rappelé que tout est fait et que tout doit être fait pour traiter la douleur, tout est fait, tout doit être fait pour accompagner ces malades, qu’il ne faut pas oublier, en tout cas pour nous chrétiens en premier lieu, les vertus de patience et d’espérance. Autant, heureusement, nous sommes revenus d’un discours qui quelquefois pouvait tomber dans le dolorisme, autant nous ne pouvons pas tomber dans l’irénisme de penser que vivre, c’est vivre avec une souffrance 0. Nous avons la nécessité d’une certaine patience, par amour pour nous-mêmes, par amour pour nos proches face à la souffrance et d’une espérance. La mort est certainement une étape douloureuse mais pour nous chrétiens nous savons qu’elle est surtout un passage vers la Vie.
Enfin ce sondage et les résultats de ce sondage appellent plusieurs efforts à poursuivre de la part de la société. Je faisais allusion à ce rapport Léonetti d’évaluation de la loi de 2005, 4 pistes ont été mises en avant : mieux faire connaître la loi qui je le rappelle invite à développer les soins palliatifs, appelle à la proportionnalité des soins, appelle à éviter tout acharnement déraisonnable. Deuxième point, c’est renforcer les droits des malades : être à l’écoute des malades, à l’écoute de leurs besoins, à l’écoute de leurs attentes. Mieux former les médecins, ensuite. Et enfin, adapter l’organisation du système de soins, toujours plus par la prise en charge des situations.
Et puis, pour notre Eglise Catholique, nous avons sans doute à retrouver ou à chercher, parce que c’est un sujet qui n’est pas facile à aborder, à continuer à chercher à replacer la mort comme un élément normal de notre vie que nous avons du mal à affronter. Le Christ lui-même a été angoissé face à la mort et en même temps, il a courageusement affronté la mort. Heureusement chacun d’entre nous n’est pas appelé à vivre les mêmes souffrances que le Christ, mais nous devrions affronter notre mort dans la même espérance que Lui en son Père qui lui fera traverser la mort et le conduira à la résurrection. Je pense que nous avons à redécouvrir comment cette étape de la mort est un passage vers la Vie.
[1] Sondage réalisé par l’institut BVA pour l’Association pour le Droit à Mourir dans la Dignité (ADMD), qui milite pour le droit à une assistance médicalisée pour mourir et publié publié dans Libération jeudi 24 septembre 2009.