Interview du cardinal André Vingt-Trois “La grâce de Lourdes”
Lourdes Cancer Espérance – janvier 2008
« Comment un pèlerinage à Lourdes peut nous ouvrir aux autres et à nous-même ? » En cette année du 150e anniversaire des apparitions à Lourdes, le cardinal André Vingt-Trois répond à cette question. Article publié dans Lourdes Cancer Espérance.
C’est comme prêtre que j’ai découvert Lourdes. Non pas la sainte Vierge, ni sa place dans la vie chrétienne et dans notre prière, personnelle ou collective. Je connaissais bien sûr l’histoire de Bernadette et des apparitions, mais jamais je n’avais eu l’occasion d’y venir. Depuis mon ordination, mes séjours à Lourdes ont été nombreux, avec une caractéristique : je ne suis jamais venu en pèlerin individuel, toujours à l’occasion d’un événement d’une certaine portée ecclésiale : pèlerinage, retraite, Frat, Assemblée des évêques… C’est un fait, je n’en fais pas la théorie. Mais j’en reçois que Lourdes est pour moi un lieu de rencontre de l’Église, d’approfondissement de mon lien avec l’Église, de mon appartenance à elle, à travers Marie. Et cela me paraît correspondre à une caractéristique de ce lieu.
La merveille des apparitions de Lourdes est de rendre très concret, très simple, très accessible, ce que la foi nous dit de Marie. La Vierge Marie à Lourdes n’apparaît pas comme une sorte de déesse tutélaire, fascinante et étrange, mais comme celle qui vient vers nous avec une infinie délicatesse.
Marie est une fille des hommes comme nous. Le privilège d’avoir été conçue sans le péché originel ne la coupe pas de nous ; bien au contraire : elle a été dans sa vie terrestre aussi proche de chacun de ceux qu’elle rencontrait qu’il est possible à des hommes de l’être, tandis que le péché originel en nous fait que, dès le départ, nous sommes dans une relation compliquée les uns avec les autres. C’est le fondement de la proximité de Marie avec chacun de nous. Proximité que les apparitions à Bernadette montrent merveilleusement, avec l’attention délicate de Marie pour cette fille de pauvres, d’une famille « à plaindre », dont le cœur était si pur, si clair.
De même, notre foi en l’assomption de Marie en son âme et en son corps ne dit pas nécessairement que Marie n’aurait pas connu la mort ; la foi nous dit que, par delà la fin de sa vie, elle est glorifiée en Dieu. En elle, comme en Jésus, la mort n’a pas eu le dernier mot. La mort a été vaincue. C’est une espérance formidable pour l’humanité et pour chacun de nous ! La chape de plomb qui pèse sur toute existence humaine et dont nous sentons les effets dans nos corps comme dans nos esprits est brisée à jamais. Dans aucune vie humaine la mort ne saurait vaincre la puissance de l’amour miséricordieux de Dieu. La terre n’est pas enclose dans la fatalité des blessures et des déterminismes, les cieux se sont déchirés pour annoncer la bonne nouvelle d’un avenir pour l’humanité.
Là encore, dans leur simplicité, les apparitions de Lourdes prolongent cette vérité de notre foi : alors que la situation humaine de Bernadette et de sa famille paraît bouchée, la Vierge Marie manifeste que pour tout homme l’avenir est en Dieu. C’est pourquoi le chant d’action de grâce de Marie est le chant de toute l’Église. C’est pourquoi ceux qui prient la liturgie des heures le reprennent tous les soirs aux Vêpres, c’est pourquoi le Magnificat est le grand chant du pèlerinage de Lourdes.
Nous savons que Dieu « déploie la force de son bras, Il disperse les superbes, Il élève les humbles,… Il comble de biens les affamés,… Il se souvient de son amour. » Comment nous laisser accabler par les misères des temps, alors que nous croyons une telle promesse ? Si nous vénérons la Vierge Marie glorifiée, ce n’est pas seulement pour nous réjouir du bien que Dieu lui fait, c’est aussi pour porter un nouveau regard sur notre existence humaine. « Ne vivez pas comme ceux qui n’ont pas d’espérance ! » nous dit saint Paul.
La grâce de Lourdes, c’est l’espérance. L’encyclique de Benoît XVI reçue en cette année jubilaire nous aide à en mesurer les dimensions, mais aussi à nous exercer dans cette vertu. Ce que le Pape dit de la prière et encore de l’action et de la souffrances mêlées comme lieux d’apprentissage de l’espérance correspond à l’expérience des pèlerins de Lourdes, spécialement, je le crois, à celle des malades : rien ne nous ouvre davantage et aux autres et à ce qu’il y a de plus profond en nous que la prière vécue dans sa vérité, sous la conduite de Marie.
C’est pourquoi, comme évêque, je voudrais remercier les malades qui viennent à Lourdes : ils prennent en eux, dans leur prière et dans leur souffrance, dans leur peur devant la mort et dans leur combat contre la maladie, dans leur espérance enfin, l’Église entière. Dans leur chair, unis à Marie, ils accueillent les supplications que toute l’humanité veut faire monter vers Dieu sans qu’elle sache toujours comment faire. Dans leur chair, ils éprouvent que l’homme est fragile, pauvre, menacé, et pourtant appelé à vivre intensément et que le secret de cette vie, c’est l’amour reçu et partagé.
+ André cardinal Vingt-Trois
archevêque de Paris