Textes du cardinal André Vingt-Trois lors de la rencontre judéo-catholique
Hôtel de Ville de Paris - Mardi 11 décembre 2007
Mardi 11 décembre 2007, dans les salons de l’Hôtel de Ville de Paris, le CRIF et le Service national des Evêques de France pour les Relations avec le Judaïsme ont organisé, en association avec le Congrès Juif Européen, une rencontre judéo-catholique sur le thème « Dix ans après la déclaration des Evêques de France à Drancy : quel dialogue pour l’avenir ? ». Les plus grandes personnalités impliquées dans ce domaine se sont exprimées, et ont également rendu un hommage au Cardinal Jean-Marie Lustiger.
Texte d’ouverture du Cardinal André Vingt-Trois
En nous retrouvant ce soir dans les salons de l’Hôtel de Ville, j’évoque bien sûr la soirée qui nous réunit là en décembre 2005 à l’occasion du 40ème anniversaire de Nostra ætate. Mais le souvenir me revient aussi de la réception qu’organisa notre Maire le 6 mars de l’année suivante lorsqu’il voulut remettre au cardinal Lustiger la médaille de vermeil de la Ville de Paris.
Comme M. Delanoë avait rapporté qu’il avait été élève dans une école catholique de sa ville natale, le cardinal Lustiger prit un malin plaisir à raconter, lui, comment le jeune Juif né à Paris mais de parents arrivés de Pologne avait appris à connaître et à aimer l’histoire et la culture françaises dans le cadre de l’école publique. Ce n’était pas seulement plaisanterie de sa part, bien sûr : il lui paraissait très important de montrer concrètement comment l’école avait pu permettre son intégration. Plus que jamais, nous avons besoin dans un pays comme le nôtre, que les différentes communautés se rencontrent et se parlent. Nous devons apprendre à vivre selon des appartenances multiples, sans que cette multiplicité fasse soupçonner la fidélité de l’attachement à chacune, car chacune est selon son ordre.
Dans ce contexte, les communautés religieuses doivent se rencontrer et se parler aussi selon leur nature de communautés religieuses, l’événement d’Assise en 1986 en a montré l’exemple. Il faut nous réjouir que la laïcité ne se résume plus au silence sur les appartenances religieuses des citoyens. Mais les communautés doivent accepter d’être des facteurs de construction du bien commun régulé et promu par les autorités de l’État et de la cité. En nous réunissant à l’Hôtel de Ville, nous sommes heureux de redire notre volonté commune d’œuvrer pour que notre pays soit une terre de paix, de prospérité et de justice. Je vous remercie, Madame, de nous accueillir si largement au nom du Maire de Paris et je vous prie de lui transmettre l’expression de notre gratitude pour ses encouragements. Je remercie le Conseil représentatif des institutions juives de France et le congrès juif européen pour cette initiative montée en commun avec le Service National des relations avec le judaïsme de la Conférence des évêques de France. Merci à tous de votre présence. Monsieur le Grand Rabbin de France, Messieurs les Grands Rabbins, je vous dis ma joie de vous retrouver ce soir ainsi que tous les orateurs de cette rencontre. La Déclaration de Drancy a été un acte important des évêques de France et de leurs interlocuteurs juifs, il y a dix ans. En tant que Président de la conférence des évêques, en commençant cette soirée, je voudrais dire solennellement notre engagement à ne jamais revenir sur ce pas décisif et à le prolonger tout au contraire.
Conclusion du cardinal André Vingt-Trois
L’heure tardive m’oblige à être bref. Je serai bref : il faut continuer. Mais vous n’êtes restés là pour m’entendre ne dire que cela ; il me faut donc développer un peu cette affirmation essentielle. Il faut continuer dans trois directions qui sont des lignes de pédagogie, d’instruction et d’approfondissement.
Deux voyages et un troisième. Deux voyages à la surface de la terre, un voyage en profondeur en chacun de nous.
Premier voyage : Auschwitz-Birkenau, ainsi que le font de plus en plus nombreux des jeunes catholiques venus des écoles catholiques ou des aumôneries de lycées. Pourquoi ce voyage est-il nécessaire ? Parce qu’on ne peut pas expliquer conceptuellement ce qui est impensable. On ne peut le faire découvrir que par une expérience sensible. On n’explique pas la Shoah, mais on peut l’éprouver un peu en allant sur place. Cette connaissance de la Shoah est un élément fondamental du changement dans nos relations avec les Juifs et avec la réalité juive qui a été salué ce soir. Elle doit, bien sûr, se traduire aussi dans une connaissance scientifique aussi exhaustive que possible.
Deuxième voyage : la Terre Sainte. On ne peut pas non plus convaincre conceptuellement que Jésus était Juif. On ne peut que le montrer par les traces historiques, archéologiques, de son passage et par l’expérience du pays où il a vécu. Voyage par lequel on peut aider les générations qui montent à mieux communier à l’humanité de Jésus, véritable accès à sa divinité.
Ce voyage contribue aussi à faire découvrir concrètement quelque chose de la confrontation et du dialogue des religions : judaïsme, christianisme à travers les chrétiens d’Orient, islam. On nous a rappelé tout à l’heure les conditions du dialogue. Il suppose une certaine connaissance mutuelle, celle qui permet le respect, et le respect ne peut être réel, concret, que lorsqu’il est éprouvé dans une rencontre, en quelque sorte, physique.
Troisième voyage, en profondeur : acquérir le minimum d’équipement nécessaire pour mettre des mots sur les deux voyages précédents. Avoir des mots pour dire et pour comprendre, pour interpréter et pour partager ce qu’on a vécu. Ce sont les mots que nos traditions nous transmettent à travers l’Écriture sainte de l’un et de l’autre Testaments, ceux des commentaires de l’Écriture et ceux de la prière de nos communautés.
Après Drancy des années 40 et Drancy de 1997, notre histoire a basculé. Ce pas irréversible doit s’inscrire dans les cœurs par les trois voyages que j’ai dit. Cela vaut pour tous les âges mais particulièrement pour les jeunes générations, en attendant, en espérant que ces trois voyages nous conduisent vers le voyage définitif, celui par lequel on atteint les pâturages verdoyants où Dieu nous appelle.
Je vous remercie.
+ André cardinal Vingt-Trois,
Archevêque de Paris,
Président de la Conférence des évêques de France