« Légiférer ne permet pas de résoudre les problèmes du réel »
Paris Notre-Dame du 20 avril 2023
Après la publication du rapport de la convention citoyenne sur la fin de vie, Emmanuel Macron a annoncé un projet de loi « avant la fin de l’été ». L’aide active à mourir devient peu à peu une réalité en France. Les réactions du diacre permanent Jean Lacau St-Guily, professeur d’ORL, oncologue, codirecteur du département de recherche en éthique biomédicale au Collège des Bernardins.
Paris Notre-Dame – On a un peu cette impression que tout est allé très vite dans cette discussion autour de l’aide active à mourir. Partagez-vous cette impression ?
Jean Lacau St-Guily – Oui. D’autant plus que nous sommes aujourd’hui, en France, dans un contexte sanitaire particulier. Il y a une difficulté d’accès aux soins généralisée, des déserts médicaux, le problème du grand âge, la dégradation de l’accueil des patients, en psychiatrie notamment… Cette conjonction entre ce désir de faire rapidement évoluer la loi sur la fin de vie et ce contexte sanitaire dégradé, est très frappante. Raisonner sur le temps court autour de la fin de vie, c’est fournir des réponses ponctuelles, techniques et juridiques, à une problématique qui s’inscrit dans une dimension largement existentielle. L’aide active à mourir devient alors une offre supplémentaire, une prestation, inscrite dans une politique sanitaire. Mais la médecine est problématique quand elle se réduit à des prestations. Parce qu’en nous éloignant d’une vision globale de l’homme, elle fait advenir l’homme segmenté. Je suis par ailleurs très frappé de voir que la France est en même temps engagée dans une lutte contre le suicide.
P. N.-D. – Le rapport pointe aussi la nécessité de développer les soins palliatifs. Y-a-t-il derrière un aveu d’échec des lois votées précédemment ?
J. L. S.-G. – Cela montre surtout l’écart qu’il existe entre le monde tel que la législation le décrit et le monde tel qu’il est. Légiférer ne permet pas de résoudre les problèmes du réel. Les questions que posent l’histoire singulière de tout homme ne peuvent pas trouver de réponses dans une loi. Il y a un consensus général pour dire que les soins palliatifs ne sont pas suffisamment appliqués. Mais si l’aide active à mourir devient possible, il peut y avoir un choix préférentiel à court terme pour celle-ci au détriment du coûteux investissement pour les soins palliatifs, surtout si on manque de soignants et de structures. Par ailleurs, si l’aide active à mourir fait partie des soins palliatifs, les soignants risquent de se désinvestir.
P. N.-D. – Certains soulignent d’ailleurs que les soignants n’ont pas été assez consultés. Qu’en pensez-vous ?
J. L. S.-G. – Je suis très frappé de voir l’écart entre l’avis des Français et des soignants. Je pense que ce hiatus s’explique par l’expérience, la pratique, le compagnonnage avec celui qui est en train de mourir. Je l’ai vécu en tant qu’oncologue. Des patients arrivent en disant qu’ils veulent mourir mais finissent par confier leur « désir de vivre ». J’ai été très sensible aux arguments de ceux qui vivent depuis de longues années dans des pays où l’aide active à mourir est possible. Là-bas, la prise en charge des personnes âgées n’est plus la même, simplement parce que la fameuse barrière de l’interdit de tuer est tombée. Alors, nous voyons poindre des logiques économiques, individualistes voire écologistes... En fait, deux visions de la vie s’opposent. La première, libertaire et libérale, est liée au désir absolu de liberté, le désir de vouloir contrôler sa vie jusqu’à sa mort. L’autre s’inscrit dans une solidarité vis-à-vis des personnes, y compris les personnes souffrantes, en fin de vie. Même s’il y a cette impression que tout est plié, il faut continuer à défendre la mise en œuvre de la loi Claeys-Léonetti ainsi que des soins palliatifs. À militer pour une société de plus en plus solidaire, pour une « aide active à vivre » comme l’ont justement invité les évêques lors de leur assemblée plénière d’avril. Le soutien aux malades, aux aidants, aux soignants : voilà la réelle urgence.
Propos recueillis par Isabelle Demangeat @LaZaab
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