Dr Claire Fourcade : « L’euthanasie est une transgression et doit le rester »
8 novembre 2012
Le Dr Claire Fourcade a raconté dans 1001 vies en soins palliatifs ses douze ans d’expérience. Elle explique pourquoi une loi légalisant l’euthanasie serait une régression et plaide pour que la loi Leonetti, qui régit la fin de vie, soit mieux connue et mieux appliquée. Un entretien paru dans La Lettre des Semaines sociales de France n°68 d’octobre 2012.
Par sa proposition 21, François Hollande a promis de légaliser « une assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ». Ce qui reviendrait, même si le mot n’a jamais été prononcé, à autoriser l’euthanasie « sous certaines conditions ». Rouvrir ce débat vous paraît-il opportun et nécessaire ?
Pour le médecin que je suis, la réponse est non. Nous, soignants, n’avons pas besoin, dans notre pratique quotidienne, qui est de soulager et d’accompagner des personnes en fin de vie, d’une loi supplémentaire. La loi dite Leonetti, adoptée en 2005, fournit un cadre législatif amplement suffisant pour « régler » la très grande majorité des cas auxquels nous sommes confrontés. Cela répond-il, alors, à une demande des patients et de leurs familles ? Je ne le crois pas plus. Dans le service de soins palliatifs que je dirige, nous nous sommes occupés, en douze ans, de près de 5 000 patients. Beaucoup évoquent, un jour ou l’autre, avec le personnel médical, la possibilité d’abréger leur vie. Mais, les demandes soutenues, répétées d’euthanasie sont, au final, extrêmement rares. En fait, je n’ai eu à faire face qu’à deux cas en tout et pour tout. Ce n’est donc pas un débat médical, mais bien un débat de société. À titre personnel, par conviction de foi, je suis opposée à la légalisation de l’euthanasie et j’estime que l’Église et les chrétiens ont, sur cette question, une parole à défendre et à soutenir. Mais pour m’en tenir à des arguments professionnels, je pense qu’une loi légalisant l’euthanasie n’apporterait aucune amélioration, bien au contraire…
Pourtant, vous convenez vous-même que la loi Leonetti ne « règle » pas tous les cas ?
Mais parce que, dans ce domaine, aucune loi ne peut traiter toutes les situations ! Chaque histoire est unique et nécessite du « sur mesure » de la part des équipes médicales. La loi Leonetti permet, en théorie, beaucoup de choses. Elle interdit l’acharnement thérapeutique ; elle donne au patient la possibilité de refuser tout traitement qui n’aurait pour seul effet que de le maintenir en vie ; elle fait obligation au médecin de soulager la douleur, de respecter la dignité du malade, d’accompagner ses proches… Le problème, c’est que cette loi est encore mal connue et mal appliquée. À mon sens, le vrai progrès consisterait à développer cette culture des soins palliatifs en France.
Certains affirment qu’il se pratique en France des euthanasies sans le dire et qu’il est temps de sortir de cette hypocrisie. Que penser de cet argument ?
Que des euthanasies soient pratiquées dans le secret médical est sans doute exact, mais cela se pratique surtout dans des services où la technique médicale, extrêmement pointue, peut avoir pour corollaire une obstination déraisonnable de la part des médecins. Je pense, par exemple, à certains services de réanimation où les patients, inconscients qu’ils sont, ne peuvent exprimer leur volonté, et où les familles ne sont pas ou guère consultées. Du coup, rien ne vient obliger le corps médical à s’interroger pour sortir de la logique de la toute puissance. Ces pratiques ne sont pas satisfaisantes : il faut mettre de la parole dans les équipes, de la collégialité, de la réflexion critique et faire de la place au patient et à ses proches. J’ai débattu avec beaucoup de militants pro-euthanasie. Nombreux sont ceux qui ont été en souffrance avec la médecine, d’où leur volonté de s’opposer à ce pouvoir médical qu’ils jugent excessif.
Un autre argument souvent avancé par les partisans de l’euthanasie est celui de la dignité. Une vie diminuée par la maladie, le handicap ou la souffrance ne vaudrait plus d’être vécue, estiment-ils. Que répondez-vous ?
Pour ma part, je n’ai jamais pensé que tel patient pouvait être moins digne qu’un autre. Mais c’est une conviction personnelle. Je ne prétends l’imposer à personne et encore moins avoir réponse à tout. Là encore, je partirai de mon expérience de médecin. Oui, la maladie, la décrépitude qu’elle entraîne parfois, sont toujours une épreuve. Mais je constate aussi que, dans l’écrasante majorité des cas, le dernier qui s’arrête d’espérer est le patient. Reste la souffrance de la famille. Accompagner une personne qui n’est plus que l’ombre d’elle-même est douloureux pour les proches. Voilà pourquoi, nous, soignants, avons tout un travail à faire pour aider l’entourage à accepter que ce temps de la fin de vie ne soit pas du temps perdu. Et je vois mal en quoi une loi sur l’euthanasie pourrait les aider. Je pense même qu’elle ne ferait qu’augmenter leur souffrance…
Comment cela ?
Si une loi autorisant l’euthanasie était votée, elle poserait forcément des conditions qui risquent de rendre son application compliquée, voire impossible. En juin dernier, un sénateur socialiste a déposé un projet de loi sur l’euthanasie. Selon ce texte, la commission de trois médecins sollicitée pour une demande d’euthanasie aurait 8 jours pour rendre son avis. Ce qui est proprement infaisable. Ouvrir un droit qui ne peut être appliqué suscitera une frustration qui ne peut que rajouter à la colère et à la souffrance des familles alors que nous avons besoin de bâtir avec eux une relation de confiance.
Tous les sondages montrent qu’une grande majorité des Français est plutôt favorable à l’euthanasie. Sont-ils mal informés ? Auraient-ils perdu le sens des valeurs ?
Je ne pense pas qu’ils aient perdu tout sens moral. Je le constate chaque jour : les familles peuvent être en souffrance et démunies, mais elles cherchent comment faire pour être efficaces, utiles. Elles veulent apporter de l’aide à leur proche, sont animées par la volonté de bien faire. Je les trouve, en général, profondément humaines, belles et admirables. En revanche, que les Français soient mal informés est une évidence. Souvenez-vous de Vincent Humbert, ce jeune tétraplégique, dont l’affaire a défrayé la chronique en 2003. Sa mort, provoquée, a entraîné la mise en place d’une commission parlementaire qui a permis de prendre conscience de la complexité des choses et qui a débouché sur la loi Leonetti, maintenant l’interdiction de l’euthanasie. Visiblement, nos compatriotes ont encore besoin d’être éclairés sur ces questions.
Justement, le gouvernement a décidé d’organiser des États-généraux sur la fin de vie. Qu’en attendez-vous ?
Ces États-généraux peuvent être l’occasion de mesurer les enjeux, de faire passer des messages, d’essayer d’expliquer en quoi une légalisation de l’euthanasie serait une régression. Mais je crains que la promesse du candidat Hollande n’oblige le président.
Vous avez dit avoir été confrontée à des demandes d’euthanasie. Comment avez-vous réagi ?
Je me souviens d’un patient dont la maladie avait des conséquences très lourdes et qui souhaitait vraiment mourir. J’ai pris le temps de l’écouter et nous nous sommes donné 15 jours pour réfléchir, voir comment son état allait évoluer. Il est décédé avant ce délai. Je dois avouer que j’ai été soulagée de ne pas avoir à trancher ce cas de conscience…
Vous auriez pu accéder à sa demande ?
Je n’en sais rien. Je ne savais vraiment pas quoi faire. Je n’ai qu’une certitude : l’euthanasie est une transgression et doit le rester. Je n’attends pas que la société la légalise pour me donner bonne conscience au cas où, un jour, j’aurais à prendre une telle décision.
Et si la loi était votée, que feriez-vous ?
Je pense que le législateur prévoira, dans ce cadre, une clause de conscience qui permette aux médecins qui le souhaitent de refuser de pratiquer l’euthanasie. En tout cas, moi, je ne m’imagine pas prendre ce pouvoir sur mes patients. Ce serait entièrement contraire à ma pratique et à ma philosophie de la vie. • Propos recueillis par Antoine d’Abbundo
Pour aller plus loin
– 1001 vies en soins palliatifs, Bayard éditions (2012), 160 pages.
– Site des semaines sociales de France