« L’euthanasie déshumanise la société »
Paris Notre-Dame - 31 janvier 2013
Paris Notre-Dame du 31 janvier 2013
P.N.-D. – Une journée d’études sur la fin de vie a lieu le samedi 2 février au Collège des Bernardins. Quel est l’objectif du colloque ?
P. Brice de Malherbe – Cette journée d’études universitaires, qui fera intervenir des soignants, des juristes et des sociologues, permettra de contribuer au débat sur la fin de vie. Cette réflexion nécessite d’écouter les soignants et les acteurs qui connaissent les situations dans leur épaisseur humaine et leur complexité. Le message sera clair : en matière de fin de vie, le progrès consiste à améliorer le soin et non pas à supprimer le patient.
P. N.-D. – Quelle est votre réaction face au rapport Sicard ?
P. B. de M. – Ce rapport suscite intérêt et inquiétudes. Il constate des carences dans la prise en charge de la fin de vie en France, notamment dues à la méconnaissance de la loi du 22 avril 2005. Il appelle à un changement culturel : accepter les limites de la médecine et considérer la complémentarité des soins palliatifs et des traitements curatifs. En revanche, ce rapport entretient l’ambiguïté autour de la « sédation profonde ». Désigne-t-elle le soulagement nécessaire en cas de grande souffrance ou s’agit-il d’accélérer la mort ? Toujours est-il qu’à la suite de la remise de ce rapport, le président de la République a soumis la question du suicide assisté et des conditions d’une mort « plus digne » au Comité consultatif national d’éthique. On peut donc craindre qu’en juin, tout cela aboutisse à un projet de loi ouvrant la voie à certaines formes non explicites d’euthanasie.
P. N.-D. – Quels sont les enjeux du débat sur l’euthanasie ?
P. B. de M. – Il s’agit d’éviter la déshumanisation de notre société. Pour le professeur François Goldwasser, chef du service cancérologie de l’hôpital Cochin, l’euthanasie donne un pouvoir tout-puissant au médecin, tandis que le suicide assisté le donne au patient. Jean Leonetti [1] a évoqué par le passé le risque d’une « barbarie civilisée ». Nous en avons un exemple avec la Belgique qui, après avoir légalisé l’euthanasie envisage de la pratiquer pour les mineurs et les personnes démentes. Il existe aussi un enjeu financier avec la tentation de diminuer le coût de la prise en charge des malades en fin de vie. Enfin, la question de la souffrance se pose : peut-on supprimer l’angoisse de la mort ? Je ne crois pas. En revanche, il est possible d’apporter une réponse humaine à cette souffrance par un accompagnement de qualité plutôt que de la considérer comme un problème qui se règle par la mort. Cette seconde option revient à enfermer la personne dans la souffrance. En fait, souvent insupportable pour les proches qui y projettent leurs propres peurs, la souffrance est vécue de façon tout à fait différente par le malade.
P. N.-D. – Que devons-nous faire face à ce débat ?Comment se mobiliser ?
P. B. de M. – En s’informant et en se formant sur les questions en jeu. En venant au colloque de samedi ! Nous devons surtout adopter une attitude de modération face à la médecine, en renonçant à l’acharnement thérapeutique par exemple, et accepter les limites de notre condition humaine. Enfin, donnons de notre temps pour nous mettre au service des personnes âgées ou en fin de vie ! • Propos recueillis par Agnès de Rivière
[1] Jean Leonetti, médecin cardiologue et maire d’Antibes, a été rapporteur de la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie.